Diplomacy
Trudeau K.O : Comment les railleries et les menaces tarifaires de Trump se sont ajoutées aux problèmes internes auxquels le Premier ministre canadien était confronté.
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First Published in: Dec.31,2024
Jan.20, 2025
Après des semaines de spéculations sur son avenir, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a finalement annoncé son intention de démissionner le 6 janvier 2025.
Son départ mettra un terme à une décennie de pouvoir pour cet homme politique progressiste, autrefois chouchou de la gauche libérale. Cela fait suite à des conflits internes au sein du propre parti politique de Trudeau et à sa perte de popularité - un retard de plus de 20 points de pourcentage par rapport au principal candidat de l'opposition. Mais il n'échappe à personne que cette démission a lieu seulement quelques semaines avant la prise de fonction de Trump - et après l’avalanche d'insultes personnelles et de menaces de tarifs douaniers punitifs contre le Canada proférés par le futur président républicain.
Le journal, The Conversation, a demandé à Patrick James, expert en relations canado-américaines et professeur émérite à l'USC Dornsife, d'expliquer pourquoi Trudeau a choisi de tirer sa révérence - et quel rôle Trump a-t-il joué dans son départ.
Pourquoi Trudeau a-t-il démissionné ?
La première chose à noter est que la démission de Trudeau n'est pas une véritable surprise pour quiconque suit la politique canadienne - la seule véritable surprise est le moment choisi.
Au fond, il s'agit d'une décision politique personnelle ; la réalité est que le parti de Trudeau était condamné à perdre aux prochaines élections - qui auront lieu avant la fin du mois d'octobre 2025.
Sauf changement radical d'ici les élections, les chances de victoire du parti libéral de Trudeau sont aussi minces qu'une épine dans le pied. L’opposition, le parti conservateur, également connu sous le nom de Tories, progresse dans les sondages de quelque 24 points.
Le leader des Tories, Pierre Poilievre, est parvenu à « adoucir » son image de droite dure qu’il renvoyait, réduisant ainsi les chances de Trudeau de gagner les votes du centre dont il avait besoin.
Mon hypothèse la plus plausible est que, face à cette défaite imminente, Trudeau pense que se retirer maintenant le protégera et favorisera son retour sur le devant de la scène politique canadienne plus tard, après une période d'inactivité.
Mais un tel retour est-il probable ?
Aux États-Unis, les présidents « morts » d’un point de vue politique, à savoir ceux qui ont perdu lors de leur réélection, reviennent rarement à la vie - Grover Cleveland et Donald Trump étant des exceptions - mais au Canada, le concept de la « résurrection politique » est un peu plus répandu.
En effet, cela remonte au premier Premier ministre du pays, John A. MacDonald, qui a démissionné en 1873, suite à un scandale, avant d'être réélu cinq ans plus tard. William Mackenzie King a exercé trois mandats non consécutifs en tant que premier ministre au cours de la première moitié du XXe siècle. Qui plus est, le père de Trudeau, Pierre Trudeau, est revenu au pouvoir après avoir perdu les élections de 1979 pour effectuer un quatrième et dernier mandat en 1980.
Mais j'ai le sentiment qu'avec Justin Trudeau, c'est différent. À l'heure actuelle, sa carrière parlementaire semble irrémédiablement compromise. Il est terriblement impopulaire et a mis en colère nombre de ses fidèles lieutenants. La démission de Chrystia Freeland, alliée de longue date et vice-première ministre, en décembre, a renforcé la pression exercée sur Trudeau pour qu'il démissionne.
Si l'inflation, fléau des gouvernements de gauche, de droite et du centre dans le monde entier, a sans aucun doute joué un rôle dans la baisse de popularité de Trudeau, d'autres facteurs entrent également en ligne de compte. Les Canadiens estiment généralement que, compte tenu des cartes qui lui ont été distribuées, Trudeau s’est tout de même très mal débrouillé. Sous Trudeau, l'immigration au Canada a augmenté massivement, ce qui, pour beaucoup, est à l'origine d'une crise de l'accessibilité au logement.
De façon plus générale, il semble que Trudeau, malgré son âge politique relativement jeune de 53 ans, ne soit pas en phase avec la politique actuelle. Trudeau, tout comme son père avant lui, est fortement associé à la politique identitaire, se concentrant sur les besoins perçus de certains groupes par rapport à d'autres.
Si les mérites de la politique identitaire restent à discuter, ce qui est certain est qu'elle n'est aujourd’hui pas particulièrement appréciée à travers le monde entier. En effet, les populistes de centre-droit tels que Trump ont été en mesure de gagner en popularité en décrivant leurs adversaires comme des politiciens de l'identité.
Comment la victoire électorale de Trump a-t-elle affecté l’avenir de Trudeau ?
L'ancienne vice-première ministre, Mme Freeland, a en majeure partie démissionné en raison de la manière dont Trudeau a réagi aux droits de douane proposés par Trump sur les produits canadiens. De nombreux canadiens éprouvent ce même mécontentement quant au comportement de Trudeau face à la future administration Trump s'étend, quelle que soit leur appartenance politique.
L'économie canadienne n’est pas en bon état, et des droits de douane de 25 % - tels que Trump les envisage - ne feraient qu’empirer la situation. Les canadiens cherchent quelqu'un qui puisse négocier avec Trump, et soit capable de lui faire face. Trudeau ne semble pas en avoir l'étoffe. En effet, face aux moqueries et au manque de respect de Trump - comme lorsque Trump l’avait qualifié de « gouverneur » plutôt que de dirigeant d'une nation - Trudeau a été critiqué pour la faiblesse de sa réponse.
