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Guerre commerciale avec les États-Unis : Comment les droits de douane de Trump redessinent le paysage politique canadien à l'approche des élections

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First Published in: Feb.03,2025
Feb.24, 2025
Avec l'arrivée de l'administration de Donald Trump, les relations commerciales entre les États-Unis et le Canada ont connu des changements importants, notamment en raison de l'introduction de nouveaux droits de douane de 25 % sur les produits canadiens, y compris les produits automobiles, l'acier et l'aluminium. Ces mesures sont justifiées par une « menace nationale » due aux migrations et à la drogue [1]. En réponse, le Canada a imposé des mesures réciproques d'une valeur de 155 milliards de dollars, concernant les produits alimentaires, l'alcool, les véhicules électriques et les produits aérospatiaux [2]. Les experts prévoient que ces restrictions mutuelles pourraient réduire le PIB du Canada de 2,6 % et celui des États-Unis de 1,6 % [3]. En outre, une révision de l'accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA) est attendue. L'administration Trump entend évaluer les déséquilibres commerciaux et leur impact sur l'emploi, ce qui pourrait conduire à passer d'un accord trilatéral à des accords bilatéraux. Les risques de cette révision comprennent le renforcement des règles d'origine pour l'industrie automobile, la pression exercée sur le Canada pour qu'il ouvre son marché des produits laitiers et l'utilisation de l'accord USMCA comme levier pour traiter les questions de sécurité frontalière et de migration. On s'attend également à ce que les États-Unis tentent d'inclure les questions de sécurité frontalière et de dépenses militaires dans les négociations commerciales [4]. Par ces actions, les États-Unis pourraient pousser le Canada à entretenir un dialogue plus étroit avec la Chine, renforçant ainsi son rôle en tant que marché alternatif pour les ressources canadiennes et devenant un autre facteur important dans l'évolution de la dynamique commerciale entre les États-Unis et le Canada.
En pleine guerre commerciale avec les États-Unis, le Canada s'est retrouvé sans leadership officiel suite à la démission de Justin Trudeau et à la suspension du parlement jusqu'à la fin du mois de mars. Cette situation a non seulement entraîné une scission au sein du parti libéral, dont les membres se disputaient le leadership et tentaient de formuler une réponse à la menace extérieure, mais l'absence de stratégie unifiée a également affaibli la position du pays dans les négociations avec l'administration américaine. Dans ce contexte de crise, les provinces ont pris les choses en main, augmentant ainsi la pression sur Ottawa.
L'introduction de droits de douane a provoqué un clivage entre les provinces, dont les économies reposent sur le commerce avec les États-Unis à des degrés différents. Le premier ministre de Terre-Neuve, Andrew Furey, a qualifié les droits de douane de « menace existentielle » et a exigé des mesures de rétorsion sévères, notamment des sanctions sur les minéraux essentiels pour l'industrie américaine [5]. De son côté, l'Ontario, où se trouve l'industrie automobile, qui représente environ 25 % du PIB de la province, exige une réponse agressive du gouvernement fédéral aux mesures prises par les États-Unis. Se préparant à des élections anticipées, la province a annoncé un plan d'aide aux entreprises de 23 milliards de dollars, ainsi que des droits de douane réciproques sur les produits américains, notamment l'alcool et les appareils électroménagers, créant ainsi un précédent pour d'autres régions [6].
L'Alberta, où les exportations de pétrole et de gaz représentent 68 % de l'économie, s'est opposée à l'interdiction des expéditions vers les États-Unis. La première ministre Danielle Smith a qualifié ces mesures de « préjudiciables aux Canadiens » et a préconisé des mesures de rétorsion ciblées, telles que des droits de douane sur les marchandises en provenance des « États rouges » [7]. La Colombie-Britannique et le Québec ont opté pour des sanctions symboliques. Le premier ministre David Eby, par exemple, a imposé une interdiction sur les importations d'alcool en provenance des États républicains et a annoncé une priorité pour les produits canadiens dans les marchés publics [8]. Le Québec, dont l'industrie aérospatiale est étroitement liée aux États-Unis, s'est jusqu'à présent contenté d'une rhétorique ferme.
