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Defense & Security

La Syrie, après avoir été sous le joug de la dictature Assad pendant 54 ans, se retrouve à la croisée des chemins. Afin d'éviter une nouvelle guerre, 4 priorités sont à respecter.

Damas, Syrie - mai 2023 : affiche avec le président syrien Bashar Al Assad sur la façade du bâtiment

Image Source : Shutterstock

by Mehmet Ozalp

First Published in: Dec.09,2024

Dec.16, 2024

Qui aurait pu prédire qu'après près de 14 années de guerre civile et cinq années sans trouver de solution, le régime de Bachar el-Assad en Syrie s'effondrerait en l'espace d'une semaine ? Avec le départ d'Assad, la question pressante qui se pose aujourd'hui est celle de l'avenir immédiat de la Syrie.

 

 

Fin novembre, lorsque les combattants de l'opposition menés par le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) se sont emparés d’Alep, une ville majeure du pays, en rencontrant peu de résistance, nombreux commentateurs ont pensé que cela marquait le début de la chute du régime Assad. Beaucoup s'attendaient à ce que la lutte soit jusqu’au bout une lutte acharnée.

 

 

Assad a été pris au dépourvu et ses forces n'étaient manifestement pas préparées. Il a retiré ses dernières troupes d'Alep afin de se regrouper et de gagner du temps pour que des renforts arrivent de Russie et d'Iran, en espérant que les combattants de l'opposition s'arrêteraient là.

 

 

Ce ne fut pas le cas. Enhardis par leur rapide succès à Alep, les combattants du HTS n'ont pas perdu de temps et ont pris la direction de Hama, dont ils se sont ensuite emparés sans difficulté. Ils ont directement enchaîné avec la prise de Homs, une autre ville de grande importance au sud.

 

 

La Russie a apporté un soutien aérien limité à Assad. Mais l'Iran, ayant épuisé ses forces dans la défense du Hezbollah contre Israël au Liban, n'a pas été en mesure d'offrir une assistance significative et a retiré le reste de son personnel de Syrie. Pendant ce temps, les appels frénétiques d'Assad pour obtenir le soutien de l'Irak n'ont abouti à rien.

 

 

Voyant ce qui se passait, le moral des forces et des dirigeants d'Assad s'est effondré. Craignant des représailles en cas d'effondrement du régime, les défections ont commencé en masse, accélérant encore la chute d'Assad.

 

 

Le dernier jour, Assad a fui le pays et son premier ministre a officiellement remis le pouvoir au HTS et à ses dirigeants. Cela a marqué la fin du règne de la famille Assad qui, pendant 54 ans, a été à la tête de la Syrie.

 

 

L'héritage des Assad

 

 

La majorité des Syriens se souviendront probablement de la famille Assad, notamment de Bachar el-Assad et de son père, Hafez el-Assad, comme des dictateurs brutaux.

 

 

L'État actuel de Syrie a été créé en 1920 à la suite de l'accord Sykes-Picot, au lendemain de la première guerre mondiale. La Syrie est devenue un mandat de la Société des Nations sous contrôle français et n'a obtenu son indépendance qu'en 1944. Après une période tumultueuse, notamment une unification ratée avec l'Égypte, le parti Baas a pris le contrôle du pays en 1963 grâce à un coup d'État auquel a participé Hafez al-Assad.

 

 

En 1966, Hafez al-Assad a mené un autre coup d'État avec d'autres officiers de la minorité alaouite. Ce coup d'État débouche alors sur un régime civil, dont Hafez al-Assad devient le président en 1970.

 

 

Hafez al-Assad s'est imposé comme un dictateur autoritaire, concentrant le pouvoir, l'armée et l'économie entre les mains de ses proches et de la communauté alaouite. Pendant ce temps, la majorité sunnite a été largement marginalisée et exclue des postes de pouvoir et d'influence.

 

 

Hafez al-Assad est surtout connu pour sa répression brutale de l'opposition en 1982. Le soulèvement, mené par le Front islamique, a vu l'opposition s'emparer de la ville de Hama. En réponse, l'armée syrienne a rasé la ville, faisant entre 10 000 et 40 000 morts ou disparus parmi les civils, et a écrasé la rébellion de manière décisive.

 

 

Hafez al-Assad est décédé en 2000 et son fils cadet, Bachar al-Assad, est devenu le candidat le moins probable à la présidence. Ayant fait des études de médecine en Occident, Bachar el-Assad projette une image modérée et moderne, suscitant l'espoir qu'il pourrait inaugurer une nouvelle ère de progrès et de démocratie en Syrie.

 

 

Cependant, Bashar al-Assad s'est rapidement retrouvé dans un contexte régional des plus turbulents suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 et à l'invasion américaine de l'Irak. En 2004, après que les États-Unis aient imposé des sanctions à la Syrie, M. Assad a cherché à resserrer ses liens avec la Turquie. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan et lui se sont liés d'amitié, supprimant l'obligation de visa entre leurs deux pays et envisageant de créer des zones économiques pour stimuler le commerce.

 

 

Erdoğan et Assad se sont ensuite brouillés lors d'une série d'événements en 2011, une année qui a marqué un tournant pour la Syrie. Les révoltes du printemps arabe ont déferlé sur le pays, plaçant Assad devant un choix crucial : poursuivre sur la voie de la démocratie ou écraser l'opposition comme l'avait fait son père en 1982.

 

 

Il a opté pour cette dernière solution, manquant ainsi une occasion historique de transformer la Syrie de façon pacifique.

