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Diplomacy

La bataille de Macron pour son héritage européen

Paris, France, 25-04-2024 : Visite du Président de la République, Emmanuel Macron, pour un grand discours sur l'Europe à la Sorbonne.

Image Source : Shutterstock

by Jacob Ross

First Published in: Apr.26,2024

Jul.03, 2024

Le deuxième discours d'Emmanuel Macron à la Sorbonne a illustré la volonté du dirigeant français à forger un héritage européen qui perdura au-delà de son mandat. Dans cette optique, il a mis en lumière les principales divergences dans la relation franco-allemande.

 

Finalement, le discours prononcé par le président français Emmanuel Macron à la Sorbonne jeudi matin à Paris s'est avéré être typiquement macronien. Trop long, comme l'a admis le président lui-même après une heure de prise de parole. Depuis près de sept ans, traducteurs, analystes et souvent les conseillers de M. Macron eux-mêmes ont eu du mal avec les métaphores et les plans élaborés en trois, quatre ou cinq points exposés par le président. Ce dernier a souvent été critiqué en France pour ne pas réussir à toucher ses concitoyens.

 

Pourtant, il s'agit d'un discours que peu d'autres hommes politiques européens de premier plan pourraient prononcer. Il était émouvant, parfois teinté de colère et de déception, puis à nouveau confiant, parfois même inspirant. Un discours courageux, présentant un éventail d'analyses et de propositions qui abordaient de nombreuses questions cruciales pour l'avenir de l'UE. De la politique de défense aux transitions écologique et numérique de l'économie, en passant par la politique commerciale internationale, la protection des frontières et la politique d'asile. Bien sûr, sans oublier les menaces pesant sur les démocraties libérales occidentales, une préoccupation centrale a dominé ce long discours : la souveraineté de l'Union européenne. Cela faisait écho à son premier discours à la Sorbonne en 2017, qui est resté l'obsession du plus jeune et du plus pro-européen des présidents de l'histoire de France.

 

Des déceptions en matière de politique de défense

 

Dès le début, Macron s’est confronté à ses propres engagements, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la défense, où le renforcement de la souveraineté de l'UE est une priorité cruciale. En 2017, il a avancé des propositions telles qu'une force d'intervention de l'UE, un budget de défense commun, une doctrine pour les forces armées et la promotion d'une culture stratégique européenne. L'évolution de la situation politique mondiale a depuis donné raison à ses positions ; l'invasion de l'Ukraine par la Russie a mis en lumière les lacunes en matière de sécurité, laissant l'Allemagne et d'autres pays exposés depuis 2022. Malgré cela, l'UE n'a toujours pas mis en œuvre les initiatives proposées par Macron. Par conséquent, la sécurité de 450 millions de citoyens européens pourrait à nouveau dépendre de quelques milliers d'électeurs dans les "swing states" américains lors de l'élection présidentielle de novembre.

 

Cependant, selon Macron, des progrès ont été réalisés depuis 2017, sur lesquels il conviendra de s'appuyer après les prochaines élections du Parlement européen en juin. En matière de politique de sécurité, il a cité l'Initiative européenne d'intervention (EI2), à laquelle 13 États membres de l'UE ont adhéré depuis 2017. Cette initiative a surtout été opérationnelle à travers la mission des forces spéciales Takuba, engagée dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel sous commandement français à partir de 2020. Cependant, Berlin a refusé de participer à Takuba, et la mission a pris fin au bout de quelques mois. Son impact a été limité, et l'UE a subi une perte d'influence significative, notamment face à la Russie et d'autres acteurs au Sahel. Bien que Takuba soit présentée comme un succès, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'UE est en mauvaise posture.

 

Des accomplissements à tirer parti pour l'avenir.

