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La nouvelle doctrine nucléaire russe et ses implications sur le long terme
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First Published in: Nov.25,2024
Dec.16, 2024
Le 19 novembre 2024, des modifications ont été officiellement apportées aux principes fondamentaux de la politique d'État de la Fédération de Russie sur le sujet de la dissuasion nucléaire. La Russie, par le biais de ces nouvelles modifications, a fait passer un message à l'Occident suite à la première utilisation de missiles tactiques d'origine américaine et britannique visant le territoire russe.
À en juger par les actions de la Russie, l'ajustement de sa politique nucléaire s’inscrit dans un plan de riposte progressive, préparé il y a peu de temps, lorsque les États-Unis étaient sur le point d’envoyer leurs missiles en visant le cœur même du territoire russe.
Nous sommes au début d'une dangereuse spirale où les tensions vont croître, ce qui pourrait potentiellement conduire à dans un premier temps un conflit dit « traditionnel », opposant la Russie et les États-Unis, qui serait suivi d'un conflit nucléaire. L'objectif de la doctrine russe est de dés à présent clarifier la nature des futurs signaux russes adressés à son adversaire, ces derniers voulant s’assurer que ces signaux seront correctement interprétés.
En parallèle, de nombreuses modifications qui ont été apportées au document pourraient avoir des conséquences considérables sur les stratégies d'endiguement de tous les États du monde.
De nouveaux défis
Tout d'abord, les changements réalisés ont été déterminés par la révolution technologique qui s'est produite au sein des affaires militaires au cours des dernières décennies. En effet, cette révolution a gommé la distinction entre ce qui était autrefois considéré comme une coopération militaire conventionnelle sur le plan technique ou une coopération militaire et une implication directe dans la guerre.
Cette révolution repose sur le fait que les aspects informationnels et technologiques de la guerre moderne jouent désormais un rôle décisif dans le déroulement des opérations de combat.
La supériorité en matière de renseignement technique, de systèmes de commandement et de
contrôle et de traitement de l'information peut conférer un avantage décisif sur le champ de bataille et avoir un impact positif sur les capacités des armes qui auraient auparavant pu être considérées comme obsolètes.
Une grande puissance qui fournit à son partenaire des renseignements en temps réel, une infrastructure de communication spatiale et des logiciels de commandement, de contrôle et de traitement des données, tout en exigeant un soutien technique permanent, est en mesure de totalement contrôler et diriger les activités d'un allié subalterne.
Avant l'ère numérique, le détenteur des armes les plus sophistiquées pouvait les utiliser comme bon lui semblait, sans que personne ne le sache, du moins tant qu'il était capable de les entretenir lui-même. L'assistance en temps réel en matière de renseignement était pratiquement impossible : des images satellite sur support analogique, que l’on ne peut généralement utiliser qu’uniquement au niveau de commandement stratégique, pouvaient être transmises à un allié.
Désormais, les partenaires financiers américains de l'Ukraine ont la capacité d'aveugler les forces armées ukrainiennes et de paralyser le système de commandement et de contrôle ukrainien d'un simple clic : toutes les frappes à longue portée, y compris celles effectuées par des drones assemblés par l'Ukraine, sont planifiées conjointement et aucune n'est effectuée sans l'approbation des Américains.
Ainsi, toute puissance extérieure qui apporte une aide significative à un belligérant, liée à l'utilisation de systèmes modernes de renseignement, de traitement et de contrôle de l'information par satellite et par voie électronique, est un acteur à part entière de la guerre. Par conséquent, les frappes de représailles contre ses troupes et son territoire sont pleinement justifiées.
Les changements techniques se combinent aux changements politiques. L'évolution du modèle américain de mondialisation, qui se poursuivait jusqu'à récemment, a conduit à l'arrivée au pouvoir dans un certain nombre de pays de véritables « citoyens du monde », prétendant intégrer l'élite mondiale et de n’avoir aucun objectif d’ordre national.
Ces États, sous la direction d'une élite mondialiste qui accumule ses capitaux à l'étranger, sont capables de faire des sacrifices humains et économiques colossaux, et de subir des pertes territoriales importantes pour mettre en œuvre des directives politiques que des pays extérieurs leur imposent.
La longévité de ces régimes peut être significative grâce au puissant système de propagande créé avec l'aide des américains, et à l'utilisation systématique de répressions de masse, d'exécutions extrajudiciaires, de tortures, etc… sanctionnées par les États-Unis.
La Géorgie sous le règne de Saakashvili et l'Ukraine actuelle sont des exemples classiques de mandataires américains modernes qui suivent ce modèle. Ce modèle de relations est bien plus dangereux que les alliances américaines de la guerre froide, lorsque les plus petits partenaires des États-Unis jouissaient d'une liberté presque totale en matière de politique intérieure et tentaient de suivre leurs intérêts nationaux égoïstes.
Solutions
Il ne fait aucun doute que la Russie a le droit de frapper les satellites de reconnaissance et de communication américains, ainsi que les avions de reconnaissance et les drones impliqués dans le soutien informationnel des activités des forces armées ukrainiennes. La seule question qui se pose est celle de la faisabilité de cette mesure pour atteindre les objectifs de l'opération militaire spéciale (OMS).
