Subscribe to our weekly newsletters for free

Subscribe to an email

If you want to subscribe to World & New World Newsletter, please enter
your e-mail

Defense & Security

Russie et Corée du Nord : état actuel et perspectives des relations

Le drapeau de la Russie peint sur un mur. Coopération militaire entre la Russie et la Corée du Nord

Image Source : Shutterstock

by Konstantin Asmolov

First Published in: Apr.26,2024

May.27, 2024

La visite du président russe Vladimir Poutine en Corée du Nord, ou RPDC, en discussion depuis janvier 2024, pourrait être perçue au-delà d'un simple échange de courtoisie, suite à la visite précédente du leader nord-coréen dans l'Extrême-Orient russe à l'automne 2023. Elle constitue une étape capitale dans la consolidation des liens entre Moscou et Pyongyang.

 

Le précédent voyage de Vladimir Poutine en Corée du Nord, remonte en 2020 et il s'inscrit dans une série d'événements historiques, dont le sommet intercoréen entre Kim Dae-jung et Kim Jong-il en 2000. Ce moment clé a permis à la RPDC de briser son isolement en matière de politique étrangère et à la Russie d'affirmer son "pivot vers l'Est". La présence du président russe dans un pays autrefois stigmatisé comme un "État paria" par l'Occident reflète la réticence de Moscou à se joindre à la condamnation commune du régime de Pyongyang.

 

Les relations entre la Russie et la Corée du Nord ont connu des hautes et des bas, en grande partie en raison du point de vue de la Russie concernant les ambitions nucléaires de la RPDC. D'un côté, Moscou comprend les motivations de Pyongyang, mais de l'autre, elle les refoule, craignant que cela ne perturbe l'ordre mondial actuel, fondé sur l'autorité des Nations unies et la non-prolifération nucléaire. Plutôt que de soutenir les aspirations nucléaires de la Corée du Nord, la Russie a cherché à promouvoir le respect des règles internationales établies. Malgré les discussions prolongées entre diplomates russes et américains sur l'ampleur des sanctions en réponse à des activités telles que les essais nucléaires ou les tirs de missiles, l'idée que chaque avancée de la RPDC vers le statut de puissance nucléaire susciterait une opposition n'a jamais été remise en question.

 

Cependant, depuis la fin des années 2000 et plus encore depuis le début des années 2010, le monde évolue vers un nouveau modèle d'ordre mondial, ou plutôt, une transformation progressive de l'ancien. La confrontation entre l'"Occident collectif" et le "Sud global" s'est intensifiée, tandis que l'ONU et d'autres structures ont commencé à perdre leur rôle d'arbitre impartial pour devenir un système justifiant le double standard, et la guerre a fait son retour en politique. Dans cet environnement précaire, on constate des dysfonctionnements autour des mécanismes établis et, bien que les grandes lignes du nouvel ordre mondial n'aient pas encore été définies, de nombreux éléments de la structure actuelle de la sécurité mondiale sont en train de perdre de l’importance. L'espace commun politique, économique et d'information se voient progressivement remplacés par une ère de blocs, où la concurrence entre le triangle Russie-Chine-États-Unis joue un rôle déterminant. Cette dynamique a des répercussions inévitables sur l'Asie du Nord-Est et la péninsule coréenne. Parallèlement, l'émergence d'une "OTAN asiatique", en gestation après le sommet trilatéral de Camp David, tente de justifier son existence en évoquant une alliance hypothétique entre Moscou et Pyongyang ou entre Pyongyang et Pékin. Cette alliance est présentée comme une menace pour la démocratie et les valeurs démocratiques, bien que cela reste à prouver. Pour l'instant, cette coopération repose davantage sur des insinuations que sur des faits avérés et les preuves à cet égard sont, au mieux, circonstancielles.

