Diplomacy
La Suède au sein de l’OTAN : y a-t-il un avenir pour la neutralité ?
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First Published in: Mar.01,2024
May.13, 2024
Pendant des décennies, la Suède et la Finlande ont été un symbole de réussite de la neutralité dans les relations internationales. Leur adhésion à l'OTAN signifie-t-elle que la politique de neutralité n'a plus de perspectives dans le monde moderne ?
La Suède devient le 32ᵉ membre de l'OTAN. Comme prévu il y a quelques semaines, le Parlement hongrois a rapidement approuvé le protocole d'adhésion de ce royaume scandinave, levant ainsi le dernier obstacle à son adhésion officielle à l'OTAN. Cela marque la fin d'une saga de près de deux ans concernant l'élargissement de l’OTAN à l'Europe du Nord, dont on attendait initialement un développement beaucoup plus rapide.
Sur les 30 États faisant partie de l'OTAN, au moment où la Suède et la Finlande ont déposé leur candidature en mai 2022, 28 ont mené à bien les procédures nationales d’adoption des processus d'adhésion. Cependant, deux pays, la Turquie et la Hongrie, avaient des interrogations à poser aux candidats. Ankara a exprimé qu’il était impossible d’entretenir une alliance avec des pays qu'elle considère comme étant "des foyers d’accueil pour les terroristes" et impose des sanctions à la Turquie. La Finlande a donc rejoint l’OTAN en mars 2023, tandis que la Suède est restée dans l'attente de son adhésion.
Après vingt mois de négociations et de multitudes concessions de la part de la Suède et des États-Unis, ces derniers ont notamment levé les restrictions sur la vente d'avions de combat F-16 à la Turquie. Le Parlement turc a finalement approuvé la demande d'adhésion de Stockholm le 23 janvier. Cependant, après ça, la Suède s'est retrouvée confrontée à un ultime obstacle : l'absence de l’approbation de la Hongrie. À Budapest, selon les dires du président du Parlement hongrois, on attendait de Stockholm qu'elle fasse preuve de "respect" envers la Hongrie et qu'elle prouve qu’elle "la prend au sérieux".
Après vingt mois de négociations, assorties de concessions de la part de la Suède et des États-Unis, qui ont notamment levé les restrictions sur la vente d'avions de combat F-16 à la Turquie, le Parlement turc a finalement approuvé favorablement la demande d'adhésion de Stockholm le 23 janvier. Cependant, la Suède s'est retrouvée confrontée à un ultime obstacle : l'absence de ratification de la demande par la Hongrie. À Budapest, selon les dires du président du Parlement hongrois, on attendait de Stockholm qu'elle fasse preuve de "respect" envers la Hongrie et qu'elle démontre qu'elle “ la prend au sérieux".
De ce fait, ces dernières semaines, le débat était tourné sur la question sur l’acceptation du Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, de rencontrer son homologue hongrois, Viktor Orban, à Budapest. Cette rencontre avait pour but de discuter directement des interrogations de la Hongrie. Au départ, le gouvernement suédois a catégoriquement refusé l'invitation, déclarant qu’il n’a rien dire à Monsieur Orban avant qu'une décision positive ne soit prise concernant son admission à l'OTAN. Finalement, le 23 février, M. Kristersson s'est rendu à Budapest.
À l'issue des négociations, Viktor Orban a souligné que les accords conclus dans le domaine de la coopération militari-technique "contribuent à restaurer la confiance entre les deux pays". On y retrouve également un accord conclu par la Hongrie d’un achat de quatre nouveaux avions de combat Gripen et de la prolongation de 10 ans de la maintenance de 14 avions de combat suédois déjà en service dans l'armée de l'air hongroise. Trois jours plus tard, le 26 février, le Parlement hongrois a approuvé l'adhésion de la Suède à l'OTAN : 188 députés ont voté pour et seulement 6 contre.
Les partisans de l'élargissement de l'OTAN peuvent donc souffler en toute sérénité. Dans quelques jours, la cérémonie de lever du drapeau suédois devrait avoir lieu au siège de l'OTAN à Bruxelles. Cet événement marque la fin de deux cents ans de non-alignement de Stockholm vis-à-vis des blocs militaires, période au cours de laquelle la Suède est devenue l'un des symboles les plus marquants de l'idée même de neutralité.
