Energy & Economics
Energiser l'Europe de l'Est : comment l'UE peut renforcer sa souveraineté énergétique grâce à la coopération avec l'Ukraine et la Moldavie
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First Published in: Mar.11,2024
Jul.08, 2024
- Depuis l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie, l'UE a placé le renforcement de la souveraineté énergétique (tant la sienne que celle de ses voisins de l'Est) au cœur de ses priorités stratégiques. - En collaboration avec l'Ukraine et la Moldavie, l'UE a mis en place un cadre juridique et institutionnel détaillé, fournissant une plateforme solide pour la coopération énergétique. Grâce à ces mesures, l'UE et ses États membres ont joué un rôle crucial dans le renforcement substantiel de la souveraineté énergétique de la Moldavie et de l'Ukraine. Cela inclut notamment l'aide pour réduire leur dépendance aux combustibles fossiles russes et pour synchroniser leurs réseaux électriques avec ceux de l'UE. - Néanmoins, malgré leur potentiel en matière de production d'énergie verte, la Moldavie et l'Ukraine restent en retard en termes de pureté et d'efficacité énergétique. L'amélioration de la pureté de leur énergie contribuerait non seulement à renforcer leur propre souveraineté énergétique, mais aussi celle de l'UE dans son ensemble, en renforçant les avantages mutuels d'une coopération énergétique plus étroite. - Les grandes réserves de gaz, l’infrastructure gazière considérable de l'Ukraine, ainsi que son potentiel de production d'hydrogène vert et le développement croissant des énergies renouvelables dans les deux pays, offrent des opportunités solides de coopération avec l'UE. Une telle coopération pourrait renforcer à la fois la sécurité énergétique de l'UE et ses efforts de décarbonisation.
Depuis le début de la guerre de la Russie contre l'Ukraine, le renforcement de la souveraineté énergétique est devenu l'un des objectifs les plus stratégiques de la politique étrangère de l'Union européenne (UE), de ses États membres, et de nombreux autres pays. Avant le conflit, la Russie était la principale source d'importation de pétrole brut et de produits pétroliers de l'UE. En 2021, l'entreprise énergétique publique Gazprom représentait même 41 % des importations de gaz de l'UE. Cependant, suite à l'invasion, l'UE et ses États membres ont rapidement agi pour réduire leur dépendance à l'égard de Moscou en matière d'approvisionnement énergétique. Ils ont diversifié leurs fournisseurs de pétrole et de gaz, réduisant ainsi la part de Gazprom dans les importations de gaz de l'UE à seulement 8 % en 2023. Toutefois, l'UE a également tout intérêt à renforcer la souveraineté énergétique de ses pays voisins, en particulier de l'Ukraine et de la Moldavie, situés à sa frontière orientale. Le bon fonctionnement des systèmes énergétiques de ces pays voisins est crucial pour assurer leur sécurité, et donc la stabilité et la sécurité du voisinage immédiat de l'UE. C'est pourquoi la Commission européenne a identifié le soutien à l'Ukraine et à d'autres pays directement ou indirectement touchés par l'agression russe, par le biais de partenariats internationaux à long terme, comme l'un des objectifs les plus importants de la politique énergétique extérieure de l'UE. La coopération énergétique représente également un puissant levier d'intégration. La souveraineté énergétique ne doit pas être confondue avec l'autonomie ou l'autarcie énergétique des États. La coopération internationale au sein d'alliances ou de relations d'intégration telles que l'UE est une composante essentielle. Les alliés politiques peuvent devenir des fournisseurs fiables et sûrs de ressources énergétiques pour les pays dépendants des importations (les États-Unis et la Norvège), par exemple, remplissent ce rôle pour de nombreux pays de l'UE. Le développement de liaisons d'infrastructures énergétiques pour le gaz ou l'électricité entre les États partenaires, comme l'UE et ses voisins orientaux, leur permettrait de se soutenir mutuellement en cas de crise. L'initiative de l'UE visant à renforcer sa souveraineté énergétique dans son voisinage est principalement motivée par la nécessité de réduire sa dépendance à l'égard de la Russie et de promouvoir l'intégration de ses voisins. Toutefois, le renforcement de la souveraineté énergétique implique également une diminution de la consommation de combustibles fossiles. Ceci est étroitement lié à la réalisation d'un autre objectif stratégique majeur de l'UE, à savoir la neutralité climatique d'ici 2050. La diversification des sources d'approvisionnement en combustibles fossiles, bien qu'importante, ne constitue pas une solution à long terme au problème de la souveraineté énergétique. Face aux incertitudes géopolitiques actuelles et à la menace croissante du changement climatique, les décideurs de l'UE et des pays voisins doivent désormais intégrer les énergies renouvelables et l'utilisation efficace de l'énergie dans une approche globale de la souveraineté énergétique. En renforçant son potentiel d'énergies renouvelables ainsi que celui de ses voisins de l'Est, et en optimisant sa consommation d'énergie, l'UE peut réduire sa dépendance globale à l'égard des fournisseurs extérieurs de combustibles fossiles. La politique énergétique extérieure de la Commission combine ces deux objectifs, en affirmant que les actions de l'UE devraient être orientées à la fois vers la satisfaction des besoins à court terme et vers les objectifs à long terme concernant la mise en œuvre du "Green Deal" européen. C'est pourquoi je propose une approche plus large pour évaluer la souveraineté énergétique, qui va au-delà du prisme typique de la sécurité de l'approvisionnement et englobe quatre éléments : - Le degré de dépendance aux importations d'énergie, qu'il s'agisse de combustibles fossiles ou d'électricité. - La propreté du secteur énergétique, mesurée par la proportion d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique national et le niveau de décarbonisation du secteur. - Le niveau d'efficacité énergétique. - Le discours sur la souveraineté énergétique, tel qu'il est utilisé par les autorités nationales dans les documents politiques, reflétant l'orientation stratégique du secteur énergétique de l'État. Cette note politique utilise ces critères pour analyser les progrès réalisés par l'UE et ses voisins de l'Est dans le renforcement de leur souveraineté énergétique respective et présente les prochaines étapes à suivre. Il est constaté que, jusqu'à présent, l'UE et ses États membres ont joué un rôle important en augmentant l'indépendance énergétique de leurs voisins de l'Est. Cependant, l'Ukraine et la Moldavie n'ont pas encore atteint les résultats escomptés en matière de prureté et d'efficacité énergétique, malgré l'orientation fournie par les politiques énergétiques nationales. Ces défis sont en partie dus aux revers causés par la guerre.
