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Diplomatie
Mur du Sahara occidental au Maroc, Sahara occidental. 22 mars 2008 : Manifestation pour l'indépendance du Sahara Occidental devant le mur marocain

Sahara Occidental : 48 Ans Après, Toujours en Quête de Paix

by María López Belloso

Dans un monde marqué par une montée des tensions et des conflits, que ce soit à Gaza, en Ukraine ou au Yémen, le 48e anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique le 27 février dernier nous exhorte à méditer sur l'importance de la paix dans un contexte où l'escalade de la violence risque de surpasser toute possibilité d'harmonie internationale. Paradoxallement, le conflit au Sahara occidental semble ne pas susciter autant d'attention de la part de la communauté internationale que d'autres foyers de conflit. En témoigne le rapport annuel 2022 de l'International Crisis Group, qui n'a pas inclus le conflit sahraoui parmi les 10 conflits à surveiller en 2023, de la même manière qu'il n'a pas anticipé la crise à Gaza. Dans le panorama mondial actuel, la quête de la paix se trouve à un carrefour, constamment mise en péril par les multiples conflits qui émergent aux quatre coins du globe. Des horreurs du génocide en direct à Gaza aux affrontements dévastateurs en Ukraine et au Yémen, l'escalade de la violence est indéniable. Cependant, ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Selon l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève, il y a actuellement plus d'une centaine de conflits armés en cours dans le monde, dont sept en Europe et quarante-cinq en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. De plus, lors de la récente Conférence de Munich sur la sécurité, qui a rassemblé plus de 350 participants de haut niveau venant de plus de 70 pays, l'incohérence de la politique étrangère a été clairement exposée. Cette incohérence s'est manifestée à travers l'application sélective du droit international, notamment dans les conflits en Ukraine et en Palestine, démontrant ainsi un double standard préoccupant. Un Plaidoyer pour la Paix et le Dialogue Malgré le leitmotiv de cette conférence, amorcée en 1963, axé sur "La paix par le dialogue", ces notions semblent avoir disparu de l'équation, éclipsées par un échange d'accusations et des appels au renforcement militaire. Seule la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Layen, a abordé la question du coût démocratique de la situation mondiale actuelle, se questionnant sur la pérennité de la démocratie à l'échelle mondiale et sur notre capacité à défendre nos valeurs communes. Dans ce contexte, l'anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique revêt une importance singulière, nous rappelant avec insistance la nécessité pressante de favoriser la paix plutôt que la discorde. À travers les décennies, le peuple sahraoui a maintenu un engagement inébranlable en faveur de la paix, malgré les provocations et les violations d'accords perpétrées par le Maroc. Son désir ardent d'un avenir pacifique s'est illustré de manière éloquente par sa participation aux efforts de résolution des conflits et par sa persévérance constante dans la recherche de voies pour la négociation de la paix. Face à l'adversité, les Sahraouis ont démontré une résilience remarquable, réaffirmant leur dévouement envers la stabilité régionale. Dans un contexte où l'histoire semble s'effacer de la mémoire collective, il est crucial de se rappeler que cela fait désormais 48 ans que le conflit a débuté aux portes de l'Europe, laissant plus de 250 000 personnes luttaient pour leur survie dans les camps de réfugiés de Tindouf. Ces réfugiés, de plus en plus négligés par les bailleurs de fonds et la communauté internationale, sont dans l'oubli. Alors que des figures emblématiques comme Aminetu Haidar, internationalement reconnue pour sa résistance pacifique et son combat pour les droits de l'homme, continuent d'incarner l'espoir du peuple sahraoui, nous rappelant que la paix reste un objectif fondamental malgré les provocations et les défis, la décision de la communauté internationale de nommer le Maroc à la présidence du Conseil des droits de l'homme soulève des questions cruciales. Cette action semble faire le jeu de la blanchiment du Maroc, occultant les violations des droits humains persistantes dans la région. Les Subtilités des Relations Internationales Le récent périple du Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, au Maroc, a suscité des interrogations quant à son engagement envers le respect du droit international. Le fait d'ignorer l'occupation et l'exploitation du territoire sahraoui par le Maroc ne contredit pas seulement les principes fondamentaux, mais met également en lumière la complexité des relations internationales dans un monde de plus en plus interconnecté. Dans ce contexte critique, la nécessité d'espaces de réflexion pour éclairer ce sombre panorama devient impérieuse. Bientôt, l'Université de Deusto accueillera la conférence "Sahara Occidental : Exploration de Nouvelles Perspectives en Droit International et en Relations Internationales" afin d'analyser les complexités de la situation dans le Sahara Occidental, d'explorer de nouvelles avenues et de rechercher des solutions dans le domaine du droit international et des relations internationales. Il s'agira d'un forum de dialogue constructif, porteur de l'espoir de trouver des voies vers la paix et la justice dans une région marquée par la controverse. Pour paraphraser Hannah Arendt, "dans les périodes sombres", il est impératif de se rappeler que la paix et la coopération internationale sont fondamentales pour bâtir un avenir durable et équitable. La situation au Sahara Occidental nous offre l'opportunité de réfléchir à la manière dont nous pouvons progresser vers un monde où le respect du droit international et la résolution pacifique des conflits deviennent la norme, et non l'exception.

Diplomatie
Carte des pays avec des élections en 2024

Éveil Démocratique en Afrique : Les Moments Clés de l'Année de Transition

by José Segura Clavell

L'année 2024 a débuté de manière intense, annonçant une période extrêmement chargée pour le continent voisin. Jusqu'à 18 pays se préparent à organiser des élections générales, dans un contexte de polarisation mondiale où les démocraties sont soumises à de fortes pressions, confrontées à la montée du populisme et à l'influence grandissante de nations telles que la Russie, la Chine et la Turquie en Afrique. Ce n'est pas chaque année que le continent africain se trouve confronté à un calendrier électoral aussi crucial et dense que celui qui se profile en 2024. En effet, pas moins de 18 élections générales sont prévues cette année sur le continent. Les Comores, le Mali, le Sénégal, l'Afrique du Sud, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Rwanda, le Mozambique, le Botswana, le Tchad, la Tunisie, Maurice, la Namibie, le Ghana, l'Algérie, la République de Guinée, le Sud-Soudan et la Guinée-Bissau ont déjà franchi cette étape cruciale, sont en train de la franchir, ou sont sur le point de la franchir au cours des douze prochains mois. Je maintiens fermement que l'année en cours revêt une importance transcendante, car le test de la démocratie pour chacun de ces pays se déroule dans un contexte de polarisation mondiale sans précédent, dans un monde dans lequel les tendances populistes semblent être récompensées de plus en plus. En toile de fond de notre observation des multiples processus électoraux en cours, nous sommes conscients que dans de nombreux pays, des lacunes dans la culture démocratique peuvent être discernées. Cela suscite un débat fondamental parmi les Africains eux-mêmes, qui nous interpelle directement en Occident. Ne tentons-nous pas d'imposer un modèle de démocratie qui, comme le montrent tant de pays africains, ne s'est pas avéré efficace ? Ce débat, complexe sans aucun doute, ne permet guère de nuances à mes yeux en tant que démocrate. Ce qui importe avant tout, c'est que le peuple puisse participer à son gouvernement et exprimer son opinion en toute liberté, sans être soumis à la coercition, aux menaces ou à des conditions restrictives. Cependant, il est essentiel de considérer tous ces processus également sous un angle géopolitique. L'Europe, traditionnellement attachée aux normes démocratiques, voit son influence décliner en Afrique. Les lacunes laissées par l'Union européenne ont été exploitées par des pays tels que la Chine, la Russie ou la Turquie, qui ne se retiennent pas de violer les procédures démocratiques et les droits de l'homme. L'influence russe en Afrique ne se limite pas à des aspects militaires ; ses activités d'ingérence, notamment dans la désinformation, ont sapé les efforts démocratiques que nous, Européens, avons longtemps promus et inspirés. Quant à la Chine, dont l'ascension mériterait un examen approfondi à part entière, sa domination se manifeste principalement sur le plan économique, surtout à travers l'octroi de prêts et de crédits massifs. Il est manifeste que parmi les jeunes Africains, une analyse critique approfondie du colonialisme et de ses répercussions persistantes sur leurs pays est en train de s'épanouir. En Afrique de l'Ouest, région qui nous concerne directement, cette prise de conscience nous amène inévitablement à considérer le rôle de la France, largement remis en question à travers tout le Sahel. Cette remise en question affecte également l'image de tous les pays que l'on pourrait regrouper sous le terme "Occident", qu'ils aient une histoire coloniale ou non. Cela devrait nous inciter à réfléchir sérieusement sur les méfaits du passé colonial et sur l'égoïsme qui a caractérisé nos interactions, Européens, avec le continent africain, où nos intérêts commerciaux et géopolitiques prévalaient souvent. Il n'y a pas si longtemps, et même si cela peut être difficile à entendre, c'est là que nous avons traqué et capturé des individus pour les réduire à l'état de marchandises dans un odieux commerce d'êtres humains.  Certains de ces processus électoraux auront lieu dans des régions d'une importance capitale pour notre pays, tel que notre voisin le Sénégal, qui est actuellement l'un des principaux points de départ pour de nombreuses personnes qui prennent la mer à bord de petites embarcations et de "cayucas" pour rejoindre nos côtes. Alors que j'écris ces lignes ce matin (vendredi 26 janvier), malgré une violente tempête et une mer agitée, les "cayucas" continuent d'arriver aux îles Canaries, avec six d'entre elles signalées au cours des dernières heures, transportant plus de 300 personnes, dont l'une a été retrouvée à l'île d'El Hierro avec deux cadavres à bord. Le drame persiste, et il est d'autant plus difficile à accepter au milieu des festivités de Fitur, où nous célébrons les perspectives prometteuses de l'industrie touristique. Il ne reste qu'un mois avant un scrutin crucial pour le Sénégal, ce pays ami qui, il y a encore quelques années, était considéré comme un phare de la démocratie en Afrique de l'Ouest. Comme l'a souligné le journaliste José Naranjo, basé à Dakar, dans un récent article pour El Pais, ces élections représentent un moment historique pour le Sénégal, marqué par une ouverture politique sans précédent. De nombreux migrants sénégalais qui ont atteint les îles Canaries au cours de cette année record en 2023 ont cité le climat politique et ses répercussions sur les économies locales comme l'une des principales raisons qui les ont poussés à risquer leur vie en mer. Ainsi, l'issue des élections et leur acceptation revêtent une importance cruciale pour ces individus et pour la stabilité régionale. Ensuite, nous examinons les pays du Sahel. La situation qualifiée de "non démocratique" dans des nations telles que le Mali, le Burkina Faso, le Niger ou le Tchad est d'une complexité extrême, reflétant le contexte géopolitique tendu dans lequel ils évoluent. Ce contexte est marqué par la montée du terrorisme, avec la pression exercée par des groupes tels qu'Al-Qaïda et l'État islamique, et une crainte de plus en plus réelle de leur expansion vers les pays côtiers d'Afrique de l'Ouest, tels que la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Togo ou le Bénin. De plus, il y a le retrait européen de la région et le rapprochement subséquent avec la Russie de la part des pays actuellement gouvernés par des juntes militaires. Dans le Sahel, trois pays s'apprêtent à organiser des élections générales en 2024 dans l'espoir de rétablir la voie de la démocratie : le Mali, le Burkina Faso et le Tchad. Au Mali et au Burkina Faso, la situation est quasiment identique : après deux coups d'État dans chacun de ces pays, les juntes militaires résultantes ont expulsé les missions militaires européennes qui les assistaient dans la lutte contre le terrorisme et se sont rapprochées de la Russie. Confrontés aux sanctions de la communauté internationale et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ces pays non seulement reportent les élections (dans le cas du Mali), mais font également valoir que, compte tenu du contexte critique de la lutte contre les forces djihadistes, l'organisation d'élections n'est pas une priorité.  Parmi nos voisins sahéliens, la Mauritanie occupe une place particulière en raison de ses liens étroits, à la fois économiques et affectifs, avec l'archipel des Canaries. Contrairement à ses voisins, la Mauritanie se distingue par le fait qu'elle est gouvernée non pas par une junte militaire, mais par un président démocratiquement élu. L'actuel dirigeant, Mohamed Ould Ghazouani, est arrivé au pouvoir en 2019 à la suite d'élections considérées comme libres et transparentes par les observateurs internationaux. Ghazouani a promu une ouverture politique graduelle, marquée par la libération de prisonniers politiques, le retour des exilés et le dialogue avec l'opposition. Cependant, le pays demeure confronté à des défis majeurs tels que la menace du terrorisme djihadiste, la pauvreté, l'esclavage et la discrimination ethnique. Les élections présidentielles sont prévues pour le 22 juin, et bientôt, nous verrons notre Premier ministre, Pedro Sánchez, effectuer une visite officielle dans le pays. L'Afrique du Sud se prépare également à des élections cruciales cette année, prévues pour octobre. Le parti au pouvoir, l'Africain National Congress (ANC), qui a joué un rôle majeur aux côtés de Nelson Mandela dans la lutte contre le régime de l'apartheid, fait face à son plus grand défi depuis la fin de cette ère sombre de l'histoire sud-africaine. Les sondages suggèrent qu'il pourrait perdre sa majorité absolue au Parlement pour la première fois. Des scandales de corruption, des problèmes économiques tels que l'inflation, le chômage et les coupures d'électricité, ainsi que les profondes inégalités qui persistent dans la société sud-africaine, semblent avoir ébranlé le soutien traditionnellement solide dont bénéficiait le parti, désormais dirigé par le président Cyril Ramaphosa. Il est crucial de se rappeler que l'Afrique du Sud, aux côtés du Nigeria, est un moteur économique essentiel sur le continent africain et joue déjà un rôle de premier plan sur la scène mondiale et géopolitique. Sa décision audacieuse de poursuivre Israël pour génocide contre les Palestiniens devant la Cour internationale de Justice l'a placée sous les projecteurs, la positionnant comme une voix majeure du sud mondial à un moment où cette voix gagne en importance sur la carte géopolitique mondiale. Tout ceci souligne l'importance cruciale des élections qui se déroulent dans des pays clés de notre voisinage, chacun avec son propre passé et contexte complexe que nous devons suivre attentivement. En effet, cette année, les élections aux États-Unis ne sont pas les seules à retenir notre attention. Les événements qui se déroulent en Afrique sont également d'une grande pertinence pour nous.

Défense et Sécurité
La frontière israélo-libanaise le long de la route côtière, au sud d'Enn Naqoura

