Diplomacy
Les Géorgiens protestent contre le retrait de leur gouvernement pro-russe des négociations d'adhésion à l'UE, mais Bruxelles est également en cause.
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First Published in: Dec.04,2024
Dec.20, 2024
Des manifestations de masse ont eu lieu dans la capitale géorgienne, Tbilissi. Plus de 100 000 Géorgiens, qui souhaitent l'adhésion de leur pays à l'Union européenne, manifestent depuis le 28 novembre, en réaction à la récente annonce du gouvernement de suspendre les négociations d'adhésion à l'UE et de repousser les financements européens jusqu'en 2028 au moins.
Le parti au pouvoir, nommé « le Rêve géorgien », accuse l'UE d'être responsable de l'échec des négociations d'adhésion. En annonçant cette décision, le premier ministre, Irakli Kobakhidze, a déclaré que Bruxelles tentait de « faire chanter » la Géorgie et « d'organiser une révolution dans le pays ».
L'annonce de M. Kobakhidze est tombée seulement un mois après que le parti « le Rêve géorgien » ait revendiqué un mandat ayant été élu pour la troisième fois lors des élections législatives de fin octobre - élections qui selon certaines informations seraient des plus irrégulières.
Le parti « le Rêve géorgien » a affirmé que sa victoire reflétait la volonté du peuple. Mais les missions d'observation, tant internationales que nationales, ont déclaré que les élections n'étaient ni libres ni équitables.
L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, qui supervisait la campagne électorale, a noté des déséquilibres dans les ressources financières entre les partis en lice, une rhétorique extrême et clivante et des rapports généralisés d'intimidation et de corruption.
Le parti « le Rêve géorgien », fondé et dirigé par l'oligarque pro-russe Bidzina Ivanichvili, a passé des années à tenter de briser les relations du pays avec l'UE. Pourtant, l'intégration dans l'UE est inscrite dans la constitution géorgienne et le soutien de l'opinion publique à l'adhésion se maintient à environ 85 %. L'UE a accordé à la Géorgie le statut de candidat en 2023.
Le « Rêve géorgien » n'a tenu aucune des promesses électorales qu'il avait faites en 2012. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, il avait promis d'améliorer la démocratie et l'État de droit. Mais en réalité, en coulisses, le parti d'Ivanichvili a lentement pris le contrôle de ce qui devrait être des institutions démocratiques indépendantes, telles que le système judiciaire et les forces de sécurité.
Les critiques affirment qu'il a créé tout un réseau clandestin qui s'appuie sur la corruption pour influencer les processus politiques, sapant ainsi les efforts visant à améliorer la qualité de la démocratie et de l'État de droit en Géorgie, qui sont nécessaires à l'intégration dans l'Union européenne.
Par ailleurs, M. Ivanishvili et son parti ont également entretenu des relations étroites avec la Russie. Le pays a refusé d'adopter des sanctions après l'invasion de la Russie en Ukraine et aurait détenu des ressortissants russes tentant de fuir la conscription.
Un peu plus tôt cette année, le gouvernement a adopté des lois qui défient ouvertement les principes de l'UE. En effet, au mois de mai, la Géorgie a adopté ce que l'on appelle la loi sur les « agents étrangers ». S'inspirant d'une loi similaire adoptée en Russie en 2022, cette loi oblige les ONG recevant plus de 20 % de leur financement de l'étranger à s'enregistrer.
Le secteur de la société civile géorgienne étant financé à 90 % par l'étranger, cette loi place pratiquement toutes les ONG travaillant sur des questions liées à la démocratie et à l'État de droit dans une position vulnérable. Les critiques pensent que le gouvernement utilisera cette loi pour éliminer les voix dissidentes.
En juillet, le gouvernement a également adopté une législation anti-LGBTQ+ de nature radicale, affirmant qu'elle était conforme aux valeurs chrétiennes et européennes. Or, ces lois vont totalement à l'encontre des lignes directrices de l'UE en matière de discrimination.