Le conflit d'intérêts est également apparu sur la question des barrières commerciales internes. Le gouvernement Trudeau a annoncé son intention d'éliminer les barrières commerciales interprovinciales, qui réduiraient le PIB de 130 milliards de dollars par an [9]. Cependant, les provinces où le secteur agricole est développé (Manitoba et Saskatchewan) bloquent la libéralisation du marché de la viande, tandis que l'Ontario et le Québec défendent le maintien des quotas laitiers. Symbole de ce problème systémique, le premier ministre de la province de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, a critiqué l'impossibilité « d’expédier une bouteille de vin à travers la frontière provinciale » [10].
L’intensification des conflits interprovincial et intergouvernemental pourrait renforcer le régionalisme canadien. Selon le « B.C. Economic Forecast », des droits de douane de 25 % pourraient coûter 120 000 emplois à la Colombie-Britannique, tandis que l'Ontario en perdrait 200 000 [11]. Cela conduira probablement à une augmentation des demandes des régions pour une redistribution des subventions fédérales, devenant ainsi un facteur qui menace l'unité du pays. Jusqu'à présent, les provinces agissent séparément, qu'il s'agisse des efforts de l'Ontario pour investir dans les infrastructures ou de l'initiative de la Colombie-Britannique pour accélérer les projets dans les régions éloignées.
Le gouvernement fédéral doit faire face aux critiques des partis d'opposition qui réclament un soutien accru à la population plutôt qu'aux entreprises, en mettant en garde contre la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants. Les conservateurs et les néo-démocrates ont réagi de manière décisive, en demandant des mesures immédiates pour protéger les travailleurs et les industries canadiennes de l'impact des tarifs douaniers. Pierre Poilievre et Jagmeet Singh ont exigé du gouvernement qu'il mette en œuvre des mesures de protection, intensifiant ainsi le discours politique sur le commerce et la politique économique. Alors que cette situation risque d'aggraver les divisions entre les gouvernements fédéral et provinciaux, les droits de douane américains offrent l’opportunité aux partis qui ont généralement des points de vue divergents sur le commerce de s’unir. La menace immédiate pourrait forcer les différentes factions du parti libéral à s'unir autour d'une stratégie commune pour lutter contre l'agression commerciale des États-Unis. Cela pourrait renforcer la position de Trudeau, qui prendrait des mesures pour répondre aux préoccupations du public concernant les pertes d'emploi et la stabilité économique.
Toutefois, les conséquences à long terme pour la politique intérieure du Canada pourraient aller au-delà des questions économiques immédiates. Les droits de douane ont suscité l'indignation de l'opinion publique canadienne. De nombreux Canadiens sont déconcertés par les actions de Trump, notamment en raison des liens économiques étroits de longue date entre les deux pays. Les canadiens ont commencé à exprimer publiquement leur mécontentement, par exemple en huant l'hymne national américain lors d'événements sportifs, ce qui traduit une profonde frustration à l'égard de la décision unilatérale de Trump [12]. Cette réaction indique également que les actions américaines sont perçues comme une attaque injuste contre la souveraineté et la stabilité économique du Canada.
Une enquête récente menée par le Congrès du travail du Canada a révélé qu'une grande majorité de canadiens (environ 80 %) pensent que les droits de douane américains augmenteront le coût de la vie au Canada et affecteront négativement les relations avec les États-Unis [13]. Près de 90 % des personnes interrogées soutiennent les plans d'investissement du gouvernement visant à renforcer l'économie canadienne et à protéger les emplois des effets négatifs de ces droits de douane. À la lumière de ces événements, un mouvement se développe parmi les canadiens pour donner la priorité aux produits nationaux plutôt qu'aux importations américaines. De nombreux citoyens cherchent activement des moyens de soutenir les entreprises locales en guise de protestation contre les tarifs douaniers de Trump. Les campagnes sur les réseaux sociaux incitant les consommateurs à acheter des produits fabriqués au Canada prennent de l'ampleur, et certains citoyens annulent même leurs projets de voyage aux États-Unis en guise de protestation contre les politiques commerciales américaines.
Si les mesures de rétorsion du gouvernement ne donnent pas de résultats favorables ou si elles aggravent le ralentissement économique, le mécontentement de la population pourrait s'intensifier, entraînant des changements dans le sentiment des électeurs avant les élections de cette année. Les difficultés économiques se transformeront en défis politiques, car les électeurs ont tendance à tenir les partis au pouvoir pour responsables des échecs perçus dans la gestion des relations commerciales.
En outre, alors que le Canada réévalue ses stratégies commerciales à la lumière des politiques agressives des États-Unis, des appels pourraient être lancés en faveur d'une approche plus affirmée des accords commerciaux internationaux et des partenariats en dehors de la région nord-américaine, ce qui pourrait modifier de manière significative les programmes des partis politiques canadiens.