La Lutte pour les Frontières : Tensions et Négociations avec le Liban

by Orna Mizrahi , Stephane Cohen

La démarcation de la frontière terrestre entre Israël et le Liban est une étape cruciale et indispensable, mais se doit-elle d'être entreprise sous la menace de l'hostilité ? Dans ce document, les chercheurs de l'INSS abordent cette question et exposent en détail le contexte ainsi que les points de divergence entre les deux pays sur cette question sensible. Dans le cadre des efforts déployés par les États-Unis pour recourir à des moyens diplomatiques en vue de mettre fin aux combats qui sévissent depuis près de cinq mois entre Israël et le Hezbollah, l'établissement d'une frontière convenue entre Israël et le Liban est devenu un sujet incontournable. Le gouvernement libanais aspire ardemment à inclure la démarcation de la frontière dans tout accord de cessez-le-feu, adoptant ainsi la même ligne politique que le Hezbollah, conditionnant la fin des hostilités à l'arrêt des opérations israéliennes dans la bande de Gaza et adoptant une position maximaliste et inflexible sur la question frontalière. Les négociations relatives à la délimitation de la frontière terrestre entre les deux nations risquent d'être ardues en raison de la complexité du sujet et des divergences significatives entre les parties. Il serait donc inopportun de les mener sous la menace de l'hostilité. Cependant, dans le cadre d'un accord visant à mettre fin au conflit, il est envisageable d'inclure un mécanisme pour aborder cette question à une étape ultérieure, une fois que les affrontements à la frontière israélo-libanaise se seront apaisés. De plus en plus préoccupés par la possibilité d'une escalade des combats entre Israël et le Hezbollah, avec le risque d'une guerre totale, les États-Unis s'emploient à favoriser une approche diplomatique en vue d'instaurer un cessez-le-feu. La France, ainsi que plus récemment le Royaume-Uni et l'Allemagne, se sont joints aux efforts américains. Cette initiative a été confiée à Amos Hochstein, conseiller étroit du président Joe Biden, qui a déjà joué un rôle crucial dans la négociation de l'accord maritime entre Israël et le Liban signé en octobre 2022. À la demande des autorités libanaises, M. Hochstein a tenté, au cours de l'année écoulée, de répéter ce succès en encourageant les parties à parvenir à un accord sur la délimitation permanente de la frontière terrestre. Jusqu'à présent, ces efforts n'ont pas abouti. Beyrouth a dernièrement remis sur la table la question de la démarcation de la frontière terrestre entre Israël et le Liban, dans le cadre des efforts pour obtenir un cessez-le-feu entre Tsahal et le Hezbollah. Ces deux parties se sont engagées dans des combats limités le long de la frontière nord d'Israël depuis le déclenchement du conflit le 8 octobre. Les affrontements se poursuivent depuis lors, en parallèle avec la guerre à Gaza. Lors de leurs entretiens avec les responsables américains, le Premier ministre libanais par intérim, Najib Mikati, et son ministre des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, ont salué l'engagement du gouvernement de Biden à faciliter les négociations en vue d'un cessez-le-feu et de la restauration de la stabilité dans le sud-Liban. Ils ont affirmé leur engagement envers une résolution diplomatique, soulignant l'importance du respect des décisions internationales, notamment la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans le même temps, ils ont adopté une position ferme, se trouvant contraints de suivre la ligne du Hezbollah. Non seulement ils ont conditionné la fin des hostilités à la frontière libanaise à l'arrêt des opérations des Forces de Défense Israéliennes (FDI) dans la bande de Gaza, mais ils ont également formulé des exigences strictes concernant la démarcation de la frontière terrestre. Leur position de fermeté est indiscutable. Lors de leurs rencontres diplomatiques et des entretiens accordés aux médias, Mikati et Habib ont tous deux insisté sur le retrait total d'Israël de tout territoire libanais. De plus, ils ont fait référence à la frontière établie à l'époque du mandat, conformément aux accords d'armistice de 1949, comme point de référence, plutôt que de se baser sur la ligne bleue définie par les Nations unies en 2000, tout en gardant l'esprit ouvert quant à un éventuel accord frontalier futur. Des informations relayées par les médias israéliens et libanais suggèrent que cette question a également été abordée lors des récentes visites de Hochstein en Israël (le 4 janvier et à nouveau le 4 février) et à Beyrouth (le 11 janvier). Cependant, pour l'instant, le Hezbollah et, par extension, le gouvernement libanais demeurent fermes : ils ne chercheront pas de solution diplomatique tant que le conflit à Gaza se poursuivra. Processus de Délimitation de la Frontière entre Israël et le Liban La frontière entre Israël et le Liban, s'étendant sur environ 120 km, a été établie il y a plus d'un siècle dans le cadre de l'accord franco-britannique sur les frontières obligatoires, conclu à Paris en décembre 1920. Cet accord a été le fruit d'un partage de territoires entre les deux puissances européennes, suite au démantèlement de l'Empire ottoman. Il a permis de définir les limites entre le Liban et la Syrie (sous mandat français) d'une part et la Palestine (sous mandat britannique) d'autre part, de la mer Méditerranée jusqu'à Hama. Hama constituait alors le point de jonction entre ces territoires, formant ainsi le triangle frontalier entre Israël, la Syrie et la Jordanie que nous connaissons aujourd'hui. L'accord a défini le tracé général de la frontière, et les parties ont convenu de mettre en place une commission mixte chargée de délimiter précisément la ligne frontalière. Cette commission, dirigée par deux officiers, le lieutenant-colonel français Paulet et le lieutenant-colonel britannique Newcombe, a entrepris cette tâche. Après un an de travail méticuleux, la commission a achevé la délimitation de la frontière, et en mars 1923, un accord final a été approuvé par les deux pays. Ce dernier a été ratifié en 1935 par la Société des Nations. Cependant, le système utilisé par la commission pour délimiter la frontière s'est avéré obsolète et problématique, engendrant d'importantes incohérences. Bien que la frontière tracée ne correspondait pas entièrement à celle convenue à Paris en 1920, elle a été matérialisée sur le terrain à l'aide de tas de pierres. Ces tas ont par la suite été remplacés par 71 bornes frontières (BP), dont 38 ont été installées le long de la frontière israélo-libanaise. Il est important de noter que la plupart de ces bornes ont depuis disparu ou ont été endommagées, rendant toute tentative ultérieure de démarcation particulièrement difficile. Pendant toute la période du mandat, jusqu'à l'indépendance d'Israël et du Liban, la frontière définie par la commission a été reconnue comme une frontière internationale. Cette même frontière a également été utilisée dans l'accord d'armistice de mars 1949 entre Israël et le Liban. Cet accord, auquel les Libanais se réfèrent aujourd'hui comme point de repère pour la délimitation, n'était pas une démarcation détaillée de la frontière. Il énonçait simplement que "la ligne d'armistice suivrait la frontière internationale". Autrement dit, il faisait référence à la frontière tracée par les deux puissances mandataires et approuvée en 1923. Après le retrait des Forces de Défense Israéliennes (FDI) du Liban en mai 2000, dans le cadre de la mise en œuvre de la résolution 425 (1978) du Conseil de sécurité, les Nations unies ont tenté de délimiter la ligne de retrait des FDI en engageant une équipe de cartographes. Cette équipe a tracé ce qui est devenue la Ligne bleue, laquelle, à plusieurs endroits, s'écarte de la frontière de l'époque du mandat, se basant sur des données cartographiques et sur l'interprétation des membres de l'équipe. Bien qu'Israël et le Liban aient tous deux accepté la Ligne bleue comme ligne de retrait des forces de défense israéliennes du sud-Liban, le Liban a exprimé des réserves, ce qui a engendré des tensions entre les deux parties. L'approche de l'ONU consiste à reconnaître une ligne frontalière sur laquelle les deux parties s'accordent, mais il est peu probable que le Liban accepte la Ligne bleue comme base, préférant probablement la ligne de 1949. Après la deuxième guerre du Liban en 2006, Israël et le Liban ont convenu de matérialiser physiquement la Ligne bleue sur le terrain. À cette fin, un comité professionnel a été constitué. Ce comité a identifié précisément l'emplacement de 470 points de référence le long de la Ligne bleue, soit environ quatre points par kilomètre. L'objectif du marquage de la frontière à l'aide de barils bleus était de rendre la frontière claire pour la population locale, le personnel militaire et les Nations unies, et de prévenir tout franchissement ou toute violation involontaire de la Ligne bleue. Cependant, jusqu'à présent, seuls approximativement la moitié des points de référence (plus de 270) ont été matérialisés avec des barils. Chaque baril a été installé après examen de sa position exacte par le Liban et Israël, et après leur accord mutuel. Points de discorde entre Israël et le Liban le long de la frontière Après la délimitation et la matérialisation de la Ligne bleue, le Liban a émis des réserves concernant 13 points le long de cette frontière, couvrant une superficie totale de 485 000 mètres carrés (sans inclure le territoire situé dans le triangle frontalier avec la Syrie au-delà de la ligne d'armistice de 1949). À ce jour, cette question demeure le principal point de discorde entre les deux pays. Selon les autorités libanaises, ces points s'éloignent de la frontière établie par l'accord d'armistice de 1949 (voir carte en annexe A). Au fil des années, ces points ont été largement débattus lors des rencontres entre les parties dans le cadre des réunions tripartites et du mécanisme de coordination mis en place par la FINUL. À plusieurs reprises, il a été rapporté que des accords avaient été conclus sur sept de ces points (bien que cela n'ait pas été officiellement annoncé). En juillet 2023, avant le début du conflit actuel, le ministre libanais des Affaires étrangères a déclaré qu'un accord avait été trouvé sur sept des 13 points litigieux, laissant six points à résoudre. Deux mois plus tard, l'armée libanaise a pourtant publié une déclaration officielle, affirmant toujours considérer les 13 points comme des violations commises par Israël. Selon les Libanais, ces points couvrent des territoires qui, du côté libanais de la ligne d'armistice de 1949 et de la Ligne bleue, auraient été occupés par Israël. Ils ont précisé que rien n'avait encore été définitivement résolu à ce sujet. De plus, l'armée a souligné que les représentants du mécanisme de coordination tripartite n'avaient pas l'autorité requise pour entériner une telle décision. Récemment, lors des négociations en cours, cette question a été de nouveau évoquée lors d'une interview accordée par Mikati. Le 1ᵉʳ février, il a énoncé que sept des 13 points litigieux avaient déjà été réglés, mais que les positions des deux parties restaient fortement divergentes concernant les six points restants. Cinq jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères a avancé un argument similaire. Le tableau ci-dessous présente les 13 points litigieux, la plupart desquels pourraient être résolus avec un peu de bonnes volontés de la part des deux parties. Cependant, un certain nombre de points revêtent une importance stratégique et seront donc plus difficiles à résoudre, en particulier le premier point près de la côte à Rosh Hanikra (B1), en raison de sa position stratégique cruciale pour les deux parties. C'est l'une des raisons pour lesquelles Israël a demandé, dans le cadre de l'accord maritime, de maintenir le statu quo sur ce point spécifique, initialement prévu comme point de départ de la démarcation maritime, et de reporter les discussions à ce sujet jusqu'à ce que des négociations aient lieu sur la frontière terrestre. Tableau : Réserves libanaises sur la démarcation de la Ligne bleue  Selon certains rapports récents, en plus des 13 points contestés précédemment connus, le Liban aurait présenté d'autres violations israéliennes, exigeant le retrait d'Israël de 17 autres zones situées au-delà de la Ligne bleue. Il est à noter que certaines de ces zones correspondent aux 13 points de contestation initiaux. Cette position diverge de celle exprimée récemment par le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères libanais, qui faisaient référence uniquement aux 13 zones contestées auparavant mentionnées. Les détails de ces nouveaux points, tels que rapportés par le journal Al-Akhbar, affilié au Hezbollah, sont disponibles en annexe B.Outre les points litigieux le long de la frontière israélo-libanaise, le plateau du Golan est également au cœur de plusieurs contestations importantes. Les Libanais revendiquent des zones prises par Israël à la Syrie en 1967, lors de la guerre des Six Jours, dans le triangle frontalier entre Israël, le Liban et la Syrie. Selon Beyrouth, Israël doit restituer ces territoires qu'il revendique comme siens avant toute résolution du conflit avec la Syrie, qui a choisi de ne pas aborder la question pour le moment. La situation dans ces régions est encore compliquée par la loi sur le Golan, adoptée par Israël en 1981, qui officialise le changement de statut juridique du Golan et détermine que la région relève de la loi, de la juridiction et de l'autorité israéliennes.Ces différends constituent une partie essentielle du discours du Hezbollah. L'organisation affirme qu'elle lutte pour la libération d'une plus grande partie du territoire libanais de l'occupation israélienne, tout en exploitant et en accentuant les différends déjà intenses entre Beyrouth et Jérusalem dans le cadre de son conflit avec Israël. Par conséquent, il n'est pas surprenant que de nombreuses attaques militaires du Hezbollah au cours des presque cinq derniers mois de combats aient également visé les zones du mont Dov et des fermes de Chebaa. Ces deux zones revêtent une importance capitale :La partie nord du village de Ghajar : Le Liban revendique la souveraineté sur cette portion, qui est située à la frontière originelle entre la Syrie et le Liban. Cette revendication n'est pas dénuée de fondement, car la Ligne bleue coupe effectivement le village selon les observations des cartographes de l'ONU en 2000, basées sur les cartes en leur possession. Ainsi, la partie nord du village se trouve sur le territoire libanais, bien qu'elle ait été occupée par les forces israéliennes venant de Syrie en 1967, et que ses habitants soient majoritairement alaouites. Les tensions ont augmenté après septembre 2022, lorsque Israël a érigé une clôture au nord du village pour prévenir les infiltrations en provenance du Liban. Cette clôture a été installée en coordination avec les FDI, qui ont pris en compte les préoccupations des habitants concernant la division de leur village. Ils ont également veillé à ce que l'entrée au village ne soit possible que par un poste de contrôle de la police des frontières et de l'armée. Bien que la fermeture de la partie nord ait permis d'ouvrir le village aux visiteurs, le Liban réclame aussi un territoire à l'est du village.Contrairement à la position officielle du Liban, le Hezbollah revendique par ailleurs d'autres territoires israéliens qu'il souhaite "libérer de l'occupation". Il s'agit de sept villages chiites en Haute Galilée qui ont été abandonnés ou évacués, puis capturés par Israël pendant la guerre d'indépendance en 1948. Il est important de noter que ces villages ne sont pas mentionnés dans les déclarations officielles de Beyrouth concernant le différend frontalier avec Israël. Cependant, il est probable que même après la résolution du différend sur la délimitation de la frontière entre les deux pays, le Hezbollah continuera à désigner ces villages comme des territoires libanais occupés. Cette revendication fait partie intégrante de ses efforts pour maintenir son statut de "défenseur du Liban" et sera utilisée pour inciter à l'hostilité envers Israël.Du point de vue israélien, il serait inapproprié de négocier la délimitation de la frontière sous la menace de l'ennemi. Bien que la question de la démarcation de la frontière ait été soulevée dans le cadre des efforts diplomatiques visant à mettre fin aux combats entre le Hezbollah et Israël, la partie libanaise (et semble-t-il les médiateurs) l'a avancée comme l'un des points qu'Israël pourrait offrir pour encourager un cessez-le-feu. Cependant, étant donné l'escalade en cours et la menace d'une guerre totale, il paraît peu avisé pour Israël d'engager des négociations sur la future frontière terrestre dans le cadre des pourparlers pour obtenir un cessez-le-feu, malgré l'importance d'un accord sur la résolution de cette question. Plusieurs raisons justifient cette position :Le facteur temps joue un rôle crucial : les négociations sont susceptibles d'être prolongées et complexes, en raison des désaccords profonds persistants, notamment sur trois points clés : Rosh Hanikra (B1), le village de Ghajar et les fermes du Mont Dov/Shebaa. Ces pourparlers ne progresseront pas rapidement et ne mèneront pas à un cessez-le-feu imminent, surtout compte tenu de la ligne dure actuellement adoptée par la partie libanaise. Israël, de son côté, cherche à mettre fin aux hostilités sans délai afin de permettre le retour rapide des habitants évacués dans le nord. Cet argument vise également à convaincre les Américains, qui aspirent également à un cessez-le-feu prompt pour éviter une escalade régionale.Une victoire pour le Hezbollah et une perte de levier de négociation pour Israël : Si Israël était contraint de céder ne serait-ce qu'un petit territoire au Liban à la suite du conflit actuel, cela renforcerait le sentiment de réussite du Hezbollah, ainsi que son prétendu rôle de "protecteur du Liban". Cela renforcerait aussi son argument en faveur du maintien d'une organisation armée, en dépit des souhaits exprimés par les citoyens libanais de voir le Hezbollah remettre ses armes à l'armée libanaise. En outre, Israël perdrait une carte maîtresse dans les négociations à venir concernant la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment en ce qui concerne son désir de voir le Hezbollah se retirer au nord du fleuve Litani. Il en irait de même pour une résolution partielle, comme celle concernant les sept points frontaliers où un consensus a été trouvé. Le Hezbollah pourrait présenter cette solution comme une "victoire", mais les désaccords sous-jacents et les raisons du conflit continueraient de peser sur la région.Il n'existe pas d'interlocuteur officiel du côté libanais avec qui Israël puisse conclure un accord, en raison du vide politique qui sévit. Depuis les dernières élections au Liban en mai 2022, un gouvernement de transition est en place, et depuis la fin du mandat du président Michel Aoun en octobre 2022, le Liban n'a toujours pas élu de successeur. Conformément à la constitution, c'est au président libanais qu'incombe le pouvoir de signer de tels accords ; c'est d'ailleurs Aoun qui a signé l'accord sur la frontière maritime avec Israël lors du dernier jour de son mandat. De même, les opposants à tout accord avec Israël pourraient contester l'autorité du gouvernement intérimaire actuel à engager des négociations sur toute question avec Israël.En conclusion, parvenir à un accord sur le tracé de la frontière terrestre entre Israël et le Liban revêt une importance cruciale pour façonner une nouvelle réalité régionale. Cependant, il serait injuste d'engager des discussions complexes sur cette question, et encore moins d'accepter un accord partiel impliquant une cession de territoires par Israël, tant que le Hezbollah n'aura pas accepté de mettre fin aux combats actuels, qu'il a déclenchés. Par conséquent, Israël doit rejeter toute tentative d'inclure cette question dans les accords préliminaires sur un cessez-le-feu et doit insister pour que les négociations sur la démarcation de la frontière terrestre n'aient lieu qu'à un stade ultérieur.Annexe A Carte des zones contestées selon la partie libanaiseAnnexe B Allégations libanaises de violations israéliennes le long de la Ligne bleueNote : Il s'agit de zones qu'Israël occupe actuellement et qui, selon les Libanais, violent la Ligne bleue. Cette liste a été publiée le 7 septembre 2023 par le journal Al-Akhbar, affilié au Hezbollah.[1] “It’s time to talk about the Blue Line: Constructive re-engagement is key to stability,” March 5, 2021, https://unifil.unmissions.org/it%E2%80%99s-time-talk-about-blue-line-constructive-re-engagement-key-stability[2] Haim Srebro, True and Steady: Mistakes in the Delimitation of the Boundaries of Israel and Their Correction (Tzivonim Publishing, 2022), p. 143.

Défense et Sécurité
Un verre miracle sur la carte du Yémen du monde

La mer Rouge sous tension : L'Opération Prosperity Guardian et ses répercussions sur le Yémen

