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Energy & Economics

Les russes sur le quivive

Avec le président par intérim du Burkina Faso, Ibrahim Traoré. Photo : Alexandre Ryumine, TASS

Image Source : kremlin.ru

by William Decourt , Spenser Warren

First Published in: Nov.26,2024

Jan.13, 2025

Les faux pas commis par les occidentaux en Afrique ouvrent la voie à la Russie dont l’objectif est d’accroître son influence sur le continent.

 

 

Les récentes manifestations contre les mesures d’austérité imposées - des hausses d’impôts prévues dans un projet de loi de finances controversé - par le Fonds monétaire international (FMI) ont secoué plusieurs États africains. Le Kenya, partenaire de longue date des États-Unis et contributeur essentiel aux opérations de maintien de la paix de l’ONU à Haïti, a été le théâtre de violents affrontements entre les forces de sécurité gouvernementales et les manifestants. En parallèle, de nombreux manifestants ont considéré l’engagement du Kenya à Haïti comme une façon de payer la facture des intérêts sécuritaires américains, tandis que les kenyans ordinaires peinent, eux, à joindre les deux bouts. Peu après, des manifestations similaires contre les mesures du FMI se sont également propagées au Nigéria. Les analystes et les habitants locaux craignent que la propagation des manifestations ne menace la stabilité à travers toute l’Afrique. Les citoyens d’autres pays continuent d’exprimer leur mécontentement face au statu quo politique et économique par le biais de manifestations (au Mozambique) et dans les urnes (au Botswana).

 

 

Les prêts du FMI sont assortis d’importantes clauses, y compris des réformes des systèmes financiers et de la gouvernance. Ceux qui critiquent ces clauses accusent souvent le FMI de porter atteinte à la souveraineté. Les changements apportés aux modèles économiques et de gouvernance, combinés à un endettement élevé et à des tensions économiques, augmentent le coût des produits de première nécessité et diminuent le pouvoir d’achat sur le continent. Pour de nombreux citoyens ordinaires, l’Occident profite des fruits des ressources africaines tout en entravant l’accès des Africains à l’économie mondiale. Les populations de ces pays réclament des alternatives au financement du FMI, protestant contre les gouvernements afin de s’opposer à l’austérité imposée par le FMI. Les jeunes, un groupe démographique de plus en plus important, sont particulièrement actifs. Beaucoup d’entre eux ont fait des études supérieures mais ne parviennent pas à obtenir un emploi correctement rémunéré dans des secteurs spécialisés. L’économie informelle se développe mais se sépare de plus en plus des économies formelles et internationales.

 

 

Les mesures d’austérité du FMI conduisent le continent vers une crise économique et des manifestations qui pourraient avoir des effets durables, ce que la politique étrangère américaine et l’ordre international libéral ont tout particulièrement en horreur. Certains voient déjà la Chine comme une alternative viable, même si l’opinion publique sur l’influence chinoise est mitigée. Ailleurs, les souvenirs de la guerre froide font de la Russie une alternative économique et politique relativement méconnue. Ainsi, alors que les récents agissements des occidentaux en Afrique mettent en péril leurs relations à long terme avec le continent, la Russie accroît lentement son influence sur le continent.

 

 

En fait, le Kremlin a déjà pris des mesures et s’est engagé dans la politique entourant les différentes crises de la dette des pays africains. Les pays africains ont des dettes envers de nombreux acteurs internationaux, dont la Russie. Cependant, Moscou a annulé les dettes de bon nombre de ces pays, associant cet allègement de la dette à des avantages économiques supplémentaires, notamment un afflux de céréales et de ressources énergétiques. Il a également renforcé la coopération en matière de défense avec plusieurs pays africains. Cette coopération comprend souvent des contrats de vente d’armes et le déploiement d’unités militaires irrégulières, notamment le groupe Wagner.

 

 

Des actions diplomatiques comme celles décrites ci-dessus ont conduit certains manifestants à considérer la Russie comme une alternative viable au financement du FMI et aux partenariats avec les États-Unis et l’Europe. Pour illustrer ce phénomène, des manifestants ont été vus agitant des drapeaux russes lors de rassemblements de masse à travers l’Afrique. La Russie semble recevoir le plus grand soutien au Sahel, où les gouvernements n’ont pas réussi à enrayer l’instabilité politique et à tenir leurs promesses de développement économique. Les populations de la région étaient déjà en colère face à la présence militaire postcoloniale maintenue de la France, et la Russie en a profité.