Le ministère russe des affaires étrangères a déjà déclaré, en particulier, que les satellites occidentaux participant au soutien d'opérations militaires pourraient être des cibles légitimes pour une frappe russe. Les « Principes fondamentaux de la politique d'État de la Fédération de Russie en matière de dissuasion nucléaire », qui ont été mis à jour, étendent cette logique à la sphère de la dissuasion nucléaire.
Les « Principes de base » précisent qu'une agression contre la Russie et/ou ses alliés par un État non nucléaire, menée avec le soutien d'un État nucléaire, est considérée comme une attaque conjointe. D'autres changements concernent les scénarios possibles en ce qui concerne l’emploi futur par l’ennemi d'« États kamikazes », tel que l'Ukraine, contre la Russie.
Il s'agit de la réception d'informations fiables sur le lancement massif (décollage) d'armes d'attaque aérienne de tous types (des drones aux missiles) et de leur franchissement de la frontière russe.
Les États-Unis peuvent rapidement donner à leur mandataire une énorme capacité d’atteindre la Russie en son cœur même avec des drones et des missiles ; même si la Russie détruit complètement l'agresseur immédiat par une frappe de représailles, elle subira de lourdes pertes, et les États-Unis resteront les vainqueurs.
Par conséquent, les États-Unis devraient être la cible d'une frappe de représailles au même titre que l'agresseur immédiat.
Compte tenu de la prolifération généralisée des drones d'attaque à longue portée dans le monde et de la politique américaine consistant à transférer des missiles de croisière à portée intermédiaire et à courte portée à ses jeunes alliés, ce facteur devrait potentiellement créer un nouvel environnement pour les futurs conflits à l'échelle locale.
Étant donné que la capacité de la France et du Royaume-Uni à produire des armes à longue portée sans recourir massivement à la technologie américaine est largement perdue, toute frappe massive à longue portée contre des forces sensibles à l'intérieur de la Russie, réalisée avec des armes occidentales et/ou des big data, devrait se traduire par une frappe contre les États-Unis.
À ce stade, puisque les frappes américaines et européennes à longue portée sur la Russie ont déjà été effectuées, la Russie n'a probablement pas d'autre choix que de transférer à un ou deux pays les armes ou la technologie qui leur permettront de livrer avec fiabilité des charges utiles à l'Amérique du Nord et à l'Europe de l'Ouest : les Américains et les Européens doivent payer. Mais la généralisation d'une telle pratique à l'avenir est l'une des questions importantes de l'ordre mondial de l'après-guerre.
Au cours du conflit actuel, la question de frappes ayant pour cibles les américains se posera probablement, la pratique des frappes américaines par procuration en territoire russe se faisant plus nombreuses et plus grandes.
Un autre changement en lien avec la réponse aux menaces de conflits possibles dans les années à venir a été la spécification des conditions d'utilisation des armes nucléaires en cas d'agression non nucléaire contre la Russie.
Alors qu'auparavant, la condition pour avoir le droit d'utiliser des armes nucléaires était définie de manière extrêmement vague comme « une agression utilisant des armes conventionnelles, lorsque l'existence même de l'État est menacée », il est désormais question d'une « menace critique pour la souveraineté et/ou l'intégrité territoriale » de la Russie et du Belarus.
Comme l'a montré l'expérience de l'opération des forces armées ukrainiennes dans la région de Koursk, les États-Unis peuvent envoyer leurs mandataires mener des opérations qui conduisent à une avancée de plusieurs dizaines de kilomètres en Russie. À l'avenir, chaque opération de ce type devrait être considérée comme une attaque des États-Unis contre la Russie.
Le problème de la définition des critères
La question des « États mandataires » ou « États kamikazes », qui peuvent être rapidement réarmés et lancés dans la bataille sous le contrôle d’un pays extérieur, continuera à se poser.
Cette évolution sera favorisée par le développement des capacités militaires (en particulier celles qui impliquent l'intelligence artificielle, les plateformes autonomes, les systèmes d'armes, etc.) conjugué au perfectionnement des méthodes de contrôle sociétal.
La Russie n'est pas la seule à devoir faire face à ce problème. À long terme, il sera difficile de définir des critères pour le niveau de « soutien » d'un État nucléaire à un pays non nucléaire, à partir duquel les actions du partenaire non nucléaire deviennent une agression conjointe.
On peut probablement parler d'une combinaison de conditions politiques, économiques et militaro-techniques, à partir de laquelle le « partenaire non nucléaire » ne peut plus être considéré comme un participant distinct dans les relations internationales. Ainsi, la responsabilité de toute attaque significative de sa part sur le territoire russe ou bélarussien devrait être assumée par l'État protecteur.
Ces critères doivent être logiques et transparents, et leur élaboration et leur annonce devront probablement être faites à l'avance. Peut-être cette pratique gagnera-t-elle en popularité dans le monde futur - un monde instable - comme moyen de protéger les territoires nationaux des grandes puissances contre les attaques, réduisant ainsi le potentiel d'utilisation des « États de service ».
First published in :
Docteur en sciences politiques, directeur du Centre d'études approfondies européennes et internationales, Université HSE, membre du RIAC.
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