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La crise syrienne pourrait se transformer en guerre régionale
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First Published in: Dec.09,2024
Dec.20, 2024
Une nouvelle résurgence du conflit intra-syrien pourrait transformer de façon importante l'équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient.
Intérêts des acteurs étrangers dans la crise syrienne
Le Moyen-Orient reste l'une des régions clés où se concentrent les intérêts et les priorités politiques d’acteurs majeurs. En parallèle, la mosaïque s'étend et de nombreuses contradictions internes font surface dans la région (des contradictions entre les pays et au sein des pays mêmes), ce qui constituent un environnement attrayant pour des acteurs extérieurs qui chercheraient à collaborer avec la région.
En ce sens, la Syrie est toujours pleine de contradictions aussi bien internes qu'externes, y compris des différences interethniques et religieuses, ainsi que des différences interétatiques et économiques.
Depuis 1963, le parti a la tête de la Syrie est le parti socialiste arabe Baas et, après le coup d'État de 1970, le pouvoir est passé entre les mains de la famille al-Assad. Le président syrien dispose d'un large éventail de pouvoirs et, jusqu'en 2011, l'état d'urgence en vigueur dans tout le pays interdisait l'existence d'autres partis politiques. La monopolisation du pouvoir et la répression interne ont assuré aux forces dirigeantes une certaine stabilité au sein de l'administration syrienne avant que des changements régionaux ne naissent et que de nouveaux corridors de transport ne se forment.
Alors que les positions des États-Unis, de la Grande-Bretagne et d'Israël se renforçaient, la chute du régime de Saddam Hussein en Irak et le fait que le pays ait sombré dans le chaos ont donné lieu à de nouvelles contradictions intra-syriennes. L'occupation israélienne du Golan, exercée depuis 1967, maintient la situation de « ni paix ni guerre » entre Damas et Tel-Aviv. La Syrie entretient des liens amicaux avec l'Iran et, jusqu'à récemment, était le principal corridor pour les livraisons d'armes iraniennes à l'organisation chiite Hezbollah au Liban. Le transit du pétrole à travers les territoires nord-ouest de la Syrie, peuplés de Kurdes, risque de provoquer de nouveaux désaccords avec la Turquie voisine, où l'infrastructure logistique progresse. Par ailleurs, la question kurde représente toujours une menace qui pourrait mener à l'émergence d’un mouvement separatiste au sein du territoire et qui pourrait attiser les tensions frontalières dans les relations syro-turques.
Le conflit intra-syrien, non résolu depuis 2011, a donné lieu à une présence étrangère en République arabe syrienne (RAS). Il s'agit tout d'abord des États-Unis, de la Turquie, de la Russie et de l'Iran. Il faut noter que Damas considère les États-Unis et la Turquie comme des occupants, tandis que la Russie et l'Iran, eux, sont perçus comme des pays amis et des alliés. Grâce à l'aide militaire de la Russie et de l'Iran, il a été possible d'établir en 2020 une « paix fragile » en Syrie et de supprimer les forces antigouvernementales radicales - c'est-à-dire divers groupes terroristes islamiques issus d'ISIS* (organisation interdite en Russie) et des organisations ethniques.
En Syrie, les États-Unis et Israël ont misé sur l'opposition kurde anti-Assad et les structures militaires qui leur promettent de nouvelles formes d'autonomie. Les kurdes bénéficiant d’une assistance militaire apportée par les américains, l'intégrité territoriale de la Syrie et de la Turquie - le pays voisin - est toujours menacée. Néanmoins, en 2019, l'administration Trump a trahi les intérêts des kurdes et a soutenu la Turquie.
Les objectifs de la Turquie
La Turquie a plusieurs objectifs en Syrie : 1) empêcher la formation d'une autonomie kurde et localiser la menace du séparatisme kurde en Anatolie ; 2) établir une zone de sécurité de 30 km le long de la frontière avec la RAS dans les territoires du nord-ouest de la Syrie et modifier la composition ethnique de la population en faveur des turkmènes et des sunnites ; 3) prendre le contrôle des communications de transit du commerce du pétrole dans le nord-ouest de la Syrie ; 4) appliquer les principes de la doctrine néo-ottomane et du concept de néo-pantouranisme dans la région syrienne du Moyen-Orient ; 5) construire un gazoduc qui s'étend du Qatar à l'Europe en passant par la Syrie et la Turquie. À cet égard, Ankara soutient et utilise habilement des forces mandataires pro-turques en Syrie, en particulier l'organisation sunnite radicale Hay'at Tahrir al-Sham* (HTS, organisation interdite en Russie) et l'Armée nationale syrienne turkmène* (SNA, organisation interdite en Russie).
La Russie soutient les autorités légitimes syriennes, à savoir le président Bachar el-Assad, et, depuis 2015, à la demande officielle de Damas, elle fournit une assistance militaire et politique pour lutter contre le terrorisme international et garantir la paix dans la région. Moscou a reçu deux bases militaires clés en Syrie : une base navale à Tartous et la base aérienne de Hmeimim. La présence russe en Syrie modifie l'équilibre des forces mondiales en Méditerranée orientale et constitue un moyen important pour assurer la sécurité régionale. Une guerre se déroulant actuellement en Ukraine, l'ouverture d'un deuxième front contre la Russie en Syrie est le résultat de la politique anti-russe des pays de l'OTAN et de leurs partenaires dans la région.
