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Defense & Security

Pourquoi la Nouvelle-Calédonie est-elle en feu ? Selon les femmes locales, les émeutes meurtrières ne concernent pas seulement le droit de vote

Carte de la Nouvelle-Calédonie, tourisme mondial, destination de voyage, commerce mondial et économie

Image Source : Shutterstock

by Nicole George

First Published in: May.16,2024

Jun.24, 2024

La capitale de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, a été victime d'émeutes violentes et massives au cours des dernières 48 heures, qui s’est rapidement intensifiée, prenant les autorités locales par surprise.

 

La crise a éclaté après des semaines de manifestations pacifiques dans tout le pays, alors que l'Assemblée nationale française à Paris délibérait sur un amendement constitutionnel visant à élargir la liste électorale du territoire. Cependant, à mesure que la date du vote approchait, les manifestations sont devenues plus difficiles et, lundi soir, elles ont dégénéré en  actes de violences incontrôlables.

 

Depuis lors, d'innombrables bâtiments publics, entreprises et habitations privées ont été incendiés, tandis que des barrages dressés par les manifestants entravent la circulation dans le Grand Nouméa. Quatre personnes ont perdu la vie. Des renforts de sécurité ont été déployés, un couvre-feu nocturne a été instauré et l'état d'urgence a été déclaré. Dans de nombreux quartiers de Nouméa, les citoyens forment désormais leurs propres brigades de protection de quartier.

 

Pour comprendre comment cette situation a pu dégénérer aussi rapidement, il est essentiel de prendre en compte les tendances complexes d'aliénation politique et socio-économique en jeu.

 

Le conflit politique

 

À un certain niveau, la crise est politique, reflétant la contestation d'un vote constitutionnel pris à Paris, qui élargira les droits de vote des citoyens. Ce changement ajoute environ 25 000 électeurs au rôle électoral de la Nouvelle-Calédonie en étendant le droit de vote aux Français qui vivent sur l'île depuis dix ans. Cette réforme met en évidence le pouvoir politique continu que la France exerce sur le territoire.

 

Les changements actuels ont suscité la discorde, car ils annulent des dispositions de l'accord de Nouméa de 1998, en particulier la restriction du droit de vote. Cet accord visait à "rééquilibrer" les inégalités politiques afin que les intérêts des autochtones kanaks et des descendants des colons français soient également reconnus. Il a permis de consolider la paix entre ces groupes après une période prolongée de conflit dans les années 1980, connue localement sous le nom “des événements".

 

Un groupe de responsables loyalistes au Parlement de Nouvelle-Calédonie rejette la signification contemporaine du "rééquilibrage" en ce qui concerne le statut électoral des Kanaks. Ils soutiennent qu'après trois référendums sur la question de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, organisés entre 2018 et 2021, qui ont tous abouti à un vote majoritairement négatif, le moment de la réforme électorale est largement dépassé. Cette position est clairement exprimée par Nicolas Metzdorf, un grand loyaliste, qui définit la révision constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale à Paris mardi comme un vote en faveur de la démocratie et de "l'universalisme".

 

 

Ce point de vue est néanmoins rejeté par les leaders indépendantistes kanaks, qui estiment que ces amendements portent atteinte au statut politique des autochtones kanaks, constituant une minorité de la population votante. Ces dirigeants refusent également d'admettre que le programme de décolonisation a été mené à son terme, comme le soutiennent les loyalistes.

 

Ils contestent au contraire le résultat du référendum final de 2021, affirmant qu'il a été imposé au territoire par les autorités françaises trop rapidement après le début de la pandémie de COVID. Cette décision n'a pas pris en compte le fait que les communautés kanakes ont subi de manière disproportionnée les conséquences de la pandémie et n'ont pas été en mesure de se mobiliser pleinement avant le vote. Les demandes de report du référendum ont été rejetées, et de nombreux Kanaks se sont abstenus en conséquence.

 

Dans ce contexte, les réformes électorales contestées décidées à Paris cette semaine sont perçues par les camps indépendantistes comme une nouvelle ingérence politique attendue au peuple kanak. Une figure de proue d'une organisation de femmes autochtones kanakes m'a décrit le vote comme une solution qui pousse "les Kanak dans le caniveau", une solution qui nous ferait "vivre à genoux".