 

En revanche, l'initiative visant à renforcer la souveraineté européenne en matière de politique économique, mise en avant par Macron dans son discours, comme on pouvait s'y attendre, a été un véritable succès du point de vue français. L'approbation par le gouvernement allemand de prendre en charge la dette commune de l'UE en 2020, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, est considérée, au-delà des clivages politiques à Paris, comme la plus grande victoire du président en matière de politique européenne depuis 2017. Macron a rappelé que l'ancien ministre des finances et actuel chancelier allemand, Olaf Scholz, avait même évoqué un "moment Hamiltonien" lors d'une interview, en référence à un budget commun permanent de l'UE. Pour Macron, cela demeure une condition indispensable pour une véritable souveraineté de l'UE, et donc un objectif pour les trois années restantes de son mandat.

 

La France est confiante quant à sa capacité à convaincre le gouvernement allemand de franchir cette étape dans les années à venir. Dans son discours, Macron a mentionné à plusieurs reprises un rapport récemment publié par l'ancien Premier ministre italien Enrico Letta. Ce dernier contient des propositions visant à renforcer le marché européen et les investissements communs, et qui pourrait influencer l'agenda de la prochaine Commission européenne.

 

Alors que Macron prononçait son discours sur l'Europe, des journalistes à Bruxelles spéculaient sur son soutien à Mario Draghi, un autre ancien chef de gouvernement italien aspirant à la présidence de la Commission. La présidente actuelle, Ursula Von der Leyen, qui est allemande, n'a pas été mentionnée dans le discours. Draghi présentera également des recommandations pour renforcer la compétitivité de l'UE, ce qui correspond parfaitement aux objectifs de Macron.


Messages adressés au partenaire allemand

 

L'émission commune de dettes conduira inévitablement à un nouveau conflit entre l'Allemagne et la France dans les mois à venir. C'est peut-être pour cette raison que M. Macron a si souvent fait l'éloge de la relation avec l'Allemagne, soulignant la valeur du traité d'Aix-la-Chapelle signé en 2019, la coopération lors de la pandémie et deux projets d'armement communs qui ont récemment évolué.

 

Néanmoins, le président français n'a pas pu s'empêcher de lancer quelques piques. Il a souligné l'importance de l'énergie nucléaire pour l'approvisionnement énergétique de l'UE, salué les initiatives françaises visant à former une "alliance nucléaire" au niveau de l'UE et appelé à l'expansion de “l'Europe de l'atome". Plus surprenante que ce vieux conflit, son allusion à la légalisation du cannabis introduite par le gouvernement de coalition allemand. Il a déclaré que certains partenaires pensaient que la libéralisation de la politique en matière de drogues était une bonne chose, alors que lui pensait l’opposé. À la place, il faudrait plutôt se focaliser sur le renforcement de l'autorité de l'État. 

 

Les failles de la relation franco-allemande


Au-delà de ces considérations politiques, les divergences fondamentales dans la relation franco-allemande ont été clairement mises en lumière lors du second discours à la Sorbonne. Macron a souligné à plusieurs reprises le risque que l'UE devienne un "vassal" des États-Unis, perdant ainsi son indépendance sur la scène mondiale et se réduisant à un simple "recoin de l'Occident". Il a également déclaré que l'ère du libre-échange et de la mondialisation touchait à sa fin, évoquant la triade des dépendances européennes souvent mentionnée en France ces derniers temps, dont la plupart sont dirigées vers Berlin : le gaz russe, les marchés d'exportation chinois et les garanties de sécurité américaines. Il a affirmé que les États-Unis et la Chine bafouaient de plus en plus les règles internationales, que seule l’UE respecte. Selon lui, l'UE agit de manière "naïve", mettant ainsi en péril la compétitivité de ses industries et risquant de causer son propre échec.

 

La peur tangible du déclin, présente tout au long du discours de Macron, ne se limitait pas seulement à l'économie. La vieille crainte des Européens, en particulier des Français, d'être culturellement submergés par les États-Unis s'est également réveillée à de nombreux égards. Le multilinguisme chez la jeunesse européenne, auquel Macron avait fait référence en 2017, est en déclin. Malgré le Brexit, l'anglais reste dominant dans les institutions européennes à Bruxelles, et il est peu probable que cela change à l'avenir, bien au contraire. Grâce à des plateformes telles que Netflix et TikTok, les jeunes à travers l'Europe partagent un langage commun. Macron a souligné que l'UE a presque perdu tout contrôle sur cet espace numérique et qu'elle ne génère pas de contenu. Pire encore que la diminution du multilinguisme, l'UE n’offre plus de récits positifs.