by Sergey Serebrov

L'intervention militaire de la coalition américano-britannique au Yémen est devenue l'extension la plus dangereuse du conflit israélo-palestinien (CPI), imposant un lourd tribut à la sécurité au Moyen-Orient et créant un foyer parallèle d'impasse militaire en mer Rouge. Aucun consensus n'émerge dans les pays de la région quant à la cause profonde de l'escalade actuelle. Certains gouvernements accusent la sortie terroriste des militants des Brigades Qassam suite au déluge Al-Aqsa du Hamas (connu sous le nom de Toofan en arabe) le 7 octobre 2023, tandis que d'autres pointent du doigt la situation anormale de l'occupation et du blocus de la Palestine par Israël depuis des décennies, une problématique mentionnée par le secrétaire général des Nations unies, A. Guterres, en octobre 2023. Néanmoins, tous s'accordent à évaluer de manière extrêmement négative les conséquences humanitaires de l'opération "Glaive de fer" menée par l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Le document final issu du sommet conjoint de la Ligue des États arabes (LEA) et de l'Organisation de la Coopération Islamique (OCI), tenu à Riyad le 11 novembre 2023 en présence de 57 chefs d'État, adoptait un ton résolument pacifique tout en condamnant fermement la campagne de crimes de guerre menée par Israël. Il appelait à un "cessez-le-feu immédiat" ainsi qu'à l'ouverture de couloirs humanitaires. Bien qu'il rejetât l'adoption de mesures collectives non militaires de pression en Israël, telles que celles proposées par l'Axe de la Résistance et d'autres États, la résolution spécifiait que ces mesures pouvaient être mises en œuvre individuellement. En ce sens, la résolution exhortait les membres de l'OCI et de la LEA à recourir à des formes de pression diplomatiques, politiques et juridiques, ainsi qu'à des mesures dissuasives pour mettre un terme aux crimes contre l'humanité perpétrés par l'administration de l'occupation coloniale. Les universitaires russes V.V. Naumkin et V.A. Kuznetsov pointent du doigt la stratégie du gouvernement israélien ainsi que les politiques militaristes des États-Unis et du Royaume-Uni comme étant la principale cause de l'aggravation du conflit israélo-palestinien. Ils soulignent que le refus du gouvernement de Benjamin Netanyahou d'accepter le projet de règlement basé sur la création d'un État palestinien indépendant, tel que prescrit par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, a conduit à une impasse. Cette impasse est exacerbée par l'acheminement continu d'armes américaines et britanniques vers Israël, prolongeant ainsi les souffrances et les violences. Les tentatives persistantes de résoudre le conflit à Gaza par la force sont décrites comme étant désastreuses pour la coexistence future des deux peuples. Les discussions à l'ONU ont révélé que cette conclusion est partagée par la plupart des pays de la région, soulignant ainsi que la tension sous-jacente persiste et que de nouvelles explosions de résistance à l'ordre établi demeurent une possibilité. Le Yémen se trouve au cœur de cette problématique. Malgré des divisions politiques profondes, une guerre en cours depuis neuf ans avec la Coalition arabe (CA) et une crise humanitaire dévastatrice touchant 80 % de sa population, les habitants du pays ne restent pas indifférents à la tragédie de Gaza. Un activisme politique croissant et des sentiments anti-israéliens se manifestent à travers tout le territoire. Cette dynamique est particulièrement prononcée dans 14 des 22 provinces les plus peuplées du pays, sous le contrôle des autorités de Sanaa. En 2016, une alliance entre le mouvement houthi Ansarullah et le noyau de l'ancien parti au pouvoir, le Congrès général du peuple (CGP), a donné naissance à un régime de coalition reconnaissant la constitution actuelle du Yémen. Ces provinces, qui abritent plus des deux tiers de la population du pays (environ 23 millions de personnes), comprennent également les grandes villes telles que Sanaa, Ibb et le principal port de la mer Rouge, Hodeidah. Le régime de Sanaa, bien qu'il ne soit pas reconnu sur le plan international, est devenu subitement l'un des principaux acteurs de la dynamique politique régionale après avoir été la cible d'une opération militaire massive de la CA en mars 2015, menée à la demande des autorités légitimes yéménites dans le but de le neutraliser. Le soutien public de la direction d'Ansarullah à la résistance palestinienne est devenu un puissant tremplin pour le renforcement de son statut et de son autorité tant au Yémen qu'au niveau régional, consolidant les fondements idéologiques du mouvement Houthi en tant que nouveau symbole national et plateforme politique pour le pays. Qualifiant les États-Unis et le Royaume-Uni de "complices de crimes contre l'humanité" pour avoir aidé Israël dans sa guerre à Gaza, le chef du mouvement, le sayyid Abdul Malik al-Houthi, a mis explicitement l'accent sur l'importance d'impliquer les peuples et les gouvernements de tous les États arabes et islamiques dans la lutte palestinienne, tout en soulignant le rôle d'avant-garde joué par le Yémen. Le chef d'Ansarullah a condamné les États arabes qui poursuivent la normalisation de leurs relations avec Israël, les appelant à respecter les principes moraux de l'islam, qui ne permettent pas de tolérer "l'usurpateur qui viole clairement les droits du peuple palestinien". Il a décrit l'opération Toofan du Hamas comme "une opération qui change la donne, car elle inflige des pertes tangibles à l'ennemi sioniste", et le soutien des Yéménites à cette opération comme leur "devoir religieux et moral". Sanaa a déclaré son soutien actif à la guerre palestinienne contre Israël, affirmant sa disponibilité à mobiliser "des centaines de milliers de soldats" lorsque le moment sera venu. Les autorités ont initié la collecte et le transfert de fonds aux habitants de Gaza, passant à un soutien militaire direct des Palestiniens à partir de mi-octobre 2023 en lançant des missiles et des drones en direction du port israélien d'Eilat, dans le but de perturber les opérations et de détourner les forces israéliennes. Le 19 novembre 2023, ils ont saisi le navire Galaxy Leader, propriété d'un homme d'affaires israélien, en faisant respecter leur interdiction de navigation pour les navires et les cargaisons israéliens dans les eaux territoriales du Yémen, établie mi-novembre. Le représentant permanent de la Russie auprès de l'ONU, Vladimir Nebenzya, a déclaré au début de janvier 2024 : "Il est indéniable que ce qui se déroule en mer Rouge est une conséquence directe de la violence à Gaza, où l'opération sanglante d'Israël se poursuit depuis trois mois." Il a également critiqué les États-Unis pour avoir "transformé le Conseil de sécurité de l'ONU en otage en opposant leur veto aux résolutions appelant à un cessez-le-feu immédiat." Depuis octobre 2023, le chef d'Ansarullah a personnellement lancé des appels à la population pour participer à des actions de solidarité de masse presque hebdomadaires, dans le cadre d'une campagne qu'il a nommée "la bataille de la victoire promise par Allah" et le Saint Jihad. Pour coordonner ces manifestations de masse, qui rassemblaient souvent plus de 2 millions de personnes, et pour fournir une orientation idéologique, les autorités de Sanaa ont créé le comité "Soutien à Al-Aqsa". Ce comité a transformé ces protestations en actions politiques hebdomadaires d'envergure. Les slogans de ces marches, surtout après le début de l'opération militaire "Prosperity Guardian" contre le Yémen le 12 janvier 2024, sont devenus de plus en plus militants : "Vous n'êtes pas seuls… nous sommes solidaires de Gaza !", "Le peuple fidèle du Yémen aide, aide Toofan", "Le déluge d'Al-Aqsa est déjà venu : il vaincra les pays insolents", "Le déluge d'Al-Aqsa, viens laver les barrières et les murs !" L'idéologie houthie s'appuie sur le concept de la "voie coranique", énoncé par le fondateur du mouvement, Sayyid Hussein B. al-Husi (1959-2004). Ce principe fondamental stipule que la conscience de chaque croyant musulman, ainsi que celle de la communauté islamique dans son ensemble, doit être réformée et enracinée dans les principes de la spiritualité et de la moralité tels qu'ils sont dictés par le Coran. Cela rendra l'"ummah", la communauté musulmane dans son ensemble, exemplaire et évoluée. Selon cette doctrine, un chef spirituel, incarnant le service désintéressé de la foi et ayant des liens génétiques avec les descendants de la maison du Prophète (appelés "sada", d'où le titre "Sayyid"), doit guider cette progression vers l'idéal. L'une de ses principales responsabilités est de garantir que la communauté soit prête à défendre les valeurs morales de l'islam contre ses pires ennemis. Sayyid Hussein a énuméré ces ennemis lors d'une conférence devant un public de jeunes en janvier 2002, déclarant : "Allah est grand ! Mort à l'Amérique ! Mort en Israël ! Malédiction aux Juifs ! Victoire de l'islam !" Cette déclaration est devenue emblématique des Houthis et du mouvement Ansarullah. Depuis 2016, les affiches portant ce texte sont devenues un élément permanent des réunions, des manifestations et des décorations murales dans les institutions publiques et les écoles. Après le début des bombardements de la coalition Prosperity Guardian, un nouveau terme, la "trinité maléfique" (ash-shir al-thulathi) comprenant Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni : est apparu dans le discours houthi. Au sein de la communauté des experts, l'autonomie et l'authenticité de l'idéologie et du mouvement sociopolitique des Houthis, profondément enracinés au Yémen, sont généralement indiscutées. Les Houthis ne sont ni des "agents" ni des "mandataires" de l'Iran, malgré une coopération croissante ces dernières années. Comme l'a souligné avec pertinence le célèbre orientaliste B. Haykel, l'influence des courants de l'islam politique moderne, tant chiites que sunnites, ainsi que des idéologies laïques telles que le nationalisme et l'anticolonialisme, est clairement perceptible au sein du mouvement houthi [1]. De plus, le mouvement Houthi revendique la protection de la souveraineté du Yémen, la reconstruction de son économie sur la base de ses propres ressources et de la technologie moderne, l'amélioration de son système éducatif, et la restauration de sa gloire historique en tant que cœur du monde islamique et l'un des principaux centres de la civilisation islamique. Helen Lackner, chercheuse britannique spécialisée sur le Yémen, a souligné que "l'accusation d'agir comme un pion pour Téhéran est une insulte envers une organisation qui a ses propres motivations et sa propre position idéologique". Depuis 2016, Ansarullah partage les mêmes sièges que le Congrès général du peuple (CGP) au sein du Conseil politique suprême (CPS). Ce conseil représente, dans un gouvernement de coalition binaire, les autorités exécutives centrales dans un système républicain complet qui englobe les niveaux provinciaux et locaux. Le régime s'appuie sur l'ancienne bureaucratie instaurée par le président Abdallah A. Saleh, qui est restée loyale aux autorités de la coalition à Sanaa après la mort de Saleh en décembre 2017. Cette bureaucratie a conservé la même structure et le même noyau, avec l'ajout de membres d'Ansarullah en tant que gestionnaires et employés. Le CPS est dirigé par l'un des leaders du mouvement, Mahdi Mashat, tandis que le gouvernement de salut national est dirigé par Abdul Aziz bin Habtoor, membre du CGP et ancien recteur de l'université d'Aden. Les qualificatifs utilisés dans la propagande extérieure pour décrire les Houthis, tels que "milices", "jamaat", "rebelles", "insurgés" ou "tribus", ne correspondent ni à la nature sociopolitique du mouvement, ni aux réalités yéménites contemporaines. Outre leur présence dans le pouvoir exécutif, les Houthis occupent des postes au Parlement, dans le système judiciaire, ainsi que dans toutes les agences de sécurité, y compris l'armée et les services de renseignement. En collaboration avec la CPG, ils influent sur la politique étrangère du régime ainsi que sur la coopération avec les pays de ce que l'on appelle l'axe de la résistance, comprenant l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Liban. Cette coopération découle principalement de l'opération militaire extérieure "Tempête décisive", initiée il y a neuf ans. Conformément aux critères formels, depuis 2015, Ansarullah, confronté à une crise prolongée due à la division de la nation yéménite et à l'intervention étrangère de la CA, a conservé les attributs d'un mouvement sociopolitique tout en accomplissant une transition fonctionnelle vers la catégorie des acteurs transitionnels, évoluant d'une entité quasi étatique à une structure étatique. Il convient également de noter que malgré les conditions extrêmes de la guerre et du blocus, le régime de la coalition à Sanaa a réussi à se consolider, un succès non reproduit dans le camp du gouvernement internationalement reconnu du Yémen (GdY ou GRI), qui a bénéficié d'un soutien militaire et financier majeur de la part de la coalition arabe. Sur le plan organisationnel, le GRI a connu depuis le début une désintégration systémique chronique, déclenchant des affrontements armés directs entre ses factions. Les manifestations populaires de masse en faveur de la Palestine dans la partie du pays contrôlée par le GRI, couvrant environ 75 % de son territoire, ont été sporadiques et moins fréquentées. Rashad Mohammed Al-Alimi, président du Conseil présidentiel de direction (CPL), a participé au sommet de novembre à Riyad, exprimant sa condamnation de l'opération militaire israélienne à Gaza et la solidarité des Yéménites avec le peuple palestinien. Toutefois, il s'est distancié de la position hostile à la politique de l'IRG du régime non reconnu de Sanaa, notamment en ce qui concerne le blocus militaire des navires et de la navigation israéliens. "Les attaques terroristes des Houthis en mer Rouge portent atteinte à la liberté du commerce mondial et aux peuples de la région, doublant surtout les souffrances du peuple yéménite, dont la survie dépend à 90 % des importations", a-t-il déclaré. Les opinions étaient partagées parmi les dirigeants des autres factions au sein de l'IRG, mais la plupart d'entre eux ont soutenu la création de la coalition américano-britannique (ABC) et l'inscription des Houthis sur la liste des terroristes mondiaux par les États-Unis le 17 janvier 2024, ce qui a signalé un possible recul du conflit yéménite. Le scénario le plus probable pour le conflit, qui promet d'être prolongé et extrêmement difficile pour l'ABC, est que le partenariat anglo-saxon exploite l'environnement militaire et politique complexe pour intensifier les rivalités existantes. L'analyse précédente de la politique de Sanaa révèle que le commandement de l'ABC ne pouvait pas anticiper une levée des sanctions maritimes contre Israël par le biais d'un chantage militaire. Une telle action aurait signifié un revirement complet de l'idéologie du régime, caractérisée par le concept houthi de la "voie coranique". La levée de l'interdiction de la navigation israélienne n'a été envisagée par les autorités de Sanaa qu'après l'annonce d'un cessez-le-feu israélien à Gaza et l'ouverture de couloirs humanitaires, proposition officiellement exprimée à tous les niveaux bien avant le début de l'opération militaire de l'ABC au Yémen. Le porte-parole officiel d'Ansarullah, Muhammad Abdulsalam, a alerté le commandement de l'ABC sur cette intention dès que le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a annoncé la formation de l'ABC en décembre 2023 : "La mission de l'ABC est de fournir une couverture en Israël et de procéder à une militarisation illégale de la mer Rouge, ce qui n'arrêtera pas le Yémen dans son soutien légitime à la population de Gaza." Les déclarations des États-Unis selon lesquelles l'opération Prosperity Guardian vise à "saper et dégrader la capacité des Houthis à menacer les marins et le commerce mondial sur l'une des voies navigables les plus importantes du monde" sont sujettes à controverse. En effet, il est bien connu que les efforts de l'AC pour atteindre un objectif similaire au cours des neuf dernières années ont échoué, se terminant par une transition vers une phase de désescalade en avril 2022. Depuis mars 2015, des officiers américains et britanniques sont intégrés au sein de l'état-major de l'AC, participant à l'opération Decisive Storm en utilisant les mêmes méthodes, armes et sources de renseignement que celles actuellement utilisées par l'ABC. L'un des résultats militaires significatifs de la précédente campagne de l'AC a été l'établissement d'une base industrielle locale permettant à Sanaa de construire et de maintenir un arsenal moderne. Ce développement a contribué à rendre la transition vers un règlement politique de la crise la solution la plus viable pour toutes les parties impliquées. Enfin, la prétention du commandement de l'ABC selon laquelle l'opération en mer Rouge visait à protéger la sécurité de la navigation commerciale dans le détroit de Bab el-Mandeb, qui représente environ 14 % du trafic mondial de marchandises, s'est rapidement révélée insoutenable au cours du premier mois et demi. Dès la formation de la coalition anglo-saxonne, le représentant permanent de la Russie auprès de l'ONU, Vasily Nebenzya, a déclaré : "Ils ont rassemblé une prétendue "coalition internationale" (principalement composée de navires américains), censée "assurer la sécurité", alors qu'en réalité la légitimité de ses actions soulève de sérieuses questions en termes de droit international. Il ne faut pas se faire d'illusions sur les véritables objectifs des auteurs de la résolution. Il ne s'agit pas du tout d'assurer la sécurité de la navigation en mer Rouge, mais plutôt d'une tentative de légitimer (post factum) les actions de ladite "coalition" et d'obtenir l'aval du Conseil de sécurité de manière indéfinie." L'opération Prosperity Guardian a été en soi la principale cause de l'escalade des tensions et une menace pour la navigation de tous les autres transporteurs. Il est significatif de noter que ni les États riverains de cette sous-région ni les principaux États étrangers empruntant cette voie n'ont cédé à la pression ou n'ont exprimé la moindre volonté de rejoindre la coalition. L'Égypte, dont 10 % du budget dépend des recettes de change de Suez, perçoit l'action de l'ABC comme "une dangereuse accélération des événements dans le sud de la mer Rouge et au Yémen… avec des risques d'un conflit plus large dans la région en raison des attaques continues d'Israël dans la bande de Gaza". Son Excellence le cheikh Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al Thani, ministre des Affaires étrangères et premier ministre du Qatar, a déclaré, avant même les attaques de l'ABC au Yémen, que "du point de vue politique du Qatar, aucune action militaire ne mène à une résolution. Nous suivons de près l'évolution de la situation en mer Rouge, mais notre plus grande crainte est d'être entraînés dans une boucle sans fin de tensions à l'échelle de la région. Nous espérons qu'il sera mis fin rapidement à ce qui arrive aux navires civils par des moyens diplomatiques. C'est la meilleure voie à suivre". En substance, tous les pays de la sous-région sont d'accord pour dire que la meilleure façon de résoudre le conflit militaire en mer Rouge serait de répondre aux demandes de Sanaa aux autorités israéliennes, à savoir mettre fin à une guerre dévastatrice à Gaza. Seul Bahreïn, qui abrite les bases navales américaine et britannique, s'est joint à l'ABC parmi tous les pays de cette sous-région. Les données objectives sur le trafic maritime dans le canal de Suez montrent qu'une légère baisse d'environ 2 % n'a été observée que dans les trente premiers jours suivant la saisie du navire israélien par l'armée yéménite. Cependant, une chute plus significative n'a débuté qu'après l'annonce de l'ABC par les États-Unis le 18 décembre 2023, atteignant un record de 50 % à la fin du mois de février 2024, suite au début des frappes sur le Yémen. À ce moment-là, les autorités de Sanaa ont ajouté les militaires américains et britanniques, ainsi que leurs navires marchands, à leur liste de sanctions, devenant les principales cibles des attaques à partir de la mi-janvier 2024. Le premier mois de l'opération Prosperity Guardian a été marqué par plus de 400 frappes aériennes et missiles des forces de l'ABC sur le territoire yéménite, et plus de 25 attaques de représailles des autorités de Sanaa contre des cibles navales de l'ABC et d'Israël. Ce mois a également été témoin du naufrage du navire marchand britannique Rubymar, transportant des engrais à base d'ammoniac, en février 2024. Malgré les efforts, il n'a pas été possible d'empêcher les Houthis de lancer des missiles en direction d'Israël. Outre les risques militaires pour la navigation, l'opération ABC a aussi menacé l'écologie des eaux de la mer Rouge, qui constitue une source traditionnelle de revenus importante pour les pêcheurs des États côtiers. La véritable stratégie de l'ABC au Yémen ne pourra être évaluée qu'en fonction de l'évolution et des résultats de la campagne, qui promettent d'avoir des conséquences considérables pour l'ensemble de la région. Son développement le plus probable sera une tentative de torpiller la désescalade, qui a caractérisé la dynamique descendante de la crise militaire précédente impliquant l'ABC depuis avril 2022. Plusieurs facteurs soutiennent cette hypothèse. Premièrement, l'action décisive de l'État du Qatar et de Sanaa pour résoudre la dimension régionale de la crise yéménite a permis de sortir de l'impasse dans laquelle elle était enlisée après l'échec du cycle de pourparlers organisé par l'ONU au Koweït en 2016. Le processus de désescalade s'est accompagné de visites réciproques de délégations officielles de Riyad et de Sanaa en avril et en septembre 2023, ainsi que de la formulation d'une formule de règlement de compromis qui satisfaisait les deux parties. La capitulation des Houthis comme seule issue pour mettre fin à la guerre est devenue un vestige du passé et la consolidation de l'alliance politique d'Ansarullah avec le noyau de la CPG au sein du régime au pouvoir à Sanaa a finalement semblé obtenir une certaine reconnaissance. Ce changement a éliminé la principale raison pour laquelle la CA poursuivait la guerre et a marqué une réorientation de l'Arabie saoudite, le leader régional, vers un réajustement en profondeur de l'ensemble du système des relations sous-régionales, avec une absence totale d'implication dans les conflits militaires extérieurs. Pour conclure le processus, il ne restait plus qu'à signer une feuille de route prête à l'emploi et à commencer à préparer un dialogue national au format yéménite, avec la participation d'Ansarullah sous les auspices de l'ONU. Deuxièmement, la désescalade a largement été rendue possible grâce à la normalisation des relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite et l'Iran en mars 2023, avec la médiation de la Chine. Pour les États-Unis et le Royaume-Uni, ce changement signifiait, entre autres, la remise en question de leur fondement géopolitique à long terme, utilisé depuis des décennies pour structurer le système et la dynamique des relations régionales au Moyen-Orient. Cette construction reposait sur l'exploitation des contradictions sunnites, chiites et irano-saoudiennes, dans lesquelles des manifestations anti-américaines et anti-israéliennes étaient également implantées comme signe de l'influence "chiite" (alias "iranienne") dans les pays de cette région. Le conflit au Yémen a depuis longtemps réfuté son adéquation à l'analyse des réalités yéménites. Le terrain socioculturel de ce pays a exclu la transformation des contradictions yéménites en contradictions sectaires, car les relations entre les deux communautés religieuses autochtones dominantes du Yémen - Shafi'i (sunnite) et Zaydi (chiite) - sont traditionnellement restées tolérantes et amicales. Le cadre religieux utilisé a été bien plus influent en aiguisant leurs dichotomies avec la version radicale prosélyte de l'idéologie salafiste des Frères musulmans yéménites opérant au sein du parti Islah. L'attribution de l'étiquette d'"agent iranien" aux Houthis est généralement restée très superficielle dans le discours politique yéménite proprement dit et n'est pas devenue un outil pleinement efficace pour manipuler cette rivalité. Troisièmement, le simple fait que Riyad ait entamé des négociations avec Sanaa, avec la médiation d'Oman, a signalé le rôle croissant de la souveraineté dans le système politique sous-régional et le processus de transition vers une architecture de relations plus amicales, moins dépendante de la présence militaire des superpuissances extrarégionales dans le golfe et la mer Rouge. À l'été 2019, les Émirats arabes unis ont annoncé unilatéralement la fin de leur participation militaire à l'opération de la coalition arabe au Yémen. La nouvelle stratégie de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis à l'égard du Yémen s'est orientée dans la même direction. Les diverses tentatives de l'ambassadeur spécial des États-Unis au Yémen, T. Linderking, pour ralentir et faire dérailler ce processus n'ont pas été couronnées de succès. L'émissaire américain a suscité soit de la méfiance en Arabie saoudite quant aux intentions de l'Iran après le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, soit a averti les pays arabes que les États-Unis ne permettraient pas que le Yémen échappe à leur contrôle, en affirmant notamment que la phase finale d'un "processus politique yéménite inclusif [devrait] se dérouler sous les auspices des États-Unis" plutôt que dans le format de l'ONU reconnu par toutes les parties. La mission de l'ONU au Yémen, qui a joué un rôle important et très positif dans le succès de la "piste Oman", pourrait également avoir suscité le mécontentement du partenariat anglo-saxon. En effet, une feuille de route visant à mettre fin à l'implication militaire de l'Arabie saoudite au Yémen dans un délai de trois ans a été préparée pour la fin de l'année 2023, comme l'a annoncé publiquement Hans Grundberg, l'actuel chef de la mission, le 23 décembre dernier. Cette annonce a de facto marqué une étape majeure vers la légitimation internationale finale d'Ansarullah en tant que participant à part entière au processus politique. La lutte pour maintenir à flot la feuille de route pour un règlement yéménite, bien que temporairement suspendue en raison de l'intervention militaire de l'ABC, revêt une importance fondamentale pour le statut futur et les systèmes de sécurité de l'Arabie saoudite et de la mer Rouge. Cela se reflète notamment dans le choix de l'Arabie saoudite de consolider les accords conclus avec Sanaa après le début des bombardements de la coalition occidentale sur le Yémen. Lors d'une rencontre avec T. Linderking en février 2024, le ministre de la Défense de l'Arabie saoudite, le prince Khalid bin Salman, a réaffirmé l'engagement du Royaume à "fournir une assistance au Yémen pour faciliter un dialogue entre les parties en vue de parvenir à une solution politique sous les auspices de l'ONU". En plus de l'expérience de l'Arabie saoudite en matière de guerre au Yémen, ce choix repose sur une base scientifique solide : après une analyse approfondie de la Genèse et de l'état de l'organisation Ansarullah, les auteurs de "The Houthi Movement in Yemen", une monographie fondamentale récemment publiée par l'Arabie saoudite, concluent que "quel que soit le résultat final, il semble que les Houthis resteront un acteur clé sur la scène culturelle, sociale, économique et politique du Yémen dans un avenir prévisible". Au cours des années de guerre, les principaux centres d'influence politique (CPI) yéménites au sein de l'IRG et les deux acteurs actifs de l'AC (l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) ont tissé un réseau complexe d'intérêts qui, confronté à une intervention militaire du puissant ABC, risque d'être manipulé au service du projet néocolonial du partenariat anglo-saxon. En exploitant les divergences internes au Yémen et en cherchant à rallier certains CPI yéménites à leur cause, les deux principaux acteurs de l'ABC pourraient utiliser ces dynamiques comme levier pour façonner leur politique à la fois dans la zone de crise et dans l'ensemble de la sous-région. Malheureusement, ils disposent de conditions sérieuses et objectives pour semer la discorde. Le succès de la "voie omanaise" dans le cadre du dialogue bilatéral entre Riyad et Sanaa pour parvenir à une désescalade durable dans la zone de conflit a été obtenu presque sans la participation de tous les autres CPI au sein de l'IRG. Ce cadre plus restreint a exacerbé leur mécontentement et a fait naître des préoccupations naturelles quant à la situation actuelle. Les acteurs émiratis du flanc sud du GRI, représentés par le Conseil transitoire du sud (CTS) dirigé par le général Aidarus al-Zubaidi et le Conseil politique des forces de la résistance nationale sous la direction du général Tareq M. Saleh, ont exprimé une méfiance particulière. Ils ont directement critiqué certaines dispositions de la feuille de route, affirmant qu'elles accordaient des avantages économiques excessifs aux autorités hostiles de Sanaa. Par exemple, leur droit à une part des recettes de l'exportation du pétrole yéménite pour rembourser les arriérés de salaires des fonctionnaires a été contesté. L'offensive de l'ABC contre Sana'a a suscité une sorte de contre-attaque de la part de ces IPC au sein de l'IRG. Le président Rashad al-Alimi et les dirigeants du flanc émirati du CLP ont rapidement manifesté leur volonté de coopérer avec l'ABC, bien que chacun des trois CPI ait des perspectives et des objectifs très différents, tant pour eux-mêmes que pour l'avenir du pays. Tous les anciens concepts de science politique utilisés pour lancer et soutenir la campagne militaire de l'AC ont rapidement refait surface dans le discours yéménite : le recours répété à des termes réducteurs comme "Houthi", "milice" ou "rebelles" pour désigner les autorités de Sana'a ; la réémergence de la menace supposée de l'expansion iranienne à travers le mouvement Ansarullah, présenté comme désireux de dominer la mer Rouge au nom de l'Iran, etc. Parallèlement, les motifs politiques de la rivalité entre les CPI des flancs saoudien et émirati au sein du camp du GRI n'ont pas disparu. La probable fourniture d'armes par l'ABC à l'un des flancs du camp AC, voire à l'un des CPI de l'un ou l'autre flanc, entraînera inévitablement des déséquilibres dans la fragile configuration des forces, non seulement le long de l'axe GRI-Alliance de Sanaa (AS), mais aussi à l'intérieur du camp GRI.  Le risque de confrontation entre ces IPC n'est parfois pas moindre, et dans certains cas même plus élevé, qu'avec l'AS. Il suffit de mentionner que la politique officielle de la faction dirigeante du flanc émirati, le Conseil transitoire du sud (CTS), qui vise à ramener le sud aux frontières de 1990 de la République démocratique populaire du Yémen (RDPY), comme inscrit dans la Charte nationale d'honneur du sud adoptée en mai 2023, est catégoriquement rejetée par la plupart des autres IPC yéménites au sein du même IRG, ainsi que par les deux membres de l'AS. L'engagement militaire de l'ABC dans les intrications internes yéménites est difficile à coordonner et à prévoir. Il comporte le risque de bouleverser complètement la situation et de se retourner contre le camp du GRI lui-même ainsi que contre les partenaires de l'AC qui le soutiennent. C'est précisément le scénario contre lequel le dirigeant qatari a mis en garde, en évoquant le piège des conflits sans fin dans lesquels l'Arabie saoudite est entraînée par l'agression récente au Yémen déclenchée par l'ABC. *** En conclusion, il est crucial de mettre en lumière l'importance des facteurs historiques et socioculturels qui sous-tendent les identités et jouent un rôle prépondérant dans les conflits au Yémen et dans la région dans son ensemble. Ces facteurs sont particulièrement évidents et déterminants dans l'escalade actuelle des tensions. Amar Bendjama, représentant de l'Algérie auprès de l'ONU, a décrit les événements en mer Rouge comme une extension directe de la violence à Gaza, soulignant que "la sécurité maritime est avant tout la responsabilité des États côtiers, qui sont les mieux placés pour assurer la sûreté des voies navigables cruciales". Il a également souligné que tout effort collectif dépourvu de la participation active de ces États risque de ne pas atteindre les résultats escomptés. Bendjama a aussi souligné que "la mer Rouge dépasse le simple cadre d'une route commerciale, elle est le témoin de civilisations et de communautés aux aspirations et espoirs légitimes". *Note : Cette organisation est désignée comme terroriste et interdite en Russie.1. The Houthi Movement in Yemen Ideology, Ambition and Security in the Arab Gulf / Ed. Abdullah Hamidaddin, I.B. TAURIS, King Feisal Center for Research and Islamic Studies Series, KFCRIS, 2022. P. 21.2. Ibid. P. 3.