 

Il est intéressant de noter que les spéculations sur d'éventuels accords d'armement secrets entre Moscou et Pyongyang ne sont pas apparues à la veille de la visite de Kim Jong-un en Russie. Ces rumeurs circulent depuis juin-août 2023, notamment après l’échec apparent de la contre-offensive ukrainienne, entravée par une pénurie de munitions, entre autres facteurs. Ainsi, cette campagne pourrait être interprétée comme une tentative de pression sur Séoul afin de réévaluer sa politique autour de la fourniture de munitions et d'armes létales à l'Ukraine.

 

Dans ce contexte, une des évolutions possibles est la concrétisation de ce que l'on appelle la "prophétie autoréalisatrice", où la coopération entre Moscou et Pyongyang pourrait devenir une réponse aux actions de leurs adversaires dans le cadre du "dilemme de sécurité". Les déclarations nord-coréennes de fin 2023 et début 2024, annonçant un changement radical de la politique intercoréenne et rejetant le paradigme de l'unification, ont captivé les cercles d'experts. Ces déclarations ont été considérées comme une préparation à une réponse ferme au problème intercoréen, même si cela ressemble davantage à un modèle de "coexistence non pacifique" (ce qui rappelle les confrontations entre l'Union soviétique et les États-Unis pendant la guerre froide). Dans le même temps, le président sud-coréen Yun Seok-yol à fait un discours en l'honneur du Mouvement du premier mars pour l'indépendance en 2024, dans lequel il a affirmé que la libération de la Corée ne serait pleinement accomplie qu'après l'élimination de la RPDC.  Il ajoute que cette élimination de la RPDC devra se faire avec l'aide de la communauté internationale. Ce discours est passé pratiquement inaperçu, bien qu'il s'agisse d'une mesure beaucoup plus grave en matière d'exacerbation des tensions régionales.

 

Ainsi, la visite du président russe en Corée du Nord suscite des attentes quant à une révision profonde de la politique de Moscou envers Pyongyang. Les scénarios les plus extrêmes envisagent la légitimation de la coopération militaire ou militaro-technologique et, surtout, le retrait de la Russie du régime des sanctions internationales contre la RPDC. En guise de mesures préliminaires suivant cette direction, les experts occidentaux pointent du doigt la position de la Russie au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle a d'abord contrecarré les efforts des États-Unis et de leurs alliés visant à renforcer les sanctions contre Pyongyang. Ensuite, en utilisant son droit de veto, elle a paralysé le groupe officiel d'experts chargé de superviser les sanctions, mettant en lumière leur utilisation comme un outil de pression et de confrontation plutôt que de résolution de problèmes.

 

Dans ce contexte, le retrait potentiel de la Russie du régime de sanctions semble cohérent, mais Moscou évalue désormais sérieusement les risques associés. D'un côté, cela offrirait la possibilité d'approfondir la coopération avec la RPDC, en levant les restrictions actuelles imposées par les sanctions. De l'autre, il y a les restrictions imposées par les Nations unies. En effet, le fait qu'un membre permanent du Conseil de sécurité, vote en faveur des sanctions, enfreigne nettement la résolution pertinente, cela pourrait clairement devenir un motif pour un nouveau cycle de pression. Les arguments avançant que la Russie, en tant qu'agresseur, devrait être expulsée de l'ONU ou privée de son droit de veto, émergent régulièrement dans le domaine public, et il faudra en tenir compte.

C’est pourquoi la position actuelle de la Russie se résume à s'opposer à de nouvelles sanctions tout en s'engageant à respecter les anciennes, tout en partant du principe que “ce qui n’est pas interdit est autorisé”.