 

Pour les observateurs de la politique française, cela fait écho aux préoccupations de Macron concernant les sondages d'opinion avant les élections européennes. Son parti est nettement devancé par le Rassemblement national, parti d'extrême droite, dont le principal candidat, Jordan Bardella, âgé de 28 ans, jouit d'une popularité particulière auprès des nouveaux électeurs et sur les médias sociaux. Ainsi, le second discours de Macron à la Sorbonne visait également à dynamiser la campagne de la principale candidate de son parti aux élections européennes, Valérie Hayer. Cependant, Macron s'est limité à quelques allusions, probablement aussi parce qu'il est perçu pour la première fois comme un fardeau pour les chances de son parti dans la campagne électorale.

 

Le départ de Macron 

 

En préparant son discours, Macron a certainement dû repenser plusieurs fois son premier discours à la Sorbonne en 2017. Ce nouveau discours marque le début de ses adieux en tant que président de la France. Il lui reste environ trois ans pour concrétiser les promesses optimistes formulées au début de son premier mandat et les transformer en un héritage politique européen qui perdurera au-delà de sa présidence.

 

À la fin de son discours, Macron a cité Hannah Arendt : "La seule manière d'influencer l'avenir" est de "faire des promesses et de les tenir". Depuis 2017, Macron a fait de nombreuses promesses. Indépendamment des opinions divergentes à son sujet, il est indéniable qu'il est un visionnaire comme on n'en a pas vu à la chancellerie allemande depuis de nombreuses années. Peut-être est-ce pour cette raison que le grand Européen, feu Wolfgang Schäuble, ancien ministre allemand des Finances décédé en décembre, souhaitait que Macron prononce un discours en reconnaissance de l'œuvre de sa vie.

 

Cependant, Macron doit encore à l’EU, la deuxième de la citation d'Arendt, soit “la concrétisation de ses promesses” et ce, dans de nombreux aspects et il en est conscient. C'est pourquoi, dans certains passages de son discours, il semblait pressé, comme quelqu'un qui manque de temps. Une autre citation, placée à la fin de son discours, soulève également une question fondamentale, dont la réponse reste incertaine en France : en se référant à la célèbre conférence d'Ernest Renan, également prononcée à la Sorbonne en 1882 et intitulée "Qu'est-ce qu'une nation ?", Macron a appelé l'UE à se questionner sur la définition d'une nation. Il pousse l'UE à se poser cette question cruciale. S'il parvient à insuffler cette réflexion au cours des trois prochaines années, l'UE aura à nouveau quelque chose à offrir, même aux jeunes auditeurs de son discours. Et Macron aurait alors concrétisé sa grande promesse en matière de politique européenne.


First published in :

Internationale Politik Quarterly / Germany

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Jacob Ross

Jacob Ross est chercheur à la DGAP où il se concentre sur la France et les relations franco-allemandes. Il avait initialement rejoint le programme en tant qu'assistant de recherche en juin 2021. Auparavant, il a travaillé comme assistant de recherche à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Bruxelles. Il avait déjà acquis une expérience dans le contexte franco-allemand en travaillant au ministère français des Affaires étrangères et en tant qu'assistant parlementaire de Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale française.

Ross a également reçu l'essentiel de sa formation académique en France : d'abord, dans le cadre d'un double diplôme franco-allemand à l'Institut d'études politiques (IEP) de Lille et, plus tard, à l'IEP de Paris et à l'Ecole nationale d' (Ena) à Strasbourg. Il a également étudié à la School of Advanced International Studies (SAIS) de l’Université Johns Hopkins à Bologne tout en obtenant une maîtrise en relations internationales et en économie.  

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