Défense et Sécurité
Carte de la mer Rouge

La Politique de la mer Rouge : L'Engagement de la Turquie envers la Défense des Eaux Somaliennes

by Federico Donelli

Récentes annonces entre la Somalie et la Turquie ont révélé une extension des termes d'un accord de défense initial signé le 8 février 2024, désormais englobant le domaine maritime. Cette décision survient dans un contexte de tensions croissantes entre la Somalie et l'Éthiopie, un pays enclavé. L'Éthiopie cherche à obtenir un accès à la mer Rouge via le Somaliland, une région sécessionniste somalienne. Federico Donelli, professeur de relations internationales spécialisé dans la sécurité et la politique de la mer Rouge, analyse cette évolution dans le cadre plus large des enjeux régionaux. Quelle est la profondeur des liens entre la Turquie et la Somalie ? L'engagement de la Turquie en Somalie depuis 2011 a débuté par une assistance humanitaire qui a rapidement évolué vers un partenariat stratégique. Au fil du temps, cet engagement s'est étendu pour inclure un soutien économique, des projets d'infrastructures et une coopération militaire croissante. Pour le gouvernement turc, l'instabilité étatique en Somalie et l'absence d'une présence internationale significative ont représenté une opportunité de renforcer son influence en Afrique et de gagner en popularité dans la région. La Turquie avait pour objectifs : - Accroître sa visibilité sur la scène internationale- Tester sa capacité d'intervention dans des situations de conflit et de post-conflit- Diversifier ses marchés en Afrique de l'Est- Promouvoir une image de puissance moyenne musulmane bienveillante en renforçant la solidarité islamique. Plusieurs organisations confessionnelles et ONG turques déjà actives en Afrique se sont directement engagées dans des projets de développement et d'aide d'urgence en Somalie. De grandes entreprises nationales, comme Turkish Airlines, ont également lancé des campagnes de collecte de fonds pour ce pays. En quelques années seulement, l'engagement de la Turquie en Somalie est devenu une question de fierté nationale, tant pour le gouvernement que pour le public turc. Les premiers efforts de la Turquie pour ramener la Somalie sur la scène internationale ont rencontré un succès notable. Avec la réouverture du port et de l'aéroport de Mogadiscio en 2014, tous deux gérés par des entreprises turques, la situation économique de la Somalie s'est améliorée par rapport à la décennie précédente. Les élites politiques turques ont commencé à présenter leur engagement en Somalie comme une réussite. Et ce, malgré la persistance de certains problèmes critiques, notamment l'incapacité à éradiquer l'organisation terroriste Al-Shabab. La Turquie a pris la responsabilité de former l'armée nationale somalienne en partenariat avec d'autres parties prenantes, dont l'Union européenne et les États-Unis. Elle a ouvert une base militaire à Mogadiscio en 2017. Cette base forme l'une des unités d'élite de l'armée, les brigades Gorgor, et sert d'avant-poste militaire turc dans la région. La persistance d'Al-Shabab a convaincu la Turquie qu'elle devait apporter un soutien militaire plus actif au développement de la Somalie. Ankara souhaite également protéger ses investissements économiques et politiques en Somalie. Enfin, derrière l'accord turc avec la Somalie se cache la politique de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Au cours des douze derniers mois, la Turquie s'est rapprochée des États-Unis. Elle s'est positionnée comme un allié efficace en Afrique pour contrecarrer les effets négatifs du retrait de la France, tels que l'influence croissante de la Russie. L'engagement de la Turquie en Somalie fait suite à ses efforts en Libye. Dans les deux cas, la Turquie s'est montrée disposée à assumer le fardeau de la sécurité que d'autres membres de l'OTAN, en particulier l'Italie, ont refusé d'assumer. L'engagement de la Turquie en Somalie s'inscrit donc dans une stratégie de politique étrangère plus large visant à acquérir une plus grande autonomie sur la scène politique mondiale. Une plus grande importance au sein de l'OTAN contribuerait à atteindre cet objectif. Quel est le contexte du pacte de défense maritime entre la Turquie et la Somalie ? Entre novembre 2023 et janvier 2024, la Turquie et la Somalie ont entamé des discussions en vue de conclure un accord de coopération maritime. Dans le cadre de cet accord, la Turquie s'est engagée à fournir une formation et un équipement à la force navale somalienne, ainsi qu'à participer à la surveillance des 3 333 km de côtes du pays. L'industrie de la défense turque exerce une influence croissante sur la politique étrangère d'Ankara. La Turquie se positionne comme un exportateur d'équipements militaires et comme un partenaire dans la formation des forces spéciales et de la police. Les pays africains sont particulièrement visés par cette stratégie de développement de l'industrie de la défense turque. Ainsi, la Somalie représente une opportunité pour la Turquie de promouvoir davantage ses produits et articles dans la région. En 2022, la Turquie est devenue, avec les États-Unis, le principal soutien d'une nouvelle offensive contre Al-Shabab. Elle fournit un soutien logistique aux forces du Gorgor et une couverture aérienne à l'armée nationale. Cette coopération a débouché sur l'accord de défense décennal, incluant la sécurité maritime, signé en février 2024. La Turquie et la Somalie travaillent sur cet accord depuis un certain temps, mais les récents événements régionaux ont sans aucun doute affecté le calendrier de l'annonce. Un protocole d'accord entre l'Éthiopie et le Somaliland, signé en janvier 2024, en fait partie. La Turquie entretient de bonnes relations avec le Somaliland, mais considère que l'intégrité territoriale de la Somalie est essentielle à sa stabilité. Parallèlement, la dynamique politique de la Corne de l'Afrique connaît des changements significatifs. Les tensions croissantes entre l'Éthiopie et la Somalie ont donné naissance à de nouvelles coalitions impliquant des acteurs régionaux et extrarégionaux. Il est crucial de ne pas simplifier la situation, mais deux factions distinctes commencent à se dessiner. D'un côté, nous retrouvons l'Éthiopie, le Somaliland et les Émirats arabes unis (EAU). De l'autre côté, nous avons la Somalie, l'Égypte, l'Érythrée et l'Arabie saoudite. Initialement, la Turquie a tenté de jouer le rôle de médiateur entre les factions afin de désamorcer les tensions. Cependant, l'accord conclu avec la Somalie restreint la marge de manœuvre de la Turquie. Bien que les relations avec le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed semblent rester intactes, il existe des risques de répercussions négatives, notamment pour les nombreux intérêts économiques turcs en Éthiopie. Quel est le rôle des Émirats arabes unis dans la région ? Les Émirats arabes unis (EAU) jouent un rôle central dans la politique de la Corne de l'Afrique, influençant les relations entre la Turquie et la Somalie. Entre 2014 et 2020, la Turquie et les EAU étaient engagées dans une rivalité intense dans la région élargie de la mer Rouge, principalement en raison de divergences quant à la vision de l'avenir de la région. À partir de 2020, les relations entre la Turquie et les EAU se sont améliorées, surtout pendant la guerre de 2020-2022 dans le Tigré, où les deux pays ont soutenu le gouvernement éthiopien. Cependant, les récents développements, comme l'accord entre l'Éthiopie et le Somaliland appuyé par les EAU, pourraient susciter de nouvelles tensions entre la Turquie et les EAU. Les Émirats arabes unis ont soutenu l'économie turque par des investissements directs au cours des trois dernières années, modifiant ainsi l'équilibre des relations. La présence des Émirats en Somalie est également significative du point de vue commercial et sécuritaire. Ils contrôlent deux ports stratégiques en Somalie, Berbera et Bosaso, et s'apprêtent à prendre le contrôle de Kismayo. Les Émirats ont aussi été un soutien majeur du président somalien Hassan Sheikh Mohamud. Pour le président somalien, rompre les liens avec Abu Dhabi pourrait être risqué sur le plan politique et économique. Quelles sont les perspectives à venir ? De nombreuses incertitudes persistent quant à la mise en œuvre du protocole d'accord entre l'Éthiopie et le Somaliland, ainsi que des accords de coopération en matière de défense entre la Turquie et la Somalie. Ce qui demeure certain, c'est la croissante activité et influence des Émirats arabes unis et de la Turquie dans la région. Les dynamiques africaines, tant à l'intérieur des États qu'entre eux, sont étroitement liées aux évolutions régionales et mondiales.

Défense et Sécurité
Abuja, Nigéria, capitale du Nigéria, ancrée sur la carte politique.