 

Par conséquent, pour envisager l'expansion de la coopération entre les deux nations, il est crucial de diviser cette collaboration en plusieurs niveaux d'implication, dont la profondeur dépendra d'une série de facteurs. Ces facteurs incluent notamment le niveau de confrontation entre la Russie et l'Occident, la situation régionale en Asie du Nord-Est et dans la péninsule coréenne, ainsi que, d’une ampleur plus faible, le contexte militaire et politique aux frontières de la Russie. Il est peu probable que Vladimir Poutine et Kim Jong-un signent d’emblée des accords pour “passer au niveau supérieur”. À la place, il s’agira plutôt d’élaborer une feuille de route, prévoyant un dispositif de coopération échelonné, adapté à l'évolution de la situation, en ayant une préparation au préalable.

 

Le premier niveau de coopération implique des avancées dans les domaines de collaboration déjà existants, dont l'intensification est déjà notable par la multiplication des échanges entre les deux États dans certains domaines. En premier lieu, il s'agit d'explorer des avenues de coopération économique qui ne violeraient pas les sanctions ou qui exploiteraient au mieux les "zones grises" pour éviter les confrontations directes. Ce travail est mené en grande partie par le biais d'une commission intergouvernementale. L'intensification des liens économiques, souvent interprétée par les experts occidentaux comme une conséquence de la "vente d'armes", en est une preuve indirecte, puisqu'il s'agit de la circulation de navires dont la cargaison est inconnue.

 

Ensuite, il s'agit de continuer à développer les infrastructures de transport et de communication : cela pourrait inclure la construction d'un pont routier transfrontalier, l'établissement d'un service ferroviaire régulier, ainsi que l'extension des réseaux de communication mobile russes en RPDC ou la connexion de certaines parties de la RPDC à l'internet russe. Cela ne vise pas à remplacer l'intranet existant, mais plutôt à améliorer l'accès pour ceux qui ont le droit ou la capacité de se connecter en ligne. Par ailleurs, une coopération entre groupes de pirates informatiques ou la formation de spécialistes nord-coréens dans ce domaine ne serait possible qu'au niveau suivant de coopération, lorsque les deux pays mobilisés par une menace commune.

 

Troisièmement, des perspectives de coopération technologique. Pourtant, jusqu'à présent, nous n’avons pas trop discuté de transferts de technologie militaires offensives vers le Nord, mais plutôt de projets tels que le lancement de satellites nord-coréens à bord de fusées russes, par exemple, ou bien de puissance informatique russe visant à calculer les processus par lesquels un essai nucléaire sera dicté uniquement par une nécessité politique plutôt que technologique.

 

Quatrièmement, des opportunités de coopération dans le secteur du tourisme se dessinent, échappant aux sanctions en place. La RPDC a investi dans la création d'infrastructures touristiques conformes aux normes européennes. Le premier groupe de touristes a déjà entamé ses visites en RPDC. Si cette première expérience se révèle concluante, il est probable que davantage de touristes russes que chinois se rendront en RPDC. En effet, bien que les attractions touristiques de Wonsan et des monts Kumgang aient été initialement destinés aux Chinois, ces derniers n'ont pas manifesté un grand empressement à visiter Pyongyang.

 

Enfin, la coopération dans les domaines de l'éducation, de la santé, du sport et de la culture revêt une grande importance. Les contacts entre ministres ou leurs adjoints signalent une intensification de l'activité diplomatique au printemps 2024. À l'avenir, il est envisageable d'équiper les centres médicaux nord-coréens de matériel russe ou d'établir une branche d'un hôpital russe à Pyongyang, avec du personnel médical et des équipements modernes russes, conçus non seulement pour les Russes ou d’autres étrangers, mais également à la population locale.

 

Le niveau d'engagement suivant implique que Moscou et Pyongyang pourraient envisager une coopération secrète qui contourne le régime de sanctions sans pour autant ignorer la résolution de l'ONU. Cela impliquerait principalement l'utilisation de la main-d'œuvre nord-coréenne, reconnue pour son rapport qualité-prix, de son absence de motivations criminelles et de sa relative discrétion, et pas seulement dans l'Extrême-Orient russe. Certains responsables russes ont exprimé leur intérêt pour l'importation de travailleurs du bâtiment nord-coréens, suscitant des accusations de la part d’experts occidentaux, d'exploitation de cette collaboration sous le prétexte d'importer des étudiants, qui, selon la législation russe, peuvent travailler à temps partiel.