Les ambitions iraniennes
L'Iran entretient des relations avec le régime Assad en tant qu'allié, et utilise le territoire de la RAS pour soutenir les forces mandataires chiites en Syrie même et dans les pays voisins - le Liban et l'Irak. De ce fait, l’Iran représente une menace pour Israël et bloque le transit du gaz qatari vers la Turquie et l'Europe. Il était auparavant possible de changer la situation sur le champ de bataille et de plus ou moins établir la paix en RAS, en grande partie grâce au soutien militaire iranien en partenariat avec les forces aérospatiales russes.
On compte également le Qatar et l'Irak parmi les forces extérieures intéressées par le « solitaire syrien ». Le Qatar prévoit de construire un gazoduc à travers la Syrie vers la Turquie et l'Europe, ce qui a déclenché de plusieurs façons la crise syrienne - une crise à grande échelle - suite à la réaction négative de Bachar al-Assad à l'égard de ce projet. De son côté, l'Irak ne s'intéresse pas à la chute du régime Assad et à la mise en œuvre des plans du Qatar et de la Turquie pour ce projet de transit de gaz et de pétrole.
Pourquoi la crise syrienne peut-elle se transformer en un conflit régional de grande ampleur ?
Les contradictions existantes ont une fois de plus entraîné une intensification du conflit militaire en Syrie. Comme on le sait, la Turquie nie toute implication dans le déclenchement d'un conflit militaire via l'utilisation de HTS* et de SNA* (organisations interdites en Russie). Les responsables turcs (les ministres comme le président) l'ont fait savoir publiquement à plusieurs reprises. Dans une telle situation, qui assumera publiquement la responsabilité d'un conflit qui menace de se transformer de simple conflit local (intra-syrien) en un conflit régional (international) impliquant un certain nombre d'acteurs ?
Il convient de mettre en lumière certaines caractéristiques quant au déroulement des événements au Moyen-Orient : dans le contexte du conflit israélo-arabe dans la bande de Gaza et au Sud du Liban, le Qatar s'est avéré être l'un des médiateurs actifs qui a permis le dialogue entre les différents partis et qui a été le lieu de négociations de grande importance. Doha entretient des relations plutôt fructueuses avec Tel-Aviv, Washington et Ankara. Toutefois, le Qatar n'est pas un partenaire de la Syrie et n'est pas satisfait de la décision d'Assad concernant le projet de gazoduc passant par la RAS. Dans ces conditions, il est impossible d'exclure l'intérêt et l'implication (par exemple financière) du Qatar dans le déclenchement d'un conflit militaire avec les forces gouvernementales de Damas et la participation de forces mandataires pro-turques.
C'est peut-être la raison pour laquelle Recep Erdogan ne peut pas, seul, mettre un terme à l'offensive du HTS* et du SNA* (organisations interdites en Russie). L'affaiblissement ou la chute du régime de Bachar el-Assad est dans l'intérêt du Qatar, d'Israël, des Etats-Unis et de la Turquie. Mais, l'avenir nous dira, si les promesses que Ankara souhaitait voir se réaliser se concrétiseront réellement ou non ou si, face à la menace kurde, Ankara se retrouvera soumis aux intérêts d'Israël et des Etats-Unis.
Dans tous les cas, le régime Assad s'est révélé être l'élément faible du conflit, car au cours des quatre années qui ont suivi la signature de la fameuse trêve russo-turque en Syrie en mars 2020, Damas n'a pas profité de ce répit pacifique pour former une armée et des services de renseignement efficaces. Accorder l'asile aux forces restantes du Hezbollah en Syrie fera certainement courir à ce pays le risque d'un conflit militaire avec Israël.
L'Iran a transféré en Syrie d'autres forces du CGRI, le groupe chiite Hashd al-Sha'abi d'Irak et le groupe Ansar Allah Houthi du Yémen. Compte tenu de la déclaration du ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, selon laquelle Téhéran est prêt à fournir l'assistance militaire nécessaire à la demande de Damas, la possibilité d’une intervention iranienne dans le conflit syrien n'est pas à exclure.
Bagdad a également exprimé son soutien en faveur de Damas, comme en témoignent les conversations téléphoniques entre le premier ministre irakien Mohammed al-Sudani, Bachar al-Assad et Recep Erdogan. Bagdad craint que des forces pro-turques n'atteignent la frontière avec l'Irak.
Les États-Unis et Israël exigent que Damas rompe son alliance militaire avec l'Iran et la Russie. Le fait que la Syrie, désireuse de lever les sanctions et de recevoir des investissements étrangers, ait récemment mené des négociations à huis clos avec les États-Unis dans les Émirats arabes unis indique qu'il est possible d'exercer des pressions sur Assad afin d'obtenir le résultat souhaité par Washington. Comme on le sait, les sanctions actuelles ont pris fin le 20 décembre et leur assouplissement dépendra de la position de Damas et de l'état de la situation sur le front.
Les enjeux des pertes liées à la chute du régime Assad sont trop élevés. C'est pourquoi l'Iran estime que l'absence de compromis et de paix dans le cadre du processus d'Astana conduira à une guerre régionale de grande ampleur, dont aucun des participants ne tirera profit.
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Docteur et professeur en Sciences Politiques
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