Les mythes du régime militaire ébranlés

by Ebenezer Obadare

Alors que le Nigeria traverse une crise généralisée, alimentée par la détérioration du climat économique, une frange de la population, désespérée face à l'absence de redressement rapide et convaincue que l'administration de Bola Tinubu a perdu le cap, a commencé à réclamer un coup d'État. Cette agitation s'est intensifiée, notamment sur les médias sociaux, à tel point que le chef d'état-major de la défense, Christopher Musa, a pris la parole la semaine dernière pour avertir les instigateurs que "la loi les rattrapera" et que "les forces armées du Nigeria sont là pour protéger la démocratie". Il est fascinant de constater que la même génération de Nigérians qui s'est constamment exposée pour défendre la démocratie semble aujourd'hui réclamer une intervention militaire. Ce paradoxe trouve son explication dès lors que l'on réalise que, en dépit de leurs apparences divergentes, le désir de démocratie et l'élan naissant en faveur d'une intervention militaire sont motivés par la même aspiration. Cette aspiration, pour rester générale, est celle d'un gouvernement qui tienne ses promesses, et elle sous-tend l'agitation actuelle au Nigeria ainsi que les événements observés en Afrique occidentale et centrale, où, contre toute attente, de jeunes foules se sont rassemblées pour accueillir différents groupes putschistes. Cette impulsion n'est pas uniquement propre à la jeunesse africaine. Si l'électorat des démocraties occidentales parait se détourner de la démocratie libérale ("à peine la moitié des Européens âgés de 16 à 26 ans pensent que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement"), l'intérêt populiste pour un régime autoritaire s'est nettement accru dans des pays comme la Hongrie, les Philippines, le Salvador et même, discrètement, dans certains segments clés de l'électorat américain. Bien que la situation au Nigeria présente certaines particularités locales (notamment un ressentiment persistant à l'égard du résultat de l'élection présidentielle de l'année dernière, qui constitue un sous-texte important du mécontentement actuel), cela n'enlève rien à sa valeur comme illustration du désenchantement croissant de la population envers la démocratie libérale. De plus, il est instructif de constater que les préoccupations exprimées dans la rue ont également été reprises au sein de l'élite politique, se manifestant par une demande catégorique, bien que mal avisée, de retour à une "démocratie africaine". Les Nigérians ont de bonnes raisons d'être indignés, car leur engagement émotionnel et physique envers la démocratie n'a que rarement été récompensé depuis l'avènement de la quatrième République en 1999. En effet, l'une des raisons pour lesquelles la demande d'un retour au régime militaire a pris de l'ampleur est précisément que de plus en plus de personnes constatent une stagnation, voire une détérioration, de leur situation matérielle sous ce régime. Ils ne voient donc aucune raison de soutenir un système qui, selon eux, n'a fait que favoriser une petite élite. Pour le Nigérian moyen, la seule distinction entre les dirigeants civils et militaires réside dans leurs apparences superficielles. Si ce diagnostic est incontestable, on ne saurait trop insister sur le fait que le régime militaire n'est pas la bonne solution et que, dans le cas du Nigeria, il marquerait une régression tragique après vingt-cinq ans de régime civil. Les raisons ne sont pas farfelues. Tout d'abord, étant donné que l'aspect sécuritaire de la crise actuelle est largement dû à l'incapacité des forces armées à contenir l'insurrection de Boko Haram et le banditisme rampant, confier les rênes du pouvoir politique à une institution qui ne pourrait même pas s'acquitter de son devoir constitutionnel de protection de l'intégrité territoriale du pays équivaudrait à récompenser l'échec. Si l'armée nigériane ne peut même pas faire ce pour quoi elle a été formée, comment peut-on s'attendre à ce qu'elle accomplisse ce pour quoi elle n'a ni l'expertise, ni le tempérament ? De plus, malgré la frustration sous-jacente, l'appel à une intervention militaire se révèle finalement comme une tentative d'éviter l'effort ardu nécessaire pour renforcer les institutions. Le Nigeria est confronté à un défi majeur : assurer l'enracinement des institutions démocratiques naissantes et, en leur absence, établir de nouvelles structures. L'histoire des économies développées démontre que c'est une étape incontournable, et toute intervention militaire à ce stade crucial ne ferait qu'interrompre un processus social nécessaire pour la progression du pays. Le désir d'une intervention militaire évoque également le fantasme de la "dictature du développement", une idée selon laquelle ce qui pourrait enfin redresser la situation au Nigeria et dans d'autres pays africains confrontés à des défis similaires serait l'intervention d'un dictateur bienveillant. Ce dernier, en prenant des mesures drastiques et en éliminant tous les obstacles de l'État de droit dans le processus, placerait le pays sur la voie du développement avant de se retirer rapidement. Au Nigeria, ce fantasme (souvent décrit comme l'utopie d'un "Jerry Rawlings torse nu maniant un bulldozer", selon un commentaire nigérian) a toujours coexisté avec le mouvement en faveur d'un régime populaire, gagnant en popularité dans les moments de crise économique et politique. Il est fréquemment oublié que ce marché faustien laisse généralement les sociétés avec une dictature persistante et peu, voire pas de développement tangible. Enfin, le fait que la majorité des partisans actuels du retour des militaires soient soit trop jeunes, soit n'étaient pas encore nés pendant la dernière période militaire du pays, met en lumière une dimension générationnelle cruciale. Le fossé entre ces jeunes et les Nigérians pour qui les souvenirs de terreur du régime militaire sont encore vifs est l'une des principales sources de division politique et de malentendus dans le pays. Pour chaque membre de la jeune génération qui exprime légitimement son mécontentement face à l'absence de progrès sous les administrations civiles successives, il existe un membre plus âgé, en particulier parmi ceux dans la cinquantaine et la soixantaine, qui ne peut oublier que la première chose que le régime militaire abolira, avec toutes les autres libertés politiques que les jeunes considèrent comme acquises, est le droit de protester contre le gouvernement en place. Alors que les représentants élus peuvent être confrontés à des pétitions ou à des critiques, les militaires non élus ne tolèrent aucune forme de dissidence, car la loi martiale est l'antithèse même de l'État de droit. Il est incontestable que, dans l'ensemble, la démocratie libérale a déçu les Nigérians, ce qui explique leur sentiment général d'insatisfaction. Cependant, les Nigérians ne peuvent se permettre de saboter leurs propres intérêts. Bien que les défis auxquels le pays soit confronté ne puissent être résolus par une seule administration, un gouvernement démocratique qui favorise le dialogue, l'expression libre, les débats animés et même parfois les désaccords violents, offre les meilleures perspectives. Si ce système a pu fonctionner ailleurs, il n'y a aucune raison pour qu'il ne puisse pas fonctionner au Nigeria. Parmi les nombreuses conditions nécessaires à l'épanouissement de la démocratie, la plus vitale, et celle qui semble cruellement absente au Nigeria, est le tempérament démocratique. L'expérience des démocraties avancées nous enseigne que ce tempérament se développe lentement et ne commence à s'épanouir qu'après une période de culture patiente et délibérée. À long terme, les intellectuels nigérians devraient jouer un rôle crucial en éduquant la population (en particulier la jeunesse) sur les dangers du régime militaire.

Diplomatie
Carte du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.