La décision de la Suède de mettre fin à sa politique de non-alignement, comme nous l'avons déjà mentionné, ne peut être considérée comme totalement spontanée ni comme une rupture totale avec les fondements et les tendances des dernières décennies. En effet, elle a été prise dans un contexte extraordinaire de choc public après le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais Stockholm évoluait lentement vers cette décision depuis longtemps. Bien comprendre ceci est crucial, surtout dans le contexte de l'élargissement de l'OTAN en 2023-2024, car plusieurs questions essentielles se posent quant à la signification de cet événement dans le contexte international plus large.
Par exemple : Que représente l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN pour les concepts de neutralité et de non-alignement ? Les décisions de Stockholm et d'Helsinki indiquent-elles que la place de la neutralité dans le monde d'aujourd'hui est en déclin ? Les États qui ne font pas encore partie de blocs politico-militaires devraient-ils envisager plus en détail, ou bien même suivre l'exemple de la Suède et de la Finlande ?
Ces questions ne sont pas seulement théoriques. Juste après le déclenchement des hostilités en Ukraine et de l'instauration des premières sanctions antirusses, aussi bien dans les médias que dans les plus hautes sphères politiques, une thèse a émergé : celle de l'incompatibilité de la neutralité dans le conflit entre la Russie et l'Occident au sujet de l'Ukraine. C'est du moins ainsi que Kiev et ses partenaires occidentaux ont formulé leur position. L'explication est simple : les actions de la Russie constituent une violation manifeste de la Charte des Nations unies, ce qui signifie que toute tentative de rester neutre dans le conflit serait interprétée comme une tolérance de ces violations, et par conséquent jugée immorale et illégitime. Sur cette base, ils ont appelé les nations du monde à condamner les actions de Moscou et à se joindre aux sanctions occidentales. Face à la réticence de certains pays à prendre parti dans un conflit qui ne considérait pas comme le leur, l'Ukraine et l'Occident ont, comme attendu, utilisé divers moyens de persuasion et de pression (avec des résultats mitigés). Les résolutions relatives à la guerre votées à l'Assemblée générale des Nations Unies en témoignent clairement.
D'une manière générale, la thèse de "Pas de pays neutres" est vieille comme le monde. Elle résonne toujours aussi fort lors des premières phases des confrontations géopolitiques et militaires à grande échelle.
C’était le cas dans les premières années de la guerre froide, la position des États traditionnellement neutres, comme la Yougoslavie, quand les orientations neutres ont suscités de vives réactions au Kremlin et à la Maison-Blanche. Ces derniers les considéraient non seulement comme nuisibles dans la lutte contre les ennemis idéologiques, mais aussi comme profondément immorales.
Aujourd'hui, il est de nouveau difficile pour les petits États de défendre l'importance de la neutralité en s'appuyant sur leurs traditions historiques ou leur volonté de contribuer à la résolution des conflits, sans parler de leur propre intérêt, parfois différent des parties en conflit. Le cas de la Suisse nous le montre bien. On peut facilement constater à quel point il est difficile pour Berne de maintenir sa politique de neutralité qui, contrairement à la Suède, n'a pas subi de dégradations significatives pendant la guerre froide ou ni même après. D’un côté, la Suisse subit des pressions énormes de la part de l'Occident, mais aussi de la part de Moscou, qui s'est empressée d'ajouter la Suisse parmi aux États ennemis pour avoir adhéré à certaines des sanctions de l'Union européenne.
Au milieu de 2022, le ministre suisse des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, qui était également le président du pays à l'époque, a proposé d'inscrire un nouveau concept de neutralité dans la loi. Ce concept, appelé "neutralité coopérative", visait à moderniser la conventionnelle neutralité suisse. Toutefois, la nature précise de cette proposition reste floue, (bien que le nom l'indique déjà plus ou moins clairement), car elle a été rejetée par les membres du Conseil fédéral suisse. Mais le fait que cette initiative ait été mise en lumière, illustre bien les défis auxquels sont confrontés les États neutres aujourd'hui.
Cette proposition de Cassis suggère que les États neutres ne renonceront pas aisément à leurs politiques s'ils les jugent comme idéales pour leur condition d’environnement de défense. Il est clair qu’ils s’adapteront à toutes sortes d’évolutions et s’ajusteront leur position en conséquence. En effet, contrairement aux grandes puissances, ils sont contraints de s'adapter, car ils ne peuvent pas définir leur environnement de sécurité de manière indépendante. Toutefois, ils n’abandonneront pas aussi facilement une politique qui a été testée pendant des décennies, même plusieurs des siècles.