 

 

Les citoyens ne sont pas les seuls à chercher des alternatives. Les élites dirigeantes voient également la Russie comme un partenaire attractif. La coopération russe en matière de défense et la présence de forces irrégulières renforcent ces régimes face à la multiplication des protestations civiles contre la mauvaise gouvernance ou les droits de l’homme. Pourtant, la Russie n’a pas encore réalisé les gains qu’elle pourrait obtenir. La guerre en Ukraine nuit aux Africains et contribue au stress économique alors que les prix mondiaux des céréales ont grimpé en flèche. Certains estiment que la Russie aggrave les problèmes de gouvernance défaillante en utilisant les formations du groupe Wagner pour soutenir des fonctionnaires corrompus, protéger les intérêts des entreprises et soutenir des gouvernements impopulaires. L’intérêt russe pour la région est également moins important que pour le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est ou l’Arctique, où la Russie a des objectifs stratégiques, économiques et politiques plus proches.

 

 

Au lieu de se précipiter, la présence économique de la Russie en Afrique fait lentement avancer les objectifs de Moscou sur la scène internationale. Lorsque la Russie a cherché à contourner les sanctions financières, technologiques et énergétiques imposées par l’Occident à la suite de son invasion de l’Ukraine, elle s’est tournée vers l’Afrique pour trouver de nouveaux consommateurs de produits alimentaires, d’énergie et d’armes. Déjà, au lendemain de l’invasion, seule la moitié du continent a voté pour condamner la Russie. De tels schémas de vote à l’ONU indiquent un soutien plus important à la Russie en Afrique que dans d’autres régions du monde, même si la méfiance à l’égard de la Russie reste élevée dans certaines parties du continent.

 

 

Les crises annoncées pourraient également accroître l’influence russe sur le continent. Les chocs générés par la crise de la dette africaine pourraient devenir une cause immédiate de changements géopolitiques et géoéconomiques. Les changements démographiques rapides et les événements climatiques désastreux (par exemple, les sécheresses et les inondations) exacerbent les défis économiques et migratoires existants. Étant donné que les tentacules de l’influence économique et sécuritaire russe, ainsi que la désinformation, sont déjà présents en Afrique, de telles crises futures pourraient entraîner de nombreux États africains plus loin dans l’orbite russe et loin des pays et institutions occidentaux.

 

 

Un rapprochement plus étroit des États africains avec la Russie aurait plusieurs inconvénients. La Russie découragerait la démocratisation et utiliserait l’aide à la sécurité pour soutenir les dictateurs sur tout le continent. Le développement durable sur le plan environnemental risque également d’être entravé. La Russie pourrait accroître l’extraction de ressources naturelles de manière néfaste pour l’environnement. En outre, les exportations énergétiques russes seront constituées de pétrole et de gaz, ce qui réduira à néant les investissements et les progrès déjà significatifs réalisés en termes de développement des énergies vertes par de nombreuses économies politiques africaines.

 

 

Les faux pas commis par les occidentaux créent des opportunités pour la Russie de s’implanter en Afrique, mais ils ouvrent aussi la voie à d’autres puissances mondiales pour capitaliser sur ce vide. Les infrastructures construites par la Chine en Afrique ont également alourdi le fardeau de la dette, mais contrairement aux approches occidentales en lien avec les mesures d’austérité du FMI, la Chine réajuste sa stratégie. En se tournant vers des projets de plus petite taille, moins exposés à la dette, et en promouvant le développement des énergies vertes à l’étranger, la Chine se positionne comme un partenaire plus attrayant. Cette stratégie renforce non seulement les industries nationales de l’énergie solaire et des véhicules électriques de la Chine, mais renforce également son soft power en répondant aux besoins économiques locaux. De plus, alors que les erreurs de politique occidentale aliènent les opinions publiques et les gouvernements africains, l’influence de la Russie et de la Chine pourrait s’accroître. Les gains de la Russie dans la région pourraient indirectement renforcer la position de la Chine en favorisant un scepticisme plus large à l’égard des systèmes dirigés par l’Occident, faisant s'aligner plus étroitement les projets des dirigeants africains sur les objectifs géopolitiques de Pékin, y compris sa position vis-à-vis de Taiwan.

 

 

L’Afrique est un continent en plein essor. D’ici 2050, un homme sur quatre sera africain. Si les États-Unis et l’Europe laissent passer l’occasion de nouer des relations avec un continent de puissances émergentes en matière de développement vert et d’une population de plus en plus instruite, les politiques occidentales porteront atteinte à leur propre pouvoir et à leur influence dans l’ordre international. L’aide discrète et croissante des russes en ce qui concerne le commerce et la sécurité offre une alternative établie. En fin de compte, la Russie et la Chine pourraient toutes deux miser sur le long terme, en gagnant progressivement le soutien d’une région comptant un milliard de personnes à la fois.

First published in :

Africa is a Country

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William Decourt

William Decourt est doctorant à l'Université d'Indiana et étudie la politique africaine, la gouvernance et l'influence internationale des puissances autoritaires sur le continent.

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Spenser Warren

Spenser Warren est chercheur postdoctoral en technologie et sécurité internationale à l'Institut sur les conflits mondiaux et la coopération de l'Université de Californie à Washington, DC, où ses recherches actuelles portent sur la politique de sécurité russe et sa concurrence mondiale avec les États-Unis.

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