Le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord en 2024

by Prof. Dr. Eckart Woertz , Olena Osypenkova

Moins de deux ans après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la guerre de Gaza a ravivé le conflit israélo-palestinien et perturbé l'équilibre politique régional. L'évolution de la situation en Syrie et au Yémen demeure incertaine, tandis que l'Égypte s'affirme dans un nouveau rôle de médiateur. De plus, de nouveaux horizons s'ouvrent aux acteurs internationaux, notamment la Chine. Dans cette perspective, nous présentons une liste de dix éléments clés à surveiller dans la région à l'approche de 2024. - Conflits locaux : La persistance de l'autoritarisme se traduira vraisemblablement par une série de simulacres d'élections au niveau local. La guerre au Yémen pourrait perdurer malgré les négociations en cours, tandis qu'Israël semble dépourvu de plan clair pour la gestion post-conflit de Gaza. - Développements régionaux : Le réchauffement des relations avec la Syrie par la Ligue arabe contraste avec l'incertitude qui plane sur la normalisation des liens entre Israël et certains pays arabes. L'Égypte, en retrouvant une certaine influence régionale, assume un rôle de médiateur tant à Gaza qu'au Soudan. - Dynamique internationale : Les démocraties occidentales luttent pour maintenir leur influence face à la montée en puissance de la Chine et même de la Russie. Une éventuelle victoire de Trump lors des élections américaines pourrait redéfinir la politique étrangère des États-Unis, compliquant la résolution du dossier nucléaire iranien et suscitant des réactions potentiellement négatives de la part d'un État désormais doté de l'arme nucléaire. Israël pourrait bénéficier d'une plus grande latitude dans les territoires occupés, tandis que les États du golfe pourraient être amenés à choisir leur camp. - Questions économiques : La région demeure une puissance énergétique incontournable. Les accords OPEP+ devraient persister, et les fonds souverains du golfe pourraient réévaluer la répartition de leurs actifs si les pays du G7 décidaient de saisir, plutôt que de simplement geler, les avoirs russes à l'étranger. Implications politiques L'Europe se trouve confrontée à la nécessité de gérer les relations complexes avec la Chine et la Russie dans la région, tout en se préparant à une possible réélection de Trump et en cherchant à contenir l'influence de l'extrême droite israélienne. Les transitions vers des sources d'énergie plus durables présentent des opportunités de collaboration régionale prometteuses. Il est crucial de communiquer de manière transparente les sanctions à l'encontre de la Russie et de l'Iran aux autres exportateurs de pétrole, à moins qu'ils ne soient dissuadés par la menace de la militarisation financière, les incitant à s'abstenir d'investir sur les marchés financiers européens. Qui dirigera Gaza ? Bien que l'Égypte ait administré la bande de Gaza entre 1948 et 1967, elle n'a jamais revendiqué formellement le territoire. Contrairement à la Cisjordanie, où Israël étend des colonies illégales et envisage des projets d'annexion, Gaza ne suscite pas de telles ambitions. En 2005, les forces israéliennes se sont retirées, maintenant simplement un contrôle sur les points d'accès extérieurs. L'incertitude persiste quant au plan concret d'Israël pour la gouvernance post-conflit à Gaza. Actuellement, l'accent semble être mis sur la "destruction du Hamas", qui dirige la bande de Gaza depuis près de vingt ans. Les stratégies évoquées, comme l'évocation déconcertante du nettoyage ethnique, soulèvent des préoccupations. "Détruire le Hamas" représente une tâche improbable, étant donné la nature profondément enracinée de cette idéologie au sein du mouvement insurrectionnel et de la population dans son ensemble. Le gouvernement israélien a également rejeté l'idée de voir l'Autorité palestinienne revenir à Gaza avec le soutien des forces israéliennes, un plan colporté par l'administration américaine (indépendamment de la question de savoir si l'AP serait capable ou désireuse de le faire étant donné sa faiblesse, son chef Mahmoud Abbas étant âgé de 88 ans). Israël ne cherche pas à gouverner Gaza, mais pourrait être contraint de le faire si aucune autre solution n'émerge. Bien que toujours considéré comme une force d'occupation par les Nations unies, Israël souhaite conserver la liberté d'intervenir pour contrer toute menace émergente pour la sécurité, comme l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. L'intervention de l'ONU ou de pays arabes tels que l'Égypte, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite semble peu probable. Leur collaboration à l'administration de Gaza dépendrait de la volonté d'Israël de proposer une solution politique crédible à la question palestinienne, une perspective peu envisageable avec le gouvernement actuel dirigé par Benjamin Netanyahu et comprenant des personnalités d'extrême droite telles que Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. La tâche de gouverner Gaza s'annonce ardue, d'autant plus que la crise humanitaire s'aggrave avec jusqu'à trois quarts des maisons endommagées ou détruites. Les donateurs potentiels, tels que les pays du golfe et l'UE, pourraient hésiter à fournir des fonds pour la reconstruction si une reprise des hostilités et des destructions semble imminente. La guerre au Yémen prendra-t-elle fin ? En septembre 2023, des pourparlers directs à Riyad entre des représentants éminents d'Ansar Allah (également connu sous le nom de Houthis), allié à l'Iran, et des hauts responsables saoudiens, dont le ministre saoudien de la Défense, ont suscité l'espoir d'une résolution imminente du conflit prolongé au Yémen. Ce conflit, déclenché en 2015, a engendré l'une des crises humanitaires les plus graves au monde, entraînant environ 377 000 décès. À la veille de Noël, l'envoyé spécial des Nations unies au Yémen, Hans Grundberg, a annoncé qu'Ansar Allah et le gouvernement internationalement reconnu soutenu par l'Arabie saoudite s'étaient engagés "à prendre un ensemble de mesures pour mettre en œuvre un cessez-le-feu à l'échelle nationale", ajoutant qu'il "allait désormais travailler avec les parties pour élaborer une feuille de route sous les auspices des Nations unies en vue d'une paix durable" (OSESGY 2023). Bien que ces développements soient des avancées significatives susceptibles de mettre fin à l'impasse dans l'un des conflits régionaux les plus meurtriers, il est important d'adopter une approche prudente lors de l'évaluation des perspectives de paix au Yémen dans un avenir proche. Désireux de mettre fin à son implication directe dans le conflit, Riyad n'a pas réussi à obtenir des concessions significatives de la part d'Ansar Allah. Au contraire, d'importantes concessions ont été exigées de ses alliés yéménites au sein du Conseil présidentiel, qui, en raison de leur dépendance envers l'Arabie saoudite, ont consenti à contrecœur. Avec le Conseil représentant un ensemble hétéroclite de groupes rivaux, les négociations à venir s'annoncent ardues. Même en cas d'accord entre ses membres et Ansar Allah, sous la pression saoudienne, il est probable que les affrontements entre Yéménites reprennent ultérieurement, bien que potentiellement à une échelle plus modérée. L'implication croissante d'Ansar Allah dans le conflit à Gaza pose un autre obstacle à la paix. Depuis la mi-octobre 2023, le groupe lance des missiles en direction du sud d'Israël. À la mi-novembre, il a également commencé à attaquer les voies de navigation de la mer Rouge. Ces attaques non seulement risquent de perturber les prochaines négociations intra-yéménites (Lackner, 2023), mais augmentent aussi le risque d'entraîner les Yéménites dans un autre conflit majeur.Élections autoritaires dans la région MENA : quelle en est la raison et qui s'en soucie ? À l'échelle mondiale, 76 pays prévoient d'organiser des élections en 2024, parmi lesquels plusieurs se situent dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) (The Economist 2023). Malgré la prédominance de tendances autoritaires et les échecs observés dans les transitions démocratiques de nombreux pays de la région, les dirigeants locaux semblent persister dans la mise en œuvre d'au moins un aspect fondamental des systèmes démocratiques : la tenue d'élections. Les Iraniens se préparent à se rendre aux urnes en mars 2024 pour les élections législatives du pays. Au cours des dernières décennies, on a observé une intensification de la concentration du pouvoir politique entre les mains d'une petite élite et une répression croissante des opposants en Iran. Cette situation a entraîné une perte de confiance généralisée dans les processus électoraux, se traduisant par un faible taux de participation ces dernières années. Parallèlement, l'Algérie se prépare à organiser sa deuxième élection présidentielle depuis le départ d'Abdelaziz Bouteflika en 2019 après 20 ans de mandat. Le mouvement de protestation civile algérien, le Hirak, qui a joué un rôle majeur dans le renversement de Bouteflika, rejette largement le président actuel, Abdelmadjid Tebboune, le percevant comme une continuation de l'ancien appareil politique. L'appel de l'opposition à boycotter les élections de 2019 et 2021 suggère un faible taux de participation aux prochaines élections. En Tunisie, le mois de décembre 2023 a marqué les premières élections locales du pays sous la nouvelle constitution, avec un taux de boycott de 90 % (El Atti 2023). Ennahda, le principal groupe d'opposition, remet fortement en question la légitimité du président Kais Saeid depuis la suspension du parlement en 2021, appelant au boycott des élections. Même en Libye, où il y a eu des espoirs que les élections parlementaires et présidentielles, précédemment reportées pendant des années, puissent finalement se tenir en 2024, l'incertitude persiste quant à la réalisation de ces scrutins.   Alors que les taux de participation devraient être faibles en Iran, en Algérie et en Tunisie, mettant en lumière leur légitimité contestée, la situation pourrait être inverse en Turquie. Les élections locales prévues en mars constitueront un test crucial pour l'avenir politique de ce pays polarisé. Après la réélection du président Recep Tayyip Erdoğan en mai 2023, l'Adalet ve Kalkınma Partisi (AKP) vise à regagner le contrôle des grandes municipalités métropolitaines actuellement détenues par l'opposition. L'élection du maire d'Istanbul revêt une importance particulière, tant sur le plan économique que symbolique, car la fonction de maire a marqué le début de la carrière politique d'Erdoğan. Si le maire sortant de l'opposition, Ekrem Imamoğlu, est réélu, il pourrait renforcer ses chances de remporter les prochaines élections présidentielles en 2028. À l'inverse, une victoire du candidat de l'AKP, Murat Kurum, pourrait démoraliser davantage une opposition déjà fragmentée et consolider le régime autoritaire à long terme (Récapitulatif de la Turquie 2024). Pourquoi les gouvernements autoritaires de la région MENA, même lorsque leur manipulation électorale prévoit souvent les résultats à l'avance, insistent-ils tant sur l'organisation d'élections ? Les régimes autoritaires de la région ont adopté une rhétorique visant à justifier divers aspects de leur conduite, tels que la répression violente, l'oppression et la corruption. Les institutions démocratiques, telles que les élections nationales, se révèlent être des outils utiles pour légitimer ce discours, présentant ainsi les dirigeants politiques comme étant démocratiquement élus et leurs actions comme étant en accord avec la volonté du peuple. Les élections servent également d'outil pratique pour définir clairement les limites de la participation politique. Les dirigeants en place ont tendance à mettre en œuvre des processus qui excluent les groupes d'opposition de la course électorale. Ces processus peuvent prendre la forme de filtrages ou de la criminalisation des opinions politiques divergentes. Cela permet aux autoritaires de maintenir la concentration du pouvoir entre les mains de l'élite dirigeante en limitant la participation d'autres groupes d'intérêt. Les élections sont un moyen d'atteindre un consensus au sein du système gouvernemental établi. Dans la région MENA, les groupes d'intérêt militaires et paramilitaires jouent un rôle essentiel dans le processus électoral. La concentration du pouvoir entre les mains des élites dirigeantes autoritaires est le fruit d'une collaboration entre l'appareil militaire et les composants civils de l'élite politique. En tant que tel, les élections deviennent également un outil utile pour faciliter le renouvellement du consensus entre les hauts responsables militaires et civils. L'Égypte : De médiateur à courtier en puissance régionale ? Au cours de la dernière année, l'Égypte a joué un rôle prépondérant dans la médiation des conflits et a fourni une aide humanitaire au Soudan, en Libye et à Gaza. Les risques graves posés par ces trois conflits pour la stabilité régionale amplifient les menaces existantes en matière de sécurité, notamment la volatilité, les insurrections et le trafic d'armes, d'autant plus qu'ils persistent. La gestion de ces conflits étroitement liés positionne l'Égypte comme un acteur majeur dans la région MENA et le Sahel, à un moment où son économie en difficulté exerce une pression importante sur son influence internationale. La Libye et le Soudan étaient déjà des points de convergence majeurs pour le trafic d'armes transsaharien bien avant le début de la guerre civile au Soudan en avril 2023. Les milices opérant près de la frontière libyenne avec le Tchad acheminent du matériel militaire, du personnel et du carburant dans toute la région. Parallèlement, les armes faisant l'objet de contrebande depuis le Yémen et l'Érythrée, via la mer Rouge, approvisionnent les insurgés opérant dans la péninsule du Sinaï et au Levant. Les théâtres d'opérations complexes facilitent également l'influence croissante de la Russie en Afrique, car le Soudan et la Libye renforcent les sources de revenus de Moscou et du groupe Wagner. Les récentes frappes aériennes des États-Unis et du Royaume-Uni sur des cibles houthies visant à sécuriser les voies de navigation de la mer Rouge marquent une nouvelle escalade dans le conflit entre Israël et le Hamas, avec des implications significatives. Jusqu'en 2023, l'Égypte a participé à de multiples sommets pour négocier des cessez-le-feu humanitaires par l'intermédiaire des Nations unies, de l'Union africaine, de la Ligue arabe, de l'Autorité intergouvernementale pour le développement et du processus de Jeddah au Soudan, dirigé par les États-Unis et l'Arabie saoudite (Skinner, 2023). Elle a de plus accueilli plusieurs conférences au Caire visant à faciliter l'élaboration d'une nouvelle feuille de route entre les administrations rivales de la Libye et à promouvoir le dialogue entre la société civile soudanaise, malgré ses profondes divisions. Bien qu'elle ait initialement suspendu sa médiation dans le conflit entre Israël et le Hamas après l'assassinat du commandant en second de ce dernier, Saleh al-Arouri, au Liban, l'Égypte a repris sa participation quelques jours plus tard. Tout en rassemblant un soutien pour les cessez-le-feu et les négociations sur les otages entre Israël et le Hamas, ainsi que pour la gestion des conflits en Libye et au Soudan, les dissensions diplomatiques se sont intensifiées au Moyen-Orient. Jusqu'à présent, l'Égypte a tiré profit de ces deux tendances de différentes manières. Dans la guerre entre Israël et le Hamas, son rôle crucial ouvre la voie à une expansion de la collaboration politique et économique, comme en témoignent les dépôts d'argent prévus dans le golfe et la coopération des États-Unis malgré la récente détérioration des relations américano-égyptiennes. Les tensions sont plus marquées en Libye et au Soudan, principalement en raison de l'ingérence des Émirats arabes unis dans ces deux pays par le biais du parrainage et de la fourniture d'armes aux milices, laissant à l'Égypte un rôle de médiateur plus cohérent. Pour le meilleur ou pour le pire, la proximité de l'Égypte avec trois guerres simultanées représente à la fois un défi pour la sécurité et une opportunité diplomatique pour s'affirmer. Cependant, la question de savoir si elle peut passer du rôle de médiateur à celui d'intermédiaire en matière de pouvoir reste aussi ouverte que ces conflits eux-mêmes. La réintégration régionale de la Syrie se poursuivra-t-elle ? Lors du sommet annuel du 19 mai 2023, la Syrie du président Bachar el-Assad a été réadmise au sein de la Ligue arabe en tant que membre à part entière. Il s'agit d'une réussite diplomatique et symbolique majeure pour le gouvernement dictatorial de Damas, qui a été exclu pendant près de 12 ans en raison de la répression massive, presque aveugle, de sa propre population lors de la phase initiale de la guerre civile syrienne à l'automne 2011. Ce processus s'est intensifié au fil des années, entraînant des centaines de milliers de morts et le déplacement de plus de 13 millions de Syriens. Le prochain sommet ordinaire de la Ligue arabe, prévu à Bahreïn en avril ou mai 2024, sera un test décisif pour déterminer si la réintégration régionale de la Syrie se poursuivra et quelles en seront les implications concrètes. Jusqu'à présent, la normalisation des relations des pays arabes avec la Syrie depuis le sommet de la Ligue arabe de 2023 est demeurée superficielle et n'a procuré aucun avantage tangible aux gouvernements régionaux qui étaient antérieurement opposés au régime d'Assad. Aucun investissement économique n'a été observé de la part des pays du golfe, et les échanges commerciaux avec la Jordanie et l'Égypte sont restés limités. À court terme du moins, les "dividendes de la normalisation" n'ont pas été perceptibles. De plus, la normalisation diplomatique avec Assad n'a pas conduit à une amélioration de la sécurité aux frontières ni à une diminution du trafic de drogues, notamment de Captagon et de haschisch, vers la Jordanie et les pays du golfe. Au contraire, l'année 2023 a été marquée par des niveaux records d'activités documentées de trafic de drogues et une augmentation de leur consommation par la jeunesse arabe en Syrie et dans les pays voisins. Pire encore, le gouvernement Assad a instrumentalisé l'escalade massive de la violence en Israël et dans les territoires occupés depuis le 7 octobre 2023 de deux manières : Sur le plan rhétorique, Assad et d'autres responsables syriens n'ont cessé de dénoncer l'agression israélienne contre les civils palestiniens tout en affirmant qu'ils n'étaient pas impliqués dans les activités du prétendu axe de résistance, cherchant ainsi à améliorer leur image ternie dans la région et au-delà. Sur le plan militaire, les forces armées d'Assad ont lancé une campagne massive contre la région d'Idlib, contrôlée par l'opposition islamiste, en ciblant spécifiquement les civils. Au cours des trois derniers mois depuis octobre 2023, 200 personnes, principalement des enfants et des femmes, ont été tuées, et plus de 120 000 ont été déplacées à l'intérieur du pays, échappant ainsi à l'attention du public arabe et international (Haid 2024). L'Iran deviendra-t-il nucléaire après une victoire de Trump ? Lors de sa campagne présidentielle de 2016, Donald Trump a critiqué l'accord conclu par le gouvernement de Barack Obama, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), en juillet de l'année précédente. Une fois en fonction, en mai 2018, le gouvernement de Trump s'est retirée unilatéralement de l'accord. L'actuelle gouvernement de Joe Biden a depuis tenté en vain de relancer l'accord ; l'Iran, affirmant qu'il n'est plus lié par les dispositions du JCPOA, a repris son enrichissement d'uranium, atteignant désormais sa capacité de production (Millington 2022). Au cours des primaires présidentielles actuelles, Trump, le candidat le plus probable pour affronter Biden aux élections de 2024, a réitéré son appel en faveur d'une position plus dure à l'égard de l'Iran. Les enjeux nucléaires plus importants et la politique de "pression maximale" menée par Trump à l'égard de l'Iran suscitent des craintes quant à un conflit militaire potentiel s'il remporte un second mandat à l'automne 2024. Bien que de tels scénarios ne soient pas impossibles, leur probabilité est souvent exagérée dans les commentaires politiques. Les politiques de sanctions et d'embargo des États-Unis à l'encontre de l'Iran sont une constante dans les relations entre les deux pays depuis la révolution islamique de 1979. Lorsqu'en 2003, un rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique a conclu que l'Iran ne respectait pas son accord de garanties, la situation s'est encore aggravée. Les administrations américaines suivantes ont lancé plusieurs nouvelles séries de sanctions internationales contre Téhéran, dans le but déclaré d'empêcher l'Iran de se doter d'une bombe nucléaire et d'éviter une course aux armements au Moyen-Orient. Cette pression internationale a finalement amené un nouveau gouvernement iranien modéré à la table des négociations en 2013, aboutissant à l'"accord nucléaire" conclu entre le P5+1 et l'Iran à Vienne en 2015. Cependant, ni le JCPOA ni sa suspension n'ont modifié les paramètres fondamentaux de l'antagonisme américano-iranien qui dure depuis plus de quarante ans. Il n'a fait que déplacer temporairement l'attention de la posture militaire vers des voies diplomatiques. Même Obama, qui a défendu une nouvelle approche "basée sur les intérêts mutuels et le respect mutuel", a continuellement souligné que les options militaires restaient sur la table. Le gouvernement de Trump, quant à elle, a évité les frappes limitées sur les installations nucléaires iraniennes, sans parler d'un conflit militaire ouvert avec Téhéran, malgré son approche de "pression maximale" qui a culminé avec l'assassinat ciblé du commandant de la Force Qods, Qasem Soleimani, en janvier 2020. Avec ces tactiques fluctuantes, les risques d'escalade demeurent réels, qu'ils soient déclenchés par une seconde gouvernement de Trump enhardie ordonnant une frappe préventive, par un jeu de spoiler israélien, ou par la conclusion de Téhéran que sortir du nucléaire tout en restant sous la couverture politique de la Russie est le meilleur moyen de contrer un président américain imprévisible. Dans un scénario plus favorable, il pourrait y avoir une continuité du côté américain malgré la rhétorique. L'Iran pourrait également décider que le simple fait d'afficher son statut de seuil nucléaire pourrait lui conférer autant d'influence que le franchissement du seuil, avec bien moins de risques. Les accords d'Abraham survivront-ils à la guerre de Gaza ? Les accords d'Abraham, signés en 2020 entre Israël et les Émirats arabes unis, le Bahreïn, puis le Maroc et le Soudan, ont conduit à une normalisation diplomatique et envisagé de cultiver des liens économiques, culturels et technologiques plus profonds entre les pays respectifs. Après les accords de paix conclus avec l'Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994, quatre autres pays arabes entretiennent désormais des relations diplomatiques avec Israël. L'Arabie saoudite aurait été prête à rejoindre leurs rangs avant que l'attaque du Hamas du 7 octobre n'y mette un terme. Toutefois, la poursuite des hostilités par Israël à Gaza et la crise humanitaire sans précédent qui y sévit ont suscité des inquiétudes quant à la durabilité de ces accords et à la trajectoire plus générale du processus de normalisation d'Israël dans la région. Les gouvernements arabes ayant signé des accords de normalisation avec Israël font l'objet d'un examen de plus en plus minutieux et d'appels à la responsabilité dans leur pays, comme en témoignent les initiatives citoyennes telles que les manifestations, les marches et l'activisme en ligne. Jusqu'à 85 % de la population de Gaza a été déplacée, et l'Afrique du Sud a entamé des procédures contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye en raison d'accusations de génocide. La grande majorité des populations de la région MENA soutiennent vocalement la cause palestinienne. Leurs gouvernements craignent que les manifestations pro-palestiniennes ne se retournent contre eux, comme lors du Printemps arabe, et ne menacent la survie de leur régime. Cette pression croissante de la base a conduit des gouvernements, tels que ceux de Bahreïn et de Jordanie, à rappeler leurs ambassadeurs d'Israël, tandis que les pourparlers entre Israël et l'Arabie saoudite, négociés par les États-Unis, ont été suspendus. Les accords d'Abraham étaient assortis d'incitations considérables : Les États-Unis ont retiré le Soudan de leur liste d'États soutenant le terrorisme, ont levé les sanctions à son encontre et ont également reconnu la souveraineté du Maroc sur l'ensemble du territoire du Sahara occidental. Les Émirats arabes unis et Israël ont un intérêt commun pour les investissements dans la haute technologie et la défense, ainsi que pour la lutte contre l'attitude régionale de l'Iran. Ce dernier point a aussi été un facteur important dans les négociations entre l'Arabie saoudite et Israël. Cependant, les prémisses de ces accords, à savoir qu'une normalisation durable pouvait être réalisée en ignorant la question palestinienne, ont prouvé que le gouvernement populiste de droite de Netanyahou était malavisé. Les critiques persistantes à l'encontre des États-Unis pour leur manque apparent d'impartialité dans le conflit israélo-palestinien pourraient ternir leur rôle de médiateur, ce qui pourrait nuire à leur capacité à encourager d'autres nations arabes à établir des liens avec Israël. En signant les accords d'Abraham, les intérêts politiques et économiques des élites ont pris le pas sur les préoccupations et les aspirations de leurs opinions publiques. Le mécontentement populaire reste une force sociale puissante, obligeant les gouvernements à réévaluer et à reconsidérer ces engagements, comme le montre le rappel des ambassadeurs, soulignant ainsi les limites des accords conclus par les élites. La Chine en avant, l'Europe en arrière ? En 2024, les relations entre la Chine et le Moyen-Orient continueront de s'approfondir sur deux fronts. Sur le plan géoéconomique, l'influence croissante de la Chine dans la région s'est manifestée ces dernières années à travers divers secteurs, notamment grâce à son initiative "la Ceinture et la Route", tandis que la présence régionale de l'UE (et des États-Unis - a connu un déclin relatif). Selon les données des douanes chinoises, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et le Moyen-Orient a presque doublé entre 2017 et 2022, passant de 262,5 milliards USD à 507,2 milliards USD. En 2023, la Chine est devenue le premier partenaire d'importation ou d'exportation de la plupart des pays de la région. Par exemple, elle a supplanté l'UE en tant que premier partenaire commercial du Conseil de coopération du golfe en 2020. Les secteurs clés des relations Chine-MENA comprennent l'énergie traditionnelle, l'énergie renouvelable, les infrastructures, la technologie et les communications (y compris la 5G d'Huawei), la fintech et l'industrie manufacturière. Sur le plan géopolitique, deux points méritent d'être soulignés. Premièrement, la Chine maintiendra sa politique de non-interventionnisme. L'ordre militaire régional, coûteux et dominé par les États-Unis, est également financé par ces derniers. Du point de vue des intérêts nationaux chinois, aucune raison ne justifie une modification de cette équation. En 2024, les États-Unis continueront à consacrer davantage de ressources géopolitiques au niveau régional (notamment en raison de la guerre de Gaza), avec la Chine en tant que principal bénéficiaire économique. Deuxièmement, en ce qui concerne le volet "géo" de la géopolitique, la région s'éloigne progressivement de l'"Occident" et s'identifie plus à d'autres imaginaires géographiques tels que l'"Asie" et le "sud mondial". Au cours des échanges bilatéraux et multilatéraux avec des partenaires chinois, indiens et d'autres nations du sud, les responsables régionaux délaissent de plus en plus l'appellation "Moyen-Orient" au profit de celle d'"Asie occidentale". Ils renoncent petit à petit au concept occidental-centré du "Moyen-Orient" (et du "Proche-Orient"), redéfinissant l'identité géographique de la région dans le contexte d'un monde post-ordre occidental (Forough 2022). Un autre signe de cette tendance ces dernières années est l'effort actif des pays de la région pour adhérer à des institutions dirigées par l'Asie, telles que la Banque asiatique de développement des infrastructures, l'Organisation de coopération de Shanghai et les BRICS+. De plus, le soutien sans réserve des puissances occidentales à la manière dont Israël a mené sa guerre à Gaza accélérera la prise de distance de la région vis-à-vis de l'Occident. Les pays de la région MENA ont appuyé la position de l'Afrique du Sud devant la CIJ, tandis que la Chine a appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la création d'un État palestinien pleinement reconnu dans le cadre d'une solution à deux États. L'OPEP+ survivra-t-il ? Historiquement, l'OPEP, dirigée par l'Arabie saoudite, et la Russie ne sont pas des alliés naturels. Pendant la guerre froide arabe, des années 1950 aux années 1970, les deux parties se sont opposées sur le plan idéologique, l'Union soviétique soutenant les régimes révolutionnaires du Moyen-Orient hostiles aux monarchies du golfe. La décision saoudienne de 1985 de cesser de réduire sa production et d'ouvrir ses vannes pétrolières pour regagner des parts de marché a conduit à l'effondrement des prix. L'impact fiscal de cette décision sur l'URSS a joué un rôle non négligeable dans sa disparition quelques années plus tard. L'union de ce couple improbable en 2016 n'en a été que plus étonnante. La Russie est devenue membre de l'OPEP+, qui a accepté de réduire la production de pétrole. Avant qu'une surabondance ne fasse chuter les prix à partir de 2014, l'Arabie saoudite avait tenté de déclencher une guerre des prix contre les nouveaux producteurs de pétrole de réservoirs étanches non conventionnels aux États-Unis et avait perdu. Cependant, l'unité retrouvée entre les deux poids lourds du pétrole n'a pas duré longtemps. Début 2020, l'Arabie saoudite et la Russie se sont livrées à une brève guerre des prix, avant de s'entendre sur de nouvelles réductions de la production de l'OPEP+ en avril de la même année. Les États-Unis ont salué cette mesure à l'époque, les producteurs américains étant menacés de faillite par la pandémie de COVID-19 qui a anéanti la demande de pétrole, poussant les prix de gros au carrefour pétrolier de Cushing, en Oklahoma, en territoire négatif à un moment donné.En octobre 2022, les pays de l'OPEP+ ont réduit leur production de pétrole de deux millions de barils par jour, marquant leur première baisse de production depuis 2020. Cette fois-ci, les puissances occidentales ont exprimé leur indignation alors que les pays du golfe coopéraient avec la Russie en pleine guerre d'agression contre l'Ukraine. Cependant, les pays du golfe défendent leurs propres intérêts nationaux, cherchant des opportunités dans l'exploration de nouveaux partenariats dans un monde de plus en plus multipolaire. Ils doivent simultanément assurer la stabilité fiscale et financer des projets de développement pour l'ère post-pétrole. Dans le contexte où la demande mondiale de pétrole pourrait se stabiliser au milieu des années 2030, comme l'avait prévu Saudi Aramco dans son prospectus d'introduction en bourse de 2019, ces pays anticipent les défis futurs et ajustent leurs stratégies en conséquence.Comment l'OPEP+ se comportera-t-il lors de la prochaine réunion de l'OPEP en juin 2024 ? Tous les cartels sont intrinsèquement instables. Les resquilleurs tentent de profiter de la hausse des prix sans respecter la discipline des quotas et sans réduire la production, rappelant l'exemple de l'Irak pendant le boycott pétrolier arabe des années 1970. De plus, les nouveaux venus, stimulés par des prix artificiellement élevés, peuvent perturber l'équilibre. Si la réduction de la production de pétrole dans les pays de l'OPEP+ persiste, les volumes partiellement perdus pourraient être compensés par une augmentation de la production dans des pays non membres de l'OPEP, tels que les États-Unis, le Canada, la Guyane et le Brésil. Les producteurs traditionnels du Moyen-Orient risqueraient de perdre des parts de marché, comme cela s'est produit au début des années 1980. Les transitions énergétiques à venir auront probablement un impact sur la demande de pétrole à moyen et long terme. Si l'on se fie à l'histoire, l'OPEP+ pourrait vaciller, même s'il peut encore réussir à maintenir la cohésion de son cartel en juin 2024, du moins temporairement.Comment les fonds souverains du golfe réagiraient-ils si l'Occident saisissait les actifs russes ?Les pays occidentaux ont pris la décision sans précédent de geler 300 milliards de dollars d'actifs russes à la suite de la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine. Le G7 envisage désormais, lors de sa prochaine réunion en février 2024, la possibilité d'aller plus loin en saisissant ces actifs pour financer la reconstruction en Ukraine (Tamma et Politi, 2023). Les fonds souverains des pays du Golfe et de la Chine sonnent l'alarme, car ils détiennent d'importants actifs sur les marchés des capitaux et dans les juridictions occidentales.Les autorités d'investissement d'Abou Dhabi, du Koweït et du Qatar font partie des plus grands fonds souverains du monde. Plus récemment, l'Arabie saoudite a transformé son fonds d'investissement public en un investisseur actif sur la scène internationale, le distinguant ainsi d'un investisseur passif et d'un détenteur d'actifs nationaux inactif, comme c'était le cas il y a seulement quelques années (Roll, 2019).Le terme même de "fonds souverains" a été forgé en 2005, lors du deuxième boom pétrolier. Depuis lors, les actifs des fonds souverains du Golfe ont considérablement augmenté. Durant la crise financière de 2007/2008, ils jouaient souvent le rôle de chevalier blanc pour les banques et les entreprises occidentales en difficulté, réalisant d'importants investissements dans des entreprises telles que Deutsche Bank, Barclays et Volkswagen.Les États-Unis, avec le concours d'autres pays occidentaux, ont progressivement militarisé l'infrastructure financière mondiale, notamment le système de paiement SWIFT (Farrell et Newman, 2019). Bien que les pays du Golfe n'aient pas été directement visés par les sanctions occidentales, comme l'Iran et la Russie, ils ont déjà fait face à de telles menaces par le passé. Pendant le boycott pétrolier arabe des années 1970, les États-Unis ont même menacé d'imposer un embargo alimentaire unilatéral aux pays du Golfe qui dépendaient des importations (Woertz, 2013). Dans ce contexte, la menace de saisie des actifs russes incitera probablement ces derniers à diversifier leurs actifs en dehors des marchés occidentaux, augmentant déjà la part des marchés émergents dans leurs portefeuilles. L'année 2023 a également été marquée par une augmentation des achats d'or par des entités souveraines. Le recyclage des pétrodollars, qui a été un aspect crucial de la stabilité financière internationale lors des booms pétroliers des années 1970 et des premières années du nouveau siècle, ne peut être tenu pour acquis à l'avenir.Ce GIGA Focus s'éloigne du format habituel de la série, étant le fruit de la collaboration de plusieurs membres du personnel de l'Institut GIGA d'études sur le Moyen-Orient. Eckart Woertz a contribué à la section sur l'administration de Gaza après la guerre, Jens Heibach a rédigé la partie sur la guerre du Yémen, Mira Demirdirek et Sara Bazoobandi ont écrit celle sur les élections régionales. Hager Ali s'est penché sur l'importance croissante de l'Égypte en tant que médiateur, tandis qu'André Bank s'est intéressé à la réintégration régionale de la Syrie. Nils Lukacs a examiné les implications possibles d'une victoire de Trump sur la politique américaine dans la région MENA. Deema Abu Alkheir a rédigé la section sur l'avenir du processus de normalisation d'Israël avec certains pays de la région. Mohamadbagher Forough a analysé l'importance croissante de la Chine au niveau régional, tandis que l'Europe s'efforce de maintenir son influence dans la région. Les parties consacrées à l'OPEP+ et aux fonds souverains du Golfe ont été rédigées par Eckart Woertz et Olena Osypenkova, qui ont également participé à la rédaction de ce GIGA Focus.