Il symbolise le sentiment croissant au Canada que les décideurs politiques de Washington considèrent le pays comme faible.
Alors que Trudeau aurait ri d'une suggestion faite par Trump selon laquelle le Canada pourrait devenir le « 51ème État américain », les canadiens, eux, ont vu en cette plaisanterie une réelle menace : Trudeau défendrait-il le Canada, oui ou non ?
En ce sens, l'élection de Trump a constitué un défi pour Trudeau, mais elle lui a aussi présenté l’occasion de s'opposer à Washington - s’il avait su se montrer ferme, il aurait pu gagner les faveurs des nationalistes canadiens anti-américains. Au lieu de cela, Trudeau a été perçu comme lâche et faible face à Trump, ternissant alors davantage sa réputation au Canada.
Quel sera l'héritage de Trudeau en ce qui concerne les relations américano-canadiennes ?
Je pense que Trudeau a aussi été désavantagé du fait que les États-Unis ont de plus en plus l'impression - en particulier Trump - que le Canada profite militairement de son voisin méridional. Le président Joe Biden était davantage en accord avec Trudeau d’un point de vue politique, mais, il ne fait aucun doute que sous la première administration Trump, le premier ministre canadien était considéré par Washington comme l'un des dirigeants de l'OTAN qui ne payait pas sa juste part pour l'alliance militaire.
C'est en partie pour cette raison que le Canada de Trudeau n’est plus perçu comme un allié de confiance, en particulier chez les Républicains. Si l'on demandait aux Américains de nommer l'allié le plus digne de confiance de Washington, le Royaume-Uni ou Israël devanceraient probablement le Canada. Les déclarations de Trump depuis sa réélection suggèrent qu'il considère davantage le Canada comme un pays insignifiant que comme un réel allié. De plus, les propos tenus par Trump concernant l'éventuel achat du Groenland témoignent du désir de ce dernier d'être plus actif en Arctique malgré les protestations d’autres pays - chose qui aurait dû alarmer le Canada.
En résumé, on peut dire que les relations de Trudeau avec les États-Unis étaient bonnes sous Biden, mauvaises sous la première administration de Trump et - potentiellement - sans intérêt sous la seconde administration de Trump.
L'avenir de la politique canadienne :
Deux scénarios possibles.
Le scénario le plus probable est que les conservateurs remportent une élection qui pourrait avoir lieu à n'importe quel moment entre mars et octobre. Les sondages actuels indiquent qu'ils sont en passe de remporter plus de 50 % des voix. Si cela se produit, nous pouvons nous attendre à un gouvernement canadien beaucoup plus aligné sur celui de la future administration américaine, avec une politique étrangère plus centralisée et des réformes frontalières qui renforceront les contrôles de l'immigration.
Cela pourrait permettre au successeur de Trudeau de repartir à zéro avec Trump et de forger une relation plus solide ou, au contraire, de réaffirmer un certain degré de résistance canadienne à l'égard de Trump.
Autrement, un second scénario plausible est ce que j'appelle « la bizarrerie française ». Tout comme lors des dernières élections en France, où les deux principaux partis anti-droite ont conclu un accord de non-concurrence pour contrecarrer le Rassemblement national d'extrême droite, nous pourrions voir le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique socialiste tenter quelque chose de similaire afin de contrer la puissance des conservateurs. Mais il y a peu de chances que cela se produise et cela ne favorisera pas le retour de Trudeau.
Quant au Parti libéral, après avoir été mené par Trudeau, il est difficile de voir qui voudra en prendre les rênes et vers une défaite électorale quasi certaine. Mais je pense que le résultat le plus probable sera que le parti tentera de s'orienter vers un programme plus centriste et conservateur sur le plan économique. Ce qui marquerait réellement la fin de l'ère Trudeau.
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Patrick James est professeur de relations internationales auprès du doyen Dornsife à l’Université de Californie du Sud (PhD, Université du Maryland, College Park). James se spécialise en politique comparée et internationale. Ses intérêts au niveau international incluent les causes, les processus et les conséquences des conflits, des crises et des guerres. En ce qui concerne la politique intérieure, ses intérêts se concentrent sur le Canada, notamment en ce qui concerne le dilemme constitutionnel. James est l'auteur ou l'éditeur de 30 livres et de plus de 150 articles et chapitres de livres. Parmi ses distinctions et récompenses figurent la bourse Louise Dyer pour la paix de la Hoover Institution de l'Université Stanford, la chaire Milton R. Merrill de sciences politiques à l'Université d'État de l'Utah, la chaire Lady Davis de l'Université hébraïque de Jérusalem, la chaire Thomas Enders en études canadiennes à l'Université de Calgary, prix Senior Scholar de l'ambassade du Canada à Washington, DC, Eaton Lectureship à l'Université Queen's de Belfast, Quincy Wright Scholar Award de l'International Studies Association (ISA) (Midwest), Beijing Foreign Studies University Éminent chercheur, professeur Eccles de la British Library et Ole R. Holsti, érudit émérite de l'ISA (Ouest). Il est un ancien président de l'ISA (Midwest) et de la Conférence des politologues de l'Iowa. James a été chercheur émérite en analyse de politique étrangère pour l'ISA, 2006-07, et chercheur émérite en ethnicité, nationalisme et migration pour l'ISA, 2009-10. Il a été président, 2007-2009, de l'Association d'études canadiennes aux États-Unis, président du Conseil international d'études canadiennes, 2011-2013, président de la Peace Science Society, 2016-2017, et président de l'Association des études internationales. Association, 2018-19. James a également exercé un mandat de cinq ans en tant que rédacteur en chef de International Studies Quarterly.
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