Cela signifie que ces pays placent toujours leur intérêt national au centre de leurs préoccupations, plutôt que de céder aux pressions, aux souhaits ou aux appels à la morale émanant des participants à certains conflits, même s'il s'agit de superpuissances.
Les cas de la Suède et de la Finlande se distinguent de ceux de la Suisse, de l'Autriche, de Malte, de l'Irlande et d'autres pays qui maintiennent leur adhésion à la neutralité et/ou au non-alignement. Ces derniers défendent leur intérêt national de manière totalement différente dans le contexte géopolitique spécifique qui se développe ses derniers temps.
Dans le même temps, dans les relations internationales, une règle simple persiste. Plus la confrontation entre les acteurs clés est intransigeante et intense, moins les États neutres ont de possibilités et de marge de manœuvre. En Europe, les temps sont donc particulièrement difficiles pour les pays neutres. Cependant, dans d'autres régions du monde, les conditions structurelles sont différentes et les incitations à adopter des politiques de non-alignement ne cessent de croître dans de nombreux pays.
Un exemple frappant est celui de l'Inde. Le pays est désormais un invité bienvenu partout, et les principaux acteurs géopolitiques rivalisent pour inviter Delhi à collaborer. Dans ce contexte, il est tout à fait naturel pour l'Inde de tirer profit de sa position neutre, ce qu'elle fait avec succès.
Cependant, les pays neutres européens doivent dorénavant se battre pour préserver autant d'aspects que possible de leur politique de non-alignement, tout en espérant que leur position suscitera à nouveau sollicitée. Dans ce contexte, les formes et les modalités de la neutralité évoluent inévitablement. Le professeur autrichien Heinz Gärtner, l'un des principaux théoriciens de la neutralité, a estimé qu'il existait plus de 20 types différents de politiques de neutralité. Il est certain que cette liste continuera de s'allonger avec le temps. Des formes traditionnelles de neutralité, établies par les conventions de La Haye au début des années 1900, la neutralité évoluera de plus en plus vers des formes politiques hybrides, telles que la stratégie de couverture.
Il est crucial de reconnaître que, quelle que soit sa forme, la politique de neutralité doit continuer d'avoir sa place au sein des relations internationales.
Dans le contexte de la mondialisation actuelle, qui distingue le monde moderne des réalités de la guerre froide, les grandes puissances opposées finiront par reconnaître l'intérêt mutuel de maintenir des liens avec des pays neutres et non alignés. De plus, sans la participation des États neutres et des acteurs non gouvernementaux, de nombreuses pratiques fondamentales des relations internationales deviendraient impossibles. Ainsi, il est difficile d'imaginer la pleine mise en œuvre du droit international humanitaire sans leur contribution.
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Yauheni Preiherman est le fondateur et directeur du Conseil du dialogue de Minsk sur les relations internationales. Ses principaux intérêts de recherche comprennent la politique étrangère des petits États, les affaires internationales en Europe de l'Est et la sécurité euro-atlantique et eurasienne. Yauheni est un contributeur régulier à l'Eurasia Daily Monitor de la Jamestown Foundation (États-Unis), du Valdai Discussion Club (Russie), du Global Brief (Canada), du Conseil européen des relations étrangères et d'autres publications biélorusses et internationales. Ses articles et commentaires ont été publiés dans Foreign Affairs, Foreign Policy, Kommersant, Vedomosti, Izvestiya, The New York Times, The Washington Post, The Wall Street Journal, The Guardian, HuffPost, El Pais, Politico, The Moscow Times et d'autres publications. Yauheni est membre de plusieurs réseaux de professionnels et d'anciens élèves, notamment le Younger Generation Leaders Network on Euro-Atlantic Security (YGLN), l'Initiative de sécurité collective, le réseau d'anciens élèves de Chevening et la British International Studies Association (BISA). Il est également membre du conseil consultatif de l'Institut international pour la paix (Autriche) et membre du conseil d'experts de la Cyber Industry Association (Biélorussie). Yauheni est titulaire d'un baccalauréat en relations internationales de l'Université d'État de Biélorussie, d'une maîtrise en politique européenne de l'Université du Sussex (Royaume-Uni) et d'un doctorat en politique et études internationales de l'Université de Warwick (Royaume-Uni). Sa thèse de doctorat portait sur les stratégies de politique étrangère des petits États situés entre des centres de gravité géopolitiques et entretenant avec eux des relations asymétriques. Preiherman a développé un modèle théorique innovant de couverture de politique étrangère et une explication de ses sources et limites pour les petits États intermédiaires.
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