 

 

Les conséquences ont été catastrophiques. Une guerre civile dévastatrice a éclaté, faisant plus de 300 000 morts (certaines estimations sont plus élevées), 5,4 millions de réfugiés et 6,9 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Tel sera l'héritage d'Assad.

 

 

Les défis immédiats de la Syrie

 

 

La Syrie compte désormais une nouvelle force au pouvoir : le HTS et ses dirigeants, avec à leur tête le chef militant Abu Mohammad al-Jolani. Ils devront faire face à des défis immédiats et à quatre priorités essentielles :

 

 

1) Consolider le pouvoir. Les nouveaux dirigeants vont maintenant essayer de s'assurer qu'il n'y a pas de groupes armés capables de contester leur pouvoir, en particulier les vestiges de l'ancien régime Assad et les factions plus petites qui ne faisaient pas partie des forces d'opposition.

 

 

Ils devront également discuter de la manière dont le pouvoir sera partagé au sein de la coalition des groupes d'opposition. Al-Jolani deviendra probablement le président fondateur de la nouvelle Syrie, mais la manière dont le reste du pouvoir sera réparti reste incertaine.

 

 

Il semble que l'opposition n'était pas prête à prendre le contrôle du pays aussi rapidement, et il est possible qu'elle n'ait pas conclu d'accord de partage du pouvoir. Celui-ci devra être négocié et mis au point rapidement.

 

 

Le nouveau gouvernement reconnaîtra probablement les Unités de protection du peuple kurde syrien (YPG) et les territoires qu'elles contrôlent comme une région autonome au sein de la Syrie. Un État kurde indépendant sera toutefois fortement contesté par la Turquie, principal soutien extérieur de l'opposition.

 

 

Pourtant, l'histoire semble évoluer en faveur des Kurdes. La possibilité d'un État kurde indépendant, combinant potentiellement le nord de l'Irak et le nord-est de la Syrie en une seule entité, est désormais envisageable.

 

 

2) Reconnaissance internationale. La Syrie est un pays très complexe et diversifié. En tant que tel, le nouveau gouvernement ne peut être soutenu que s'il est reconnu par la communauté internationale.

 

 

Les principaux acteurs de ce processus sont la Turquie, l'Union européenne, les États-Unis et Israël (par l'intermédiaire des États-Unis). Il est probable que toutes ces entités reconnaîtront le nouveau gouvernement à condition qu'il forme une administration tempérée, qu'il s'abstienne de combattre les YPG kurdes et qu'il ne soutienne pas le Hezbollah ou le Hamas.

 

 

Compte tenu du succès inattendu qu'elle a remporté en renversant Assad aussi rapidement, l'opposition est susceptible d'accepter ces conditions pour recevoir en échange de l’aide et être reconnue officiellement.

 

 

3) La formation d'un nouveau gouvernement. La question que tout le monde se pose est de savoir quel type de régime politique les forces d'opposition vont maintenant mettre en place. Le HTS et de nombreux groupes de sa coalition sont des musulmans sunnites, le HTS ayant des origines liées à Al-Qaïda. Cependant, HTS s'est détaché de l'organisation terroriste en 2016 et s'est concentré exclusivement sur la Syrie en tant que mouvement d'opposition.

 

 

Néanmoins, il ne faut pas s'attendre à un régime démocratique et laïc. Il est également peu probable que le nouveau gouvernement ressemble au régime théocratique ultraconservateur des talibans.

 

 

Dans sa récente interview avec CNN, al-Jolani a soulevé deux points essentiels. Il a indiqué que lui-même et d'autres dirigeants du groupe avaient, avec l'âge, évolué quant à leur perception et compréhension de l'islam, lqissqnt entendre que les opinions extrêmes qu’ils qvqient alors qu’ils etaient jeunes s'étaient modérées avec le temps. Il a également souligné que l'opposition serait tolérante à l'égard des libertés et des droits des minorités religieuses et ethniques.

 

 

La façon dont cela se manifestera n'est pas encore claire. On s'attend à ce que le HTS forme un gouvernement conservateur dans lequel l'islam joue un rôle dominant dans l'élaboration des politiques sociales et des lois.

 

 

Sur le plan économique et de la politique étrangère, les nouveaux dirigeants du pays seront probablement pragmatiques et ouverts aux alliances avec les puissances régionales et mondiales qui les ont soutenus.

 


4) Reconstruire le pays et maintenir l'unité. Cela est nécessaire pour éviter qu'une nouvelle guerre civile n'éclate - cette fois-ci entre les vainqueurs.

 

 

Selon une déclaration récente du département des affaires politiques du HTS, la nouvelle Syrie se concentrera sur la construction, le progrès et la réconciliation. Le nouveau gouvernement vise à créer des conditions favorables au retour des Syriens déplacés dans leur pays, à établir des relations constructives avec les pays voisins et à donner la priorité à la reconstruction économique du pays.

 

 

La Syrie et le Moyen-Orient dans son ensemble sont entrés dans une nouvelle phase de leur histoire moderne. L'avenir nous dira comment les choses se dérouleront, mais une chose est sûre : elles ne seront plus jamais les mêmes.


First published in :

The Conversation

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Mehmet Ozalp

Mehmet Ozalp est un théologien islamique et un intellectuel public. Il a créé le Centre d'études et de civilisation islamiques à l'Université Charles Sturt en 2011. Il est le directeur fondateur de l'Académie des sciences et de la recherche islamiques d'Australie en 2009. Il a obtenu un doctorat de l'Université de Sydney. Il est l'auteur de trois livres.

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