 

D'autres domaines de coopération envisageable incluent l'augmentation des fournitures d'énergie ou de biens à double usage interdits qui seraient néanmoins utilisés à des fins pacifiques. En substance, tout ce que les médias occidentaux et les experts partiaux accusent depuis longtemps Moscou et Pyongyang de faire, deviendrait enfin une réalité à ce stade.

 

En ce qui concerne la coopération militaro-technique, les transporteurs russes pourraient entamer des missions pour placer en orbite des satellites à des fins militaires ou duales, tandis que Moscou envisagerait de partager des éléments technologiques utiles avec Pyongyang. Dans le cas extrême, nous pourrions parler d'échantillons uniques en tant que prototypes pour une utilisation future. Il en va de même pour le transfert de technologie nord-coréennes vers la Russie, non pas sous la forme de fournitures directes d'armes, mais plutôt sous forme d’opportunités d'assemblage ou de matériels d'équipement, tels que des outils ou des composants.

 

Dans un scénario théorique, la Corée du Nord tout en réarmant ses unités militaires et en passant d'un ancien à un nouvel équipement (par exemple, du calibre 152 mm au calibre 155 mm), largue des "munitions obsolètes" à la Russie. Cependant, de telles options semblent peu probables, car la menace d'un conflit intercoréen demeure, et l'expérience des forces de défense nord-coréennes montre la rapidité avec laquelle les stocks de munitions de temps de paix pourraient s'épuiser lors d'un conflit à grande échelle plutôt que lors de simples accrochages locaux.

 

Le dernier niveau de coopération, où toutes les restrictions sont levées, n'est envisageable que dans des circonstances d'extrême nécessité, selon l'auteur, en raison des risques considérables impliqués. Bien que certains défenseurs du patriotisme russe veuillent prendre au pied de la lettre l'idée selon laquelle "la Russie et la RPDC sont dans la même tranchée", l'auteur soutient que toute option d'internationalisation du conflit du côté russe, de l'avis de l'auteur, ne vaut pas la peine d'en subir les conséquences. Premièrement, cela ouvrirait la voie à des réactions similaires des autres parties, qui se heurte à la difficulté d'obtenir des volontaires de l'OTAN en nombre suffisant. Deuxièmement, cela engendrerait des complications logistiques et de communication. Troisièmement, une partie de l'opinion publique russe percevrait une telle action comme un signe de faiblesse du Kremlin, incapable de mener à bien l’OMU sans recourir à une aide extérieure.

 

Par conséquent, l'auteur estime peu probable que la visite du président russe en RPDC ait un impact immédiat et direct sur l'évolution d'une éventuelle opération militaire spéciale. De plus, la mise en œuvre des décisions prises lors du sommet nécessitera du temps, d'autant plus que les mesures envisagées sont vastes. Dans ce contexte international, il sera difficile de dissocier les conséquences à long terme du sommet, de la réaction à d'éventuels changements dans la situation actuelle.

 

Quoi qu'il en soit, la visite de Vladimir Poutine en Corée du Nord représentera une étape historique dans le renforcement des liens entre les deux pays et dans le soutien diplomatique de Moscou à Pyongyang. Il est probable que des accords spécifiques soient gardés confidentiels, suscitant ainsi un plus grand intérêt pour l'analyse des événements passés plutôt que pour les discours autorisés.


First published in :

The Russian International Affairs Council (RIAC)

바로가기
저자이미지

Konstantin Asmolov

Chercheur principal au Centre d'études coréennes, Institut RAS d'études d'Extrême-Orient, expert RIAC  

Thanks for Reading the Journal

Unlock articles by signing up or logging in.

Become a member for unrestricted reading!