Avant l'introduction de ces lois, Josep Borrell, alors responsable des affaires étrangères de l'UE, avait prévenu qu'elles feraient échouer l'adhésion de la Géorgie à l'UE. Après l'adoption de la loi sur les agents étrangers en juillet dernier, l'UE a effectivement interrompu les négociations d'adhésion, mais a continué à fournir des fonds destinés à soutenir la Géorgie sur la voie de l'adhésion. Aujourd'hui, M. Kobakhidze affirme que la Géorgie n'acceptera aucun financement de l'UE avant 2028.
L'UE joue-t-elle les difficiles ?
L'UE a publié une déclaration condamnant le recours à la force pour disperser les manifestations, regrettant la suspension des pourparlers et réitérant ses inquiétudes quant au recul de la démocratie en Géorgie. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que « la porte de l'UE reste ouverte » à la Géorgie tant que celle-ci se conforme aux exigences de l'UE en matière de réformes économiques et politiques.
Mais, par le passé comme aujourd'hui, l'UE n'a pas fait preuve de cohérence en ce qui concerne ses exigences. Lorsque la Géorgie a posé sa candidature pour la première fois en mars 2022, l'UE a répondu par une liste de « 12 priorités » à respecter avant que le pays ne puisse progresser dans sa candidature.
Ces priorités comprenaient la lutte contre la polarisation politique, la garantie de l'indépendance des institutions démocratiques et ce qu'elle a appelé la « désoligarchisation », c'est-à-dire la réduction de l'influence des intérêts personnels des politiciens dans la vie économique, politique et publique.
Le statut de candidat a été accordé en décembre 2023, bien que la Géorgie n'ait pas respecté un certain nombre de ces recommandations. Alors, la Commission a dressé une liste de neuf mesures que le pays devait prendre avant de pouvoir adhérer à l'UE.
Ce manque de cohérence peut s'expliquer en partie par le fait que ces processus constituent un terrain inconnu pour l'UE. Mais il est également presque certain que Bruxelles a réagi à des tendances politiques et géopolitiques plus larges. Jusqu'à ce que la guerre en Ukraine ne commence, l'UE n'envisageait pas d'ajouter de nouveaux pays à la liste des candidats à l'adhésion.
Elle était déjà aux prises avec la montée du populisme, du nationalisme et des problèmes liés à l'État de droit dans certains de ses États membres, dont la Hongrie et la Pologne. Cependant, avec la montée des tensions géopolitiques, l'UE a également essayé de garder un pied dans le Caucase du Sud, ce qui lui donne des raisons supplémentaires de garder la Géorgie près d'elle.
En parallèle, l'adhésion à l'Ouest n'est plus la seule option viable pour la Géorgie. La Russie et la Chine font également pression sur le gouvernement géorgien pour qu'il resserre ses liens avec d'autres sources de soutien.
Et cela ne s'applique pas seulement à la Géorgie. La liste des pays des Balkans occidentaux et de l'Europe de l'Est qui peinent à progresser dans le processus d'adhésion s'allonge, notamment la Serbie, la Bosnie et la Turquie.
Ce n'est évidemment pas entièrement la faute de Bruxelles. Nombre de ces pays ont des progrès à faire en ce qui concerne la qualité de leur démocratie. Mais, au vue de l'évolution de la situation géopolitique, l'UE pourrait être amenée à revoir son approche des processus d'adhésion. Elle devra faire plus pour accueillir un nouveau membre dans l'UE que de simplement dire que la porte est ouverte.
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Amy Eaglestone est politologue et praticienne de la démocratie. Elle termine actuellement son doctorat à l’Université de Birmingham et est chargée de cours invitée à l’Université de Leiden. Elle est rédactrice adjointe à la Review of Democracy. Avant de se lancer dans son parcours universitaire, Amy a occupé des postes de plus en plus responsables dans le domaine du développement de la démocratie, travaillant pour des organisations de développement international et les Nations Unies.
Ses intérêts de recherche portent sur la politique comparée, la (dé)démocratisation et les partis politiques, et incluent, sans s'y limiter, la polarisation politique, la participation citoyenne et la promotion de la démocratie. Son champ d'action régional est l'Europe de l'Est et l'ex-Union soviétique, la Moldavie et la Géorgie en particulier.
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