Diplomatie
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Renforcement des Relations : Maurice, les Seychelles et les Monarchies du golfe dans une Ère de Coopération

by Zoltan Barany

Les îles Maurice et les Seychelles, deux États insulaires situés dans le sud-ouest de l'océan Indien, partagent une histoire en tant qu'anciennes colonies britanniques et sont tous deux membres du Commonwealth depuis leur accession à l'indépendance. Ces deux nations, qui se distinguent par leur position géographique privilégiée, se démarquent comme des piliers de prospérité en Afrique. Affichant une stabilité démocratique remarquable, un niveau élevé de sécurité publique et un climat chaud constant, elles sont également réputées pour leur remarquable beauté naturelle. Classées parmi les pays africains les plus prospères, les îles Maurice et les Seychelles se distinguent particulièrement dans l'indice de développement humain des Nations unies. Maurice se positionne à la 63ᵉ place, tandis que les Seychelles se situent à la 72ᵉ place, sur un total de 191 pays classés. Cette performance remarquable les place en tête des nations africaines subsahariennes, avec une nette avance sur le pays suivant, l'Afrique du Sud, classée au 109ᵉ rang.Le statut géographiquement délicat des petits États insulaires s'accompagne d'un avantage significatif : la possession de zones économiques exclusives (ZEE) plusieurs fois supérieures à leur superficie terrestre. Il est remarquable que, malgré leur éloignement de plus de mille milles, les ZEE de ces deux États présentent un chevauchement impressionnant de près de 153 000 milles carrés. Ce territoire, qu'ils administrent de manière conjointe et sans litige, souligne non seulement la coopération entre eux, mais également la gestion proactive de ressources maritimes étendues. Il va de soi que la surveillance efficace de ZEE aussi étendues demeure un défi pour de petits États insulaires. Cependant, cette vaste étendue territoriale sous-marine et océanique renferme aussi le potentiel de richesses encore inexploitées.Par nature vulnérables, les petits États insulaires adoptent une approche proactive en matière de politique étrangère, participant activement à diverses organisations internationales régionales et mondiales, tout en cherchant des alliances opportunes. Traditionnellement liée à New Delhi en raison de sa population majoritairement issue de travailleurs contractuels indiens, l'île Maurice a su tisser des liens étroits avec l'Inde. Cependant, les élites politiques mauriciennes ont réussi à tirer profit de la rivalité émergente entre l'Inde et la Chine dans la région sud de l'océan Indien. Elles ont attiré des investissements pour un large éventail de projets industriels, commerciaux et d'infrastructure, diversifiant ainsi leurs partenariats internationaux. Pendant la guerre froide, les Seychelles, bien qu'officiellement membre du mouvement des non-alignés tout comme Maurice, étaient profondément ancrées dans le camp socialiste. Cependant, elles ont accueilli une station de repérage et d'espionnage américaine dans les montagnes surplombant la capitale, Victoria, tout en permettant fréquemment l'amarrage de navires de la marine soviétique dans leur port. Cette position stratégique a démontré leur habileté à naviguer dans les jeux d'alliances internationales. De plus, les deux pays ont cultivé des relations fructueuses avec les monarchies du golfe, en retirant des avantages significatifs de ces partenariats stratégiques.Renforcement Réciproque des Liens PolitiquesPeu de temps après avoir obtenu leur indépendance, Maurice et les Seychelles ont rapidement établi des relations diplomatiques avec la plupart des monarchies du golfe. Ces liens, initiés dès les premières années d'autonomie, ont persisté avec une constance remarquable, évoluant vers une solidité accrue au fil du temps. Indéniablement, cette relation présente une dynamique quelque peu déséquilibrée, étant donné que, pour les membres du Conseil de coopération du golfe (CCG), les relations avec deux petits États insulaires ne figurent pas en tête de leurs priorités. Néanmoins, du point de vue de Maurice et des Seychelles, les liens avec les riches monarchies arabes, en particulier les Émirats arabes unis (EAU) et l'Arabie saoudite, revêtent une importance considérable. Ces relations ont été soigneusement cultivées et demeurent au cœur des préoccupations diplomatiques de ces nations insulaires.Les traditions solidement ancrées de soutien de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Koweït envers les deux nations insulaires remontent à plusieurs décennies. Un éventail varié d'accords bilatéraux a été conclu entre ces partenaires, allant de l'instauration de bourses universitaires à la collaboration étroite dans des opérations de sécurité. Un aspect particulièrement crucial de cette coopération a été la lutte commune contre la piraterie, une menace majeure pour la sécurité de ces pays au cours des deux premières décennies du XXIe siècle. Cette dimension a occupé une place centrale dans la diplomatie maritime entre Maurice, les Seychelles et les États du Conseil de coopération du golfe (CCG). Les Émirats arabes unis ont démontré leur engagement envers la sécurité maritime en accordant une subvention de 15 millions de dollars pour la reconstruction des garde-côtes seychellois et en faisant don de cinq bateaux destinés à patrouiller le long des côtes. Oman, du fait de sa longue côte dans l'océan Indien, a également engagé des discussions avec Maurice et les Seychelles sur les questions de piraterie. Depuis 1985, le Koweït apporte un soutien continu aux Seychelles par le biais du Fonds koweïtien pour le développement économique arabe, contribuant ainsi au développement de plusieurs projets liés à la pêche en mer et aux infrastructures, et finançant notamment la construction d'une école primaire à Victoria.En avril 2022, les Seychelles ont concrétisé un accord significatif avec les Émirats arabes unis en vue de moderniser et de transformer leur service public. Ce projet triennal vise à développer et à améliorer les activités et les pratiques gouvernementales, l'interaction avec le public, ainsi que l'efficacité globale de l'administration publique des Seychelles[6]. Naadir Hassan, le ministre des Finances des Seychelles, a souligné que l'adoption d'un cadre de gestion axé sur les résultats et la numérisation du service public contribueront de manière substantielle à l'amélioration de la prestation de services publics de haute qualité. En parallèle, les Émirats arabes unis ont renforcé diverses initiatives de projets communautaires aux Seychelles. Ils ont apporté un soutien financier crucial à la construction de logements publics. De plus, les Émiratis ont joué un rôle clé dans la création d'un parc d'éoliennes sur l'île du Port, située juste à l'extérieur de la capitale, Victoria. Ces initiatives ont été rendues possibles grâce aux subventions généreuses du gouvernement d'Abou Dhabi, gérées par le Fonds d'Abou Dhabi pour le développement[7]. Par ailleurs, les Émirats arabes unis ont généreusement offert 40 bus à l'autorité de transport public des Seychelles, soulignant ainsi leur engagement envers l'amélioration des infrastructures et des services essentiels dans le pays.Le regretté cheikh Khalifa bin Zayed bin Sultan Al Nahyan (1948-2022), deuxième président des Émirats arabes unis et souverain d'Abou Dhabi de 2004 à 2022, a joué un rôle prépondérant dans l'aide substantielle accordée aux Seychelles. Toutefois, son intérêt pour les Seychelles n'était pas entièrement désintéressé. À partir de 1994, il a acquis près de 100 acres de l'île, où il a érigé un palais en 2005. La construction de ce château au sommet de la montagne a suscité une controverse importante en raison des dommages environnementaux considérables qu'elle a engendrés. Il convient de noter que bien que cette initiative ait été sujette à des critiques, le cheikh Khalifa a pris des mesures en indemnisant et dédommageant les 360 ménages concernés, atténuant ainsi les impacts sur la communauté locale.À la différence des Seychelles, Maurice a évolué en tant que démocratie multipartite depuis son accession à l'indépendance. Elle a également tiré d'importants bénéfices de ses relations avec les États du Conseil de coopération du golfe (CCG) et a apporté un soutien proportionnel à ses modestes moyens. Un exemple de cette réalité pragmatique s'est manifesté en 2017 lorsque l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l'Égypte ont isolé le Qatar en raison de ses positions supposément divergentes sur les relations étrangères et le terrorisme international. À ce moment, Maurice a été l'un des neuf pays arabes à rompre ses relations avec Doha en juin 2017. Face à cette situation, les élites politiques de Port-Louis ont fait preuve de pragmatisme en reconnaissant qu'un refus de soutenir les principaux bénéficiaires régionaux (l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) aurait des conséquences plus préjudiciables que de s'aligner sur l'isolement du Qatar. Cependant, quelques mois plus tard, en octobre 2017, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères de Maurice ont rencontré l'ambassadeur non résident du Qatar à Port-Louis pour "discuter des relations bilatérales" et "explorer des moyens de les stimuler et de les développer". Il est raisonnable de supposer que les avantages commerciaux liés aux relations avec le Qatar ont pesé davantage que les avantages géopolitiques d'être parmi les États soutenant l'isolement de Doha.Les élites politiques de Maurice ainsi que les segments sociaux défavorisés ont également profité de la générosité de Riyad. À la différence des Seychelles, situées à 1 100 miles au nord, l'île Maurice est périodiquement touchée par des cyclones dévastateurs. Face à cette réalité, les alliés de Port-Louis au sein du Conseil de coopération du golfe (CCG) ont régulièrement apporté des dons, une aide humanitaire et des subventions pour soutenir les efforts de reconstruction. Par exemple, en mai 2019, le King Salman Humanitarian Aid and Relief Center a annoncé un don de 10 millions de dollars en vue de fournir une assistance humanitaire. Cette subvention a été utilisée pour financer des projets de construction d'abris, soutenir les secteurs de l'alimentation et de la santé, et faciliter l'intervention rapide en cas de crise. Le Fonds saoudien pour le développement a, quant à lui, octroyé des prêts à faible taux d'intérêt et des subventions pour la création d'un hôpital universitaire, d'un complexe multisports, ainsi que pour des projets dans le domaine du logement social. En période de crise, Riyad a également envoyé par avion 50 tonnes de dattes pour atténuer les souffrances de la population. L'approfondissement des relations entre les deux pays a été souligné par l'ouverture en 2018 d'un consulat général d'Arabie saoudite à Maurice et d'un consulat mauricien à Djeddah, en partie financés par les Saoudiens, marquant ainsi une nouvelle étape dans le renforcement de leurs liens diplomatiques.Des Liens Commerciaux et Culturels en Pleine CroissanceLe tourisme émerge comme le pilier essentiel des relations commerciales entre Maurice, les Seychelles et les États du Conseil de coopération du golfe (CCG). Situées à 4-6 heures de vol depuis les aéroports les plus fréquentés des royaumes du golfe tels que Doha, Abu Dhabi et Dubaï, ces îles séduisent par leur climat relativement doux, mais chaud, des plages immaculées, des infrastructures bien développées et une pléthore de stations balnéaires exclusives.La baisse du nombre de visiteurs chinois à Maurice et aux Seychelles a incité ces deux pays à intensifier leurs efforts pour attirer l'attention du Conseil de coopération du golfe (CCG), en particulier de sa nation la plus peuplée, l'Arabie saoudite. La Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) a élaboré des campagnes visant à positionner les îles mauriciennes comme une "destination de choix" pour les agents de voyage saoudiens. Sans surprise, la pandémie de grippe aviaire, qui a pratiquement paralysé les voyages internationaux, a été une période particulièrement difficile pour ces deux nations insulaires. Face à ces défis, l'île Maurice a mis en œuvre une stratégie de vaccination et des protocoles de sécurité robustes, se révélant très efficaces pour protéger sa population, même si cela a entraîné la fermeture temporaire de son secteur touristique. Afin d'atténuer les conséquences économiques de cette situation, les Émirats arabes unis ont apporté un soutien financier significatif à ces deux pays, démontrant ainsi leur solidarité envers leurs partenaires insulaires.Depuis le début de l'année 2022, le tourisme en provenance du golfe a connu une hausse, en grande partie attribuable aux campagnes de marketing déployées par les îles. En mai, l'Arabie saoudite et les Seychelles ont officiellement signé un protocole d'accord visant à stimuler le tourisme, générer des emplois et promouvoir le développement durable. Cette dynamique s'est accentuée en juillet avec le lancement de vols directs vers les Seychelles par la compagnie aérienne saoudienne Flynas. Parallèlement, l'approche de rapprochement entre certaines monarchies du golfe et Israël a profité à Air Seychelles et Air Mauritius. Ces compagnies ont obtenu du gouvernement saoudien des droits de survol pour leurs vols à destination et en provenance de Tel Aviv, résultant en une économie de carburant et une augmentation du nombre de passagers transportés sur leurs vols[13]. La compagnie aérienne saoudienne Flynas, par exemple, a initié des vols directs vers les Seychelles en juillet. Dans le cadre de cette dynamique, la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) a lancé une nouvelle campagne de marketing intitulée "Explore the Unexplored Mauritius", ciblant spécifiquement les pays du Conseil de coopération du golfe. Bien que les résultats montrent une amélioration avec 470 640 arrivées au premier semestre 2022, dépassant nettement les chiffres de 2021, il est à noter que cela demeure 40 % en dessous des niveaux enregistrés en 2019. Le tourisme ne constitue pas uniquement la principale source d'échanges entre les États insulaires et le golfe. Avec un nombre croissant de ressortissants du golfe, notamment des Émiratis, acquérant des maisons de vacances aux Seychelles et à Maurice, les entreprises du Conseil de coopération du golfe (CCG) ont étendu leurs investissements, non seulement dans le secteur hôtelier, mais également dans les domaines de la banque et de la construction. En particulier, l'île Maurice abrite une économie du savoir en plein essor, attirant l'attention de plusieurs petites, mais ambitieuses entreprises technologiques et de sociétés de conseil du CCG. Un exemple notable est Abler, une société mauricienne indépendante spécialisée dans le conseil en conformité, axée principalement sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme pour répondre aux défis réglementaires internationaux. Récemment, Abler a étendu ses opérations aux Émirats arabes unis. Parallèlement, l'Arabie saoudite manifeste un intérêt marqué pour le développement de son propre secteur touristique, embauchant des consultants mauriciens en voyages dont l'expertise est reconnue. Des initiatives de collaboration entre le Collège du tourisme d'Oman et l'Académie du tourisme des Seychelles sont également envisagées. Plus globalement, Oman, qui a établi des relations bilatérales avec les Seychelles en 1983, a exprimé un intérêt croissant ces dernières années pour les opportunités d'investissement aux Seychelles. De plus, Oman Air, la compagnie aérienne nationale d'Oman, a mis en place des vols directs entre Mascate et les Seychelles, renforçant ainsi les liens entre les deux nations.Enfin, la communauté musulmane de Maurice, qui représente la troisième religion après l'hindouisme et le christianisme, a développé des liens étroits avec ses frères du Conseil de coopération du golfe (CCG), en particulier avec l'Arabie saoudite. Le renouveau islamique a joué un rôle significatif dans la formation et l'expression de l'identité ethnique et religieuse, mettant en avant les activités d'opposition politique au sein de la minorité musulmane. En 2000, Riyad a financé la construction d'un centre culturel islamique à Port-Louis, qui est devenu le point central de la vie musulmane sur l'île. Le Royaume a également apporté un soutien aux pèlerins mauriciens pour le Hajj. L'engagement continu de l'Arabie saoudite sur le plan politique et commercial à l'égard de Maurice a été une aubaine pour ses coreligionnaires sur l'île.ConclusionLes relations entre Maurice, les Seychelles et les royaumes du golfe ont perduré depuis l'indépendance, marquées par l'absence de litiges et de controverses. Les États insulaires ont apporté un soutien politique aux royaumes arabes dans les organisations et les forums internationaux, tout en offrant des opportunités commerciales aux pays membres du Conseil de coopération du golfe (CCG). Ces deux petits États insulaires ont eu la chance de bénéficier de l'aide, des investissements et du patronage multiforme du golfe. Ces relations mutuellement avantageuses sont susceptibles de continuer à se développer et à prospérer dans un avenir prévisible. Les États du CCG, cherchant à diversifier leurs économies, ont besoin de partenaires stables et accueillants pour leurs investissements, et Maurice se distingue comme le meilleur État africain en termes de persistance de la démocratie et de facilité à faire des affaires[20]. Il semble que seules des calamités imprévisibles, telles que la récente pandémie, ou des crises politico-économiques tout aussi improbables dans l'une ou l'autre partie de l'équation, pourraient assombrir ces horizons prometteurs.