Références :
[1] Imposing Duties To Address The Flow Of Illicit Drugs Across Our Northern Border. The White House Official Website. February 1, 2025. Available at: https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/02/imposing-duties-to-address-the-flow-of-illicit-drugs-across-our-national-border/
[2] Canada responded with $155 billion in mirror measures affecting food, alcohol, electric vehicles and aerospace products. Experts predict that these mutual restrictions could reduce Canada's GDP by 2.6% and the U.S.'s by 1.6%. CTV News. February 1, 2025. Available at: https://www.ctvnews.ca/politics/article/canada-to-slap-25-per-cent-tariff-on-155b-of-us-goods-after-trump-initiates-trade-war/
[3] Trump’s 25% Tariff Threat: New Analysis Reveals Severe Economic Fallout for Both Canada and the U.S. Canadian Chamber of Commerce’s Business Data Lab (BDL). November 28, 2024. Available at: https://chamber.ca/news/trumps-25-tariff-threat-new-analysis-reveals-severe-economic-fallout-for-both-canada-and-the-u-s/
[4] Experts React: Trump Just Slapped Tariffs On Mexico, Canada And China. What’s Next? Atlantic Council (признан нежелательной организацией в РФ). February 2, 2025. Available at: https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/experts-react-trump-just-slapped-tariffs-on-mexico-canada-and-china-whats-next/
[5] Premiers decry Trump's tariffs, announce countermeasures and call for federal response. CBC News. February 1, 2025. Available at: https://www.cbc.ca/news/politics/several-premiers-decry-trump-s-tariffs-and-call-for-powerful-canadian-response-1.7448301
[6] As Trump's tariffs become a reality, Ontario's party leaders pitch plans to respond. CBC News. February 1, 2025. Available at: https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/trump-tariffs-ontario-party-leaders-respond-1.7448203
[7] 'It doesn't need to happen': Trump's tariffs rattle Alberta. Calgary Herald. February 1, 2025. Available at: https://calgaryherald.com/news/local-news/it-doesnt-need-to-happen-trumps-tariffs-rattle-alberta
[8] Premier announces immediate response, vows to defend B.C. against Trump tariffs. Office of the Premier of British Columbia. February 1, 2025. Available at: https://news.gov.bc.ca/releases/2025PREM0014-000077
[9] Lack of federal leadership hurts Canada’s response to Trump tariff threat. Policy Options. January 29, 2025. Available at: https://policyoptions.irpp.org/magazines/january-2025/foreign-relations-confusion/
[10]‘Time to fix this’: Could the tariff threat bring down Canada's interprovincial trade barriers, once and for all? Financial Post. January 30, 2025. Available at: https://financialpost.com/news/economy/tariffs-bring-down-canada-interprovincial-trade-barriers
[11] Premier announces immediate response, vows to defend B.C. against Trump tariffs. Office of the Premier of British Columbia. February 1, 2025. Available at: https://news.gov.bc.ca/releases/2025PREM0014-000077
[12] Fans at Raptors game continue trend of booing US national anthem at pro sporting events in Canada. Asssociated Press. February 3, 2025. Available at: https://apnews.com/article/fans-boo-national-anthem-tariffs-canada-2c7210574c0373348870a94445814407
[13] Canadians reject Trump’s tariff threats: New CLC poll. Canadian Labour Congress. January 23, 2025. Available at: https://canadianlabour.ca/canadians-reject-trumps-tariff-threats-new-clc-poll/
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Depuis octobre 2018 - Chercheur au Centre d'études nord-américaines, Institut national de recherche Primakov sur l'économie mondiale et les relations internationales (IMEMO), Académie des sciences de Russie
Éducation:
2007-2011 — Candidat au doctorat. Institut d'études américaines et canadiennes, Académie russe des sciences, Moscou, Russie (Problèmes politiques des relations internationales, développement mondial et régional)
2007-2010 — Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO), Moscou, Russie (droit)
2002-2007 — Université académique d'État des sciences humanitaires, Moscou, Russie (Relations internationales)
Les domaines de recherche comprennent : la politique étrangère et intérieure du Canada, la politique étrangère des États-Unis, les problèmes d'ordre mondial, la sécurité internationale, la région indo-pacifique, les relations transatlantiques, le développement durable et la transition verte, les systèmes électoraux, les droits de l'homme.
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Instagram : @mariasoly
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