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Six raisons pour lesquelles Vladimir Poutine se rend en Chine
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First Published in: May.14,2024
Jun.24, 2024
À la mi-mai, le président russe Vladimir Poutine se rendra en Chine pour une visite d'État officielle. Bien que certains puissent minimiser l'importance de cette visite en raison des nombreuses réunions bilatérales entre Poutine et son homologue chinois, le président Xi Jinping (au moins quarante depuis que Xi a été élu président de la RPC en 2013), il y a plusieurs raisons pour lesquelles cette rencontre est particulièrement significative. La dernière visite de Poutine à Pékin remonte à octobre 2023, lorsqu'il a participé au forum de haut niveau "Une voie, une route". Cependant, cette nouvelle visite revêt une importance particulière en raison de divers facteurs. Voici quelques-unes des principales motivations qui sous-tendent ce voyage.
Tout d'abord, la courtoisie. En mars 2023, après avoir été réélu pour un septième mandat en tant que président de la République populaire de Chine, Xi Jinping a choisi Moscou comme première destination à l’étranger. Cette décision a été largement saluée en Russie, même par ceux qui ne suivent pas régulièrement les événements internationaux. Vladimir Poutine, quant à lui, a été réélu pour un troisième mandat en tant que président de la Fédération de Russie en mars de la même année. Il est donc tout à fait naturel qu'il souhaite rendre hommage à son partenaire et ami de longue date en se rendant en Chine avant d'envisager d'autres destinations. Symboliquement, ce choix souligne l'importance que le Kremlin accorde à Pékin. Après sa rencontre avec Xi Jinping, le dirigeant russe pourrait envisager de visiter plusieurs autres capitales non occidentales, notamment Ankara, Téhéran et Pyongyang.
Deuxièmement, les relations bilatérales. Il est crucial que les deux dirigeants mettent en commun leurs observations sur l'état actuel des relations bilatérales, qui ont connu des évolutions significatives depuis leur dernière rencontre en octobre dernier. L'année 2023 a été marquée par une coopération économique fructueuse entre la Russie et la Chine, le commerce bilatéral atteignant un niveau record de 240 milliards de dollars américains. Cependant, l'Occident demeure déterminé à perturber cette dynamique, et la pression occidentale sur Pékin ne cesse de croître. Il est donc compréhensible que le secteur privé chinois soit de plus en plus préoccupé par l'impact potentiellement dévastateur des sanctions indirectes sur ses perspectives commerciales. Suite à l'introduction par l'Union européenne de son douzième train de mesures restrictives à l'encontre de Moscou, plusieurs grandes banques chinoises ont manifesté leur réticence à traiter des paiements en dollars en provenance de Russie. En conséquence, le commerce bilatéral a enregistré une légère baisse de 2 % en mars. Les exportations chinoises vers la Russie ont diminué de 14 % sur une base annuelle, passant de 8,9 milliards de dollars à 7,6 milliards de dollars, tandis que les exportations russes vers la Chine ont continué de croître, atteignant 12 milliards de dollars. La récente visite du secrétaire d'État américain Antony Blinken en Chine en avril a confirmé une fois de plus que le gouvernement de Biden continuera à compliquer autant que possible l'interaction économique entre la Russie et la Chine. Apparemment, Poutine et Xi devraient se concentrer sur la manière de garantir que les États-Unis n'atteignent pas leurs objectifs, et que le commerce bilatéral atteigne effectivement les 280 à 290 milliards de dollars d'ici la fin de 2024, comme prévu. Les sommets entre dirigeants sont généralement de puissants moteurs pour le commerce et les investissements bilatéraux. Espérons que ce schéma se confirmera une fois de plus lors du prochain sommet Poutine-Xi.
Troisièmement, l'évolution de la situation mondiale. Ceux qui espéraient que 2024 marquerait un tournant dans la politique mondiale en la faisant passer des conflits et de la confrontation à la paix et à la réconciliation ont été amèrement déçus. Nous sommes entrés dans une nouvelle année dramatique, marquée par de nombreux événements tragiques aux quatre coins du monde. Les conflits russo-ukrainien et israélo-palestinien n'ont pas cessé, les Houthis continuent de prendre pour cible des navires militaires et commerciaux en mer Rouge. Les pays du Sahel et le Soudan bouillonnent et peuvent exploser à tout moment. Les dépenses mondiales en matière de défense et le commerce mondial des armes ont atteint en 2024 leurs plus hauts niveaux historiques. D'un autre côté, 2024 offre également un certain nombre d'opportunités qu'il ne faut pas négliger. C'est l'année où les BRICS doivent digérer et absorber leur récent élargissement, et la Russie devra gérer le processus en présidant le club et en accueillant le prochain sommet des BRICS à l'automne. L'Organisation de coopération de Shanghai pourrait également commencer à changer en acceptant le Belarus comme membre et en explorant de nouvelles possibilités de coopération multilatérale. Il est clair que les dirigeants russes et chinois ont beaucoup de questions à débattre sur la situation mondiale instable et à coordonner leurs réactions aux changements soudains.
Quatrièmement, les frictions avec l'Occident. Les deux dirigeants ne manqueront pas d'évoquer les relations difficiles qu'entretiennent leurs nations respectives avec l'Occident. Lorsqu'il rencontrera le président Poutine, le président Xi sera encore tout frais de son voyage à Paris, Belgrade et Budapest, prévu du 5 au 10 mai et qui est la première tournée de ce type depuis ces cinq dernières années. Il est probable qu'il partage ses impressions avec son collègue de Moscou. J'ai le sentiment que les deux dirigeants ont des points de vue non pas opposés, mais quelque peu différents sur l'Europe. Poutine reste très sceptique quant à une éventuelle "autonomie stratégique" des nations européennes par rapport aux États-Unis. Xi, lui, espère apparemment toujours que la coopération de Pékin avec les principales puissances européennes, ainsi qu'avec l'Union européenne en général, pourra être préservée même si les relations entre la Chine et les États-Unis continuent de se dégrader. Le jury ne s'est pas encore prononcé sur cette question cruciale. Cependant, un échange de vues honnête sur l'Europe et sur les tendances politiques aux États-Unis, y compris le résultat probable des élections de novembre, devrait constituer un point important de l'ordre du jour de la rencontre Poutine-Xi.