Défense et Sécurité
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Une situation incertaine

by Ebenezer Obadare

Depuis le début du mois d'octobre, l'attention des Nigérians a été captivée par des inondations d'une ampleur record, considérées comme les pires depuis une décennie selon les experts. Ces inondations ont entraîné le déplacement d'environ 1,3 million de personnes, causé la perte de plus de 600 vies et engendré la destruction de plus de 70 000 hectares de terres agricoles dans vingt-cinq des trente-six États du pays. Alors que certains commentateurs ont profité de cette situation pour souligner l'indifférence présumée des autorités, mettant en avant la décision du président Muhammadu Buhari de poursuivre sa visite d'État en Corée du Sud, d'autres ont saisi cette occasion pour rappeler aux autorités et au grand public la nécessité urgente de considérer sérieusement le changement climatique comme une menace imminente pour le bien-être du pays. Ces derniers jours, suite à une alerte terroriste émise par plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, une menace d'une autre nature a captivé l'attention du public nigérian. Bien que l'ambassade des États-Unis au Nigeria ait initialement mis en garde les citoyens américains résidant dans le pays contre un "risque élevé d'attaques terroristes au Nigeria, en particulier à Abuja," le territoire de la capitale fédérale (FCT), une notification similaire émise par le haut-commissariat britannique au Nigeria faisait état d'une "menace accrue d'attaque terroriste à Abuja". D'autres missions étrangères ont rapidement suivi, et l'ambassade d'Australie a explicitement déconseillé à ses ressortissants de se rendre au Nigeria. La nature non spécifiée de la menace n'a guère contribué à apaiser les nerfs d'une population déjà secouée par diverses formes d'insécurité, comprenant une insurrection islamiste qui perdure largement dans sa deuxième décennie, le banditisme dans le nord-ouest du pays, les enlèvements et d'autres formes de violence quotidienne. Demander aux gens d'éviter "les bâtiments gouvernementaux, les centres commerciaux, les hôtels, les bars, les grands rassemblements, les organisations internationales, les moyens de transport, les écoles, les marchés, les lieux de culte et les institutions chargées de l'application de la loi", comme le conseille l'avis danois à ses citoyens, revient pratiquement à les inciter à rester chez eux en permanence. La réaction des autorités nigérianes témoigne de leur frustration face à l'ambiguïté des avis. Alors qu'une déclaration officielle invitait les citoyens à rester calmes et à éviter la panique en précisant que les avis "ne signifient pas qu'une attaque sur Abuja est imminente", le ministre de l'information et de la culture, Lai Mohammed, a insisté, de manière peut être invraisemblable, sur le fait que le pays "est plus sûr qu'il ne l'a jamais été ces derniers temps" et a mis en garde contre la propagation de la désinformation "en tant qu'acte délibéré visant à répandre des mensonges avec des conséquences extrêmes pour la paix, la sécurité et la stabilité nationales". Les informations diffusées dans les médias selon lesquelles des agents de la Direction des services de l'État (DSS) ont mené une opération d'infiltration dans un quartier résidentiel d'Abuja et arrêté deux terroristes présumés n'ont fait qu'alimenter les soupçons selon lesquels même le gouvernement nigérian pourrait gérer l'information sur la situation réelle du pays de manière peu transparente. Entre-temps, alors que le malaise public s'accroît, une autre série de questions se pose quant aux raisons de l'apparente réticence des pays occidentaux à partager leurs renseignements avec leurs homologues nigérians. Une théorie suggère que les agences de sécurité occidentales ne font pas confiance aux services de sécurité nigérians en matière de renseignements, soupçonnant ces derniers d'être de mèche avec les terroristes. L'ancien chef d'état-major de l'armée, Theophilus Danjuma, a accusé l'armée nigériane d'être complice des terroristes. En 2018, Danjuma a déclaré que "nos forces armées ne sont pas neutres. Elles sont complices avec les bandits pour tuer des gens, tuer des Nigérians. Les forces armées guident leurs mouvements. Elles les couvrent." Bien que l'armée ait catégoriquement nié cette allégation, Danjuma persiste à affirmer que la meilleure manière de lutter contre le terrorisme dans le pays serait que les Nigérians ordinaires "trouvent un moyen de s'armer pour faire face aux terroristes". La méfiance généralisée envers les forces armées et l'attente prudente du public mettent inévitablement l'accent sur les élections générales prévues en février, qui revêtent une importance cruciale. De nombreuses inquiétudes persistent quant à la possibilité qu'une vague croissante de troubles civils puisse (a) contraindre le gouvernement à reporter les élections ; (b) entraver la tenue des élections dans certains États ; ou (c) fournir un prétexte à un coup d'État militaire. Chacune de ces éventualités est envisageable, mais avec des degrés de probabilité variables. Un report des élections est une possibilité réelle (le président Jonathan a reporté les élections de 2015 de six semaines pour des raisons de sécurité) ; cependant, un report indéfini semble peu probable et politiquement intenable. Il est plus probable que des violences ciblées perturbent le déroulement des élections dans certains États, même si cela ne devrait pas avoir d'impact significatif sur le résultat final. Bien que les récents avertissements terroristes aient ravivé la crainte d'un retour à un régime militaire, cette perspective est largement discréditée et la société civile se souvient encore de sa déliquescence morale. Bien que les préoccupations entourant les élections de février 2023 soient compréhensibles, elles paraissent être d'une importance marginale par rapport aux perspectives à long terme du Nigeria, en particulier du point de vue de la sécurité. Certains des éléments clés contribuant à l'instabilité politique chronique du Nigeria sont d'une nature telle qu'ils ne peuvent être entièrement résolus à court terme, et encore moins pendant le mandat d'une seule administration. Parmi la multitude de défis auxquels il faudra faire face, la restauration de la confiance du public dans l'État de droit demeure cruciale. L'effondrement de l'ordre public dans le pays découle de la perte de confiance dans l'État de droit et dans la sincérité des institutions étatiques et des forces de l'ordre à le faire respecter. Il est difficile d'imaginer une restauration totale de l'ordre tant que le citoyen moyen du Nigeria n'aura pas retrouvé la foi en l'idée que la loi s'applique à tous, indépendamment du statut social. D'un point de vue pragmatique, des efforts sérieux doivent être entrepris pour éliminer le grand nombre d'armes légères en possession d'acteurs privés. La prolifération des armes légères, le Nigeria abritant environ soixante-dix pour cent des quelque cinq cents millions d'armes légères et de petit calibre en Afrique de l'Ouest, reste un facteur persistant de la violence quotidienne dans le pays. De plus, les acteurs civils non étatiques sont souvent équipés d'armes conventionnelles plus avancées que celles détenues par les forces armées et la police. Le Nigeria entre dans une période cruciale où il aura besoin de tout le soutien possible, que ce soit de la part des alliés régionaux, des gouvernements occidentaux ou des organisations internationales.

Diplomatie
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Migration et Freins Occidentaux : L'Impact sur le Développement Africain

by Ebenezer Obadare

Depuis un certain temps, il est devenu une habitude de structurer le débat sur les migrations Nord-Sud en se concentrant principalement sur les bénéfices économiques pour les pays occidentaux de destination. Cette approche a engendré des questions telles que l'impact potentiel d'un afflux d'immigrants qualifiés de "peu qualifiés" sur le bien-être de leurs homologues dans les pays d'accueil. Malheureusement, dans ce cadre, les raisons profondes poussant les immigrants à fuir leur foyer, souvent dans des conditions périlleuses, sont reléguées au second plan. Cette tendance se répercute également dans les discussions concernant l'immigration hautement qualifiée, généralement perçue comme bénéfique tant pour les immigrants que pour les pays d'accueil. Cependant, elle néglige souvent de prendre en compte la situation dans les "pays d'origine" (une dénomination qui peut être contestée), privant ainsi les discussions d'une perspective équilibrée et globale sur les implications de l'immigration qualifiée. Il est essentiel de rééquilibrer le débat en tenant compte de toutes les dimensions, y compris les causes profondes et les réalités des pays d'origine, afin de promouvoir une compréhension plus complète de la dynamique migratoire Nord-Sud. La politique occidentale en matière d'immigration semble incarner une certaine incongruité. Sous la pression de divers groupes en faveur de l'immigration, de nombreux pays occidentaux ont adopté une approche politique visant à rendre l'immigration légale moins onéreuse et plus humaine. Parallèlement, la nécessité de recruter une main-d'œuvre hautement qualifiée pour combler les lacunes dans divers secteurs de l'économie occidentale, notamment la santé et l'éducation, a conduit à la mise en place de programmes et d'initiatives visant à attirer et à retenir des individus talentueux du monde entier. Certes, le bilan de ces initiatives reste mitigé, l'immigration demeurant une source constante de rancœur au sein des sociétés civiles occidentales. Néanmoins, la forteresse euro-américaine des dernières décennies du XXe siècle a laissé place à un régime d'immigration plus libéral. Cette évolution reflète le dilemme entre répondre aux besoins économiques et favoriser une approche plus inclusive, tout en témoignant des défis persistants liés à la perception et à l'intégration de l'immigration au sein des sociétés occidentales contemporaines. D'un point de vue occidental, l'Afrique a été significativement impactée par une dynamique où des professionnels hautement qualifiés cherchent de meilleures opportunités ailleurs. Malgré les défis persistants tels que la dégradation des infrastructures, la pauvreté et la corruption auxquels font face les États africains, de nombreux Africains qualifiés entreprennent une quête de renouveau dans différentes régions de l'hémisphère occidental. Les statistiques, bien que parfois difficiles à assimiler, témoignent de cette réalité. Selon l'Union africaine (UA), une moyenne de soixante-dix mille professionnels qualifiés quitte le continent africain chaque année. Au cours de la décennie 2008-2018, la proportion de médecins formés en Afrique travaillant dans les hôpitaux aux États-Unis a connu une augmentation notable de 27 %. Aux États-Unis, le secteur de la santé accueille 24 % des infirmières diplômées, 20 % des aides-soignantes, et 16 % des aides-soignants originaires d'Afrique. En 2018, plus de 5 250 médecins nigérians étaient employés par le National Health Service (NHS) britannique. Comparativement à la densité médicale en Afrique, qui compte environ 4,5 médecins pour 10 000 habitants, le Royaume-Uni et les États-Unis affichent respectivement des ratios de 2,9 et 2,6 médecins pour 1 000 habitants. Il est également notable qu'en 2015, 86 % des médecins africains travaillant aux États-Unis avaient été formés dans seulement quatre pays africains : l'Égypte, le Ghana, le Nigeria, et l'Afrique du Sud.  Selon l'Association médicale nigériane (NMA), "seuls quarante mille des plus de quatre-vingt mille médecins enregistrés auprès du Conseil médical et dentaire du Nigeria exercent dans le pays." En 2019, "cinq mille des trente mille pharmaciens enregistrés au Nigeria avaient émigré." La fuite de professionnels de la santé a un coût annuel estimé à environ 2 milliards de dollars pour la région africaine. Du point de vue africain, la situation dans le secteur de l'éducation est tout aussi préoccupante. En décembre 2020, le nombre d'universitaires originaires d'Afrique subsaharienne étudiant à l'étranger dépassait légèrement les quatre cent mille. Selon une enquête de Campus France, "approximativement 5 % des 8,1 millions d'étudiants de l'enseignement supérieur du continent ont franchi une frontière, tandis que la moyenne mondiale est de 2,4 %". Actuellement, plus de soixante-dix mille étudiants nigérians poursuivent leurs études à l'étranger. Aux États-Unis, la population d'étudiants nigérians en quête d'études supérieures a connu une augmentation de 93 % au cours de la dernière décennie. Des facteurs déclencheurs similaires semblent être présents de façon généralisée, s'étendant du Caire au Cap, et ne se limitant pas exclusivement aux problèmes du secteur éducatif. Selon l'enquête 2022 sur la jeunesse africaine, "les perturbations économiques, l'insécurité, la corruption, l'intolérance politique, le manque de fiabilité de l'internet et la médiocrité des systèmes éducatifs expliquent le désir de nombreux jeunes Africains de s'établir en Europe ou aux États-Unis". Bien que les chiffres indiquent que 52 % des 4 500 Africains âgés de 18 à 24 ans récemment interrogés par la British Broadcasting Corporation (BBC) "envisagent sérieusement d'émigrer au cours des prochaines années", ces statistiques seules ne parviennent pas à refléter pleinement le niveau de désespoir ressenti par de nombreux jeunes de la région face à leurs perspectives sombres, ni le sentiment impérieux de devoir partir pour espérer accomplir quelque chose de significatif dans leur vie. L'utilisation du terme argotique "Japa" (qui se traduit par "partir sans avoir l'intention de revenir") parmi les jeunes désenchantés du Nigeria est particulièrement révélatrice de cette réalité. Il est compréhensible que les groupes occidentaux favorables à l'immigration expriment de la compassion envers les immigrés africains, qui, il est important de rappeler, ne peuvent être tenus responsables de chercher à échapper à une situation difficile qu'ils n'ont pas contribué à créer. Toutefois, une véritable préoccupation va au-delà de la simple empathie et nécessite une attention soutenue envers les questions cruciales liées à la qualité de la gouvernance et à la responsabilité politique en Afrique. Le fait que ces questions ne soient pas suffisamment mises en avant constitue l'une des principales lacunes du discours occidental sur les migrations. Au-delà de l'accent mis sur le traitement approprié des immigrants et la sensibilisation aux violations des droits de l'homme dans les pays d'origine, comme ce fut récemment illustré par la réaction à l'accord d'asile entre le Royaume-Uni et le Rwanda, il semble y avoir peu de curiosité envers les déterminants politiques et économiques de longue date de l'émigration. Il est crucial que l'attention internationale se porte également sur ces aspects pour une compréhension plus approfondie et une approche plus holistique des enjeux liés aux migrations.  Si les groupes favorables à l'immigration sont réellement investis dans le développement de l'Afrique, ce qui est indéniablement le cas pour la majorité d'entre eux, ils doivent faire face à un paradoxe inconfortable. En effet, une défense inconditionnelle de la continuation de l'émigration en provenance d'Afrique, couplée à une opposition farouche au rapatriement, équivaut en réalité à un soutien tacite au maintien du sous-développement de la région. En effet, le statu quo représente davantage une fuite des talents africains vers l'Occident plutôt qu'une véritable contribution au progrès économique et social du continent. Pour être véritablement efficaces, les groupes occidentaux favorables à l'immigration doivent collaborer étroitement avec les organisations locales de la société civile en Afrique qui s'emploient à demander des comptes aux nombreux dirigeants corrompus du continent. La logique sous-jacente est simple : à mesure que les dirigeants africains sont tenus responsables, la société civile se renforce, incitant ainsi les jeunes à envisager de rester dans leur pays. Ce n'est pas tant un plaidoyer contre l'immigration, mais plutôt une reconnaissance évidente que la perte de jeunes talentueux et motivés appauvrit l'Afrique. En outre, cela ne fait que renforcer la frustration constamment exprimée par les groupes de la société civile à travers tout le continent. Pour clarifier, il ne s'agit pas de blâmer l'Occident pour les problèmes de l'Afrique, ni de plaider en faveur d'une intervention des pays occidentaux en tant que sauveurs tant attendus de la région. Si une responsabilité doit être attribuée, c'est bien aux dirigeants africains en raison de leur gestion scandaleuse des abondantes ressources du continent. Le Nigeria, et de plus en plus l'Afrique du Sud, illustrent cette culture du gaspillage et de la prédation politique. Au-delà des reproches, l'objectif est de mettre en évidence que l'immigration a des conséquences involontaires néfastes que les défenseurs de l'immigration ne peuvent plus se permettre d'ignorer. Soutenir les droits des immigrés et s'opposer à leur rapatriement est une démarche louable. L'objectif devrait être de collaborer avec les acteurs et les institutions basés en Afrique pour contribuer à la préservation du précieux capital humain du continent.