 

Au-delà de la politique

 

De nombreux commentateurs politiques comparent la violence observée ces derniers jours à celle des événements des années 1980, une période qui a laissé une marque indélébile sur le pays. Cependant, ce point de vue est contesté par les femmes leaders locales, avec lesquelles je discute, et qui m'encouragent à analyser cette crise au-delà des facteurs politiques centraux.

 

Certaines dirigeantes rejettent l'idée que cette violence ne soit que l'écho de griefs politiques passés. Elles soulignent les disparités de richesse très visibles dans le pays, qui alimentent le ressentiment et les profondes inégalités raciales. Ces inégalités privent les jeunes Kanaks d'opportunités et contribuent à leur sentiment d'isolement.

 

Les femmes m'ont également fait part de leur inquiétude quant à l'imprévisibilité de la situation actuelle. Dans les années 1980, les campagnes violentes étaient coordonnées par les leaders kanaks, me disent-elles. Elles étaient organisées. Elles étaient contrôlées.

 

En revanche, aujourd'hui, ce sont les jeunes qui prennent les devants et utilisent la violence parce qu'ils estiment qu'ils n'ont pas d'autre choix. Il n'y a pas de concertation. Ils agissent par frustration et puisqu'ils estiment qu'ils n'ont "pas d'autre moyen" d'être reconnus.

 

Il y a aussi la frustration des dirigeants politiques de tous bords. Mercredi en fin de journée, les leaders politiques indépendantistes kanak ont tenu une conférence de presse. Ils se sont fait l'écho de leurs adversaires politiques loyalistes en condamnant les violences et en lançant des appels au dialogue. Ils ont notamment appelé les "jeunes" impliqués dans les violences à respecter l'importance d'un processus politique et les ont mis en garde contre une stratégie de vengeance.

 

Les femmes représentantes de la société civile avec lesquelles je me suis entretenue ont été frustrées par la faiblesse de ce message. Elles affirment que les dirigeants politiques de tous bords n'ont pas abordé les réalités auxquelles sont confrontés les jeunes Kanaks. Selon elles, si le dialogue reste centré sur les racines politiques du conflit et n'implique que les mêmes élites qui ont dominé le débat jusqu'à présent, peu de choses seront comprises et peu seront résolues.

 

De même, elles déplorent la lourdeur de la réponse actuelle de l'État en matière de sécurité, fondée sur le "commandement et le contrôle". Elle contredit les appels au dialogue et laisse peu de place à une quelconque participation de la société civile.

 

Ces approches permettent d'étouffer les griefs, mais ne les règlent pas. Les femmes leaders qui observent la situation actuelle sont angoissées et ont le cœur brisé pour leur pays et son peuple. Elles assurent que si la crise doit être résolue de manière durable, les solutions ne peuvent être imposées et les mots ne peuvent être dénués de sens.

 

Au contraire, elles demandent à être entendues et à contribuer à la résolution de la crise. En attendant, elles vivent dans l'anxiété et l'incertitude, en espérant que les incendies se calment et que la fumée qui plane actuellement sur une Nouméa meurtrie se dissipe.


First published in :

The Conversation

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Nicole George

Les recherches de Nicole portent sur les politiques sexospécifiques des conflits et de la consolidation de la paix, de la violence, de la sécurité et de la participation. Elle s'intéresse vivement à la théorie institutionnelle féministe, ainsi qu'aux débats conceptuels sur le pluralisme réglementaire et aux notions contestées d'ordre (genré), telles qu'elles sont évidentes dans la politique locale et mondiale. Depuis le début des années 2000, elle mène des recherches dans la région des îles du Pacifique en se concentrant sur les politiques de genre, la sécurité du genre et la transition post-conflit aux Fidji, en Nouvelle-Calédonie, à Bougainville et aux Îles Salomon. Elle a travaillé en collaboration avec des organisations de femmes, des femmes décideurs et des femmes décideurs politiques dans ces contextes pour faire progresser certains aspects de ce travail. Elle a dirigé de grands projets de recherche comparative, financés par des fonds externes, examinant comment les droits des femmes à la sécurité sont institutionnalisés dans les pays insulaires du Pacifique (2013-2016) et où et comment les femmes participent à la transformation post-conflit (dans le cadre d'un projet collaboratif plus large de liaison ARC ( 2016-2020). Outre les publications scientifiques énumérées ci-dessous, elle a apporté des contributions influentes aux forums politiques intergouvernementaux nationaux et régionaux sur les programmes de genre, de sécurité et de développement et contribue régulièrement à des sites éditoriaux d'opinion en ligne nationaux et régionaux.  

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