Cinquièmement, l'ordre mondial émergent. Les deux dirigeants sont également susceptibles de discuter de questions plus générales relatives au nouvel ordre mondial émergent. Comme par exemple, le rôle privilégié du système des Nations unies, l'avenir de la stabilité stratégique ainsi que diverses dimensions de la gouvernance mondiale et régionale. De nombreuses dimensions spécifiques du nouvel ordre mondial restent très vagues et ambiguës. Par exemple, on ne sait pas très bien ce qu'il pourrait advenir du régime de non-prolifération existant. Ni même comment coordonner les efforts pour vaincre le terrorisme international et contenir la course imprudente aux armements, ce qui peut être fait pour améliorer l'efficacité du droit international, etc. Toutefois, il est clair comme de l'eau de roche que l'un des principaux défis pour Moscou et Pékin est de savoir comment fournir des biens communs mondiaux tangibles dans un monde hautement volatile et imprévisible, sans puissance universelle hégémonique aux commandes. Les visions russe et chinoise de la transition internationale souhaitable ne sont pas identiques, mais elles sont très proches l'une de l'autre. Il est donc essentiel de discuter des points de vue convergents et divergents sur les principales composantes de l'ordre mondial émergent.
Sixièmement, les dimensions humaines. Le voyage pourrait bien déboucher sur d'autres résultats positifs, qui ne sont pas pour autant stupéfiants, mais qui sont néanmoins très importants non seulement pour les citoyens russes et chinois ordinaires, mais aussi pour les deux nations dans leur ensemble, parce qu'ils tissent le tissu social de la relation. L'approche du 75e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre Moscou et Pékin est une bonne occasion pour organiser une série de forums publics, d'événements culturels, de réunions d'affaires et de conférences universitaires. C’est aussi l’occasion de promouvoir les contacts interpersonnels au niveau local. Les deux dirigeants devraient notamment accorder une attention particulière au développement des liens bilatéraux dans l'enseignement supérieur, aux projets de R&D et aux interactions transfrontalières. Personnellement, j'aimerais que Poutine et Xi fassent une percée dans la mise en place d'un régime sans visa entre les deux pays voisins. Il est difficile de comprendre pourquoi, compte tenu de l'excellent état des relations entre la Russie et la Chine, nombre d'entre nous, de part et d'autre de la frontière, doivent encore faire de longues files d'attente pour que des visas à entrée unique soient apposés sur leurs passeports.
De nombreuses conversations entre Poutine et Xi se dérouleront à huis clos, ce qui est tout à fait naturel dans les circonstances géopolitiques difficiles actuelles. Toutefois, les deux dirigeants peuvent diffuser une déclaration politique ou une déclaration commune qui refléterait les domaines de consensus et la liste des priorités que leurs nations partagent. Lorsqu'un tel document sera rendu public, il méritera certainement une lecture très attentive de la part de tous ceux qui s'intéressent au suivi des relations entre la Russie et la Chine.
De nos jours, même les étrangers savent qu'en Chine, le chiffre "six" est associé à la signification de "lisse", car il a la même prononciation que le caractère 溜. Ce chiffre est la promesse d'une conclusion fructueuse et productive des affaires. Espérons que les six points susmentionnés de l'agenda de Poutine en Chine seront correctement couverts et pris en compte.
Cependant, nous devons rester réalistes et gérer nos attentes. Une simple rencontre entre deux dirigeants politiques, même s'il s'agit de Vladimir Poutine et de Xi Jinping, ne peut pas inverser toutes les tendances négatives de l'évolution mondiale. La rencontre ne produira pas de miracles et ne remplacera pas le travail continu et méticuleux des bureaucrates, des diplomates, des militaires, des médias, de la société civile et des dirigeants de la base. Les relations stables et productives entre la Russie et la Chine ne peuvent pas non plus être considérées comme un substitut à des accords multilatéraux exhaustifs et efficaces. Néanmoins, on ne peut nier qu'un lien personnel fort entre Poutine et Xi constitue un facteur important contribuant à la stabilité globale dans ce monde instable.
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Directeur académique du Conseil russe des affaires internationales.
Membre du RIAC
Andreï Kortunov est diplômé de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO) en 1979 et a terminé ses études de troisième cycle à l'Institut d'études américaines et canadiennes de l'Académie des sciences de l'URSS en 1982. Il est titulaire d'un doctorat en histoire. Le Dr Kortunov a effectué des stages dans les ambassades soviétiques à Londres et à Washington, ainsi qu'à la délégation permanente de l'URSS auprès de l'ONU.
De 1982 à 1995, le Dr Kortunov a occupé divers postes au sein de l’Institut d’études américaines et canadiennes, dont celui de directeur adjoint. Il a enseigné dans des universités du monde entier, notamment à l’Université de Californie à Berkeley. De plus, il a dirigé plusieurs organismes publics œuvrant dans les domaines de l'enseignement supérieur, des sciences sociales et du développement social.
De 2011 à 2023, Andrey Kortunov est le directeur général du RIAC. Il est membre des comités d'experts et de surveillance et des conseils d'administration de plusieurs organisations russes et internationales. Ses intérêts académiques incluent les relations internationales contemporaines et la politique étrangère russe.
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