Au cours de la dernière décennie, l'UE a mis en place un cadre juridique favorisant une coopération renforcée avec la Moldavie et l'Ukraine dans divers domaines, y compris l'énergie. Cette approche s'inscrit dans la politique d'action extérieure de l'UE, appelée "Équipe Europe", impliquant les structures de l'UE, les États membres et les institutions financières européennes comme la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En 2022 et 2023, la BERD s'est engagée à investir 3 milliards de dollars pour aider l'économie ukrainienne à surmonter les défis posés par l'invasion russe. La Moldavie et l'Ukraine, en tant qu'États associés à l'UE, ont des relations bilatérales régies par des accords d'association entrés en vigueur en juillet 2016 pour la Moldavie et en septembre 2017 pour l'Ukraine. La décision du Conseil européen en 2023 d'accorder à ces deux pays le statut de candidat à l'UE et de lancer des négociations d'adhésion a encore renforcé ces relations. L'UE a également invité la Moldavie et l'Ukraine à rejoindre la Communauté de l'énergie en 2010 et 2011 respectivement. L'objectif principal de la Communauté de l'énergie est d'étendre les principes et les règles du marché intérieur de l'énergie de l'UE aux pays d'Europe de l'Est, de la région de la mer Noire et des Balkans occidentaux, afin de les intégrer efficacement dans le marché de l'énergie de l'UE. Les membres de la Communauté de l'énergie sont tenus de transposer les réglementations énergétiques de l'UE dans leur propre système juridique national et de renforcer la coopération énergétique avec les pays de l'UE. La Moldavie et l'Ukraine ont déjà adopté plusieurs textes législatifs importants sur le fonctionnement des marchés du gaz et de l'électricité. L'Ukraine a mis en œuvre avec succès des réglementations visant à libéraliser ses marchés de l'énergie. En effet, elle a certifié des gestionnaires de réseau indépendants pour le gaz et l'électricité, ainsi qu'un opérateur de stockage de gaz indépendant. De plus, début 2024, l'opérateur certifié du réseau électrique ukrainien, Ukrenergo, a rejoint le Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité (ENTSO-E). De son côté, la Moldavie a finalisé la certification de son gestionnaire de réseau de transport d'électricité, Moldelectrica. Il est classé en tant que gestionnaire de réseau indépendant en juillet 2023, et a entrepris de certifier le gestionnaire de réseau indépendant de son marché du gaz. L'Ukraine et la Moldavie ont également adopté le règlement de l'UE sur l'intégrité et la transparence des marchés de l'énergie, qui interdit les délits d'initiés et les abus de pouvoir sur le marché. En décembre 2023, la Moldavie a modifié sa loi sur le gaz naturel pour renforcer la sécurité de l'approvisionnement et du stockage du gaz, l'alignant davantage sur les disposition de l'UE en matière d'énergie.
L'approfondissement de l'intégration de l'Ukraine et de la Moldavie dans l'UE a contribué à renforcer leur souveraineté énergétique, notamment en réduisant leur dépendance à l'égard de la Russie. L'Ukraine et, dans une plus large mesure, la Moldavie dépendent des importations d'énergie. En avril 2020, l'Ukraine pouvait répondre à environ 65 % de ses besoins énergétiques par ses propres moyens, tandis que la Moldavie ne pouvait en satisfaire qu'environ 20 %. Bien que la situation de la Moldavie n'ait pas beaucoup changé ces dernières années, la dépendance de l'Ukraine à l'égard des importations d'énergie est tombée à 23 % en 2022. Ceci est dû en grande partie en raison de la baisse de la consommation d'énergie due à la guerre.
La Moldavie et l'Ukraine ont toutes deux renforcé de manière significative leur indépendance énergétique dans le secteur du gaz, grâce à la coopération avec l'UE et les États membres. C'est particulièrement le cas de l'Ukraine, dont la production de gaz couvre désormais plus de 90 % de la demande intérieure. En 2010, Kiev dépendait des importations de gaz à plus de 70 %, avec 34 milliards de mètres cubes (mmc) importés presque entièrement de Russie. Selon les données annuelles de 2023, la consommation de gaz de l'Ukraine a chuté de 30 % depuis le début de la guerre, et elle importe désormais du gaz principalement via la Slovaquie, mais aussi la Hongrie, la Pologne et la Roumanie (en transitant par la Moldavie). L'évolution de l'Ukraine vers l'indépendance vis-à-vis des approvisionnements en gaz russe résulte en partie des décisions politiques prises par les nouvelles autorités de Kiev, arrivées au pouvoir en 2014 après le renversement de l'ancien président Viktor Ianoukovitch. À l'automne 2015, elles ont cessé d'acheter du gaz russe. Cette indépendance a également été rendue possible par le soutien des États membres de l'UE et des institutions financières européennes, soutien devenu particulièrement crucial après l'invasion massive de la Russie. Par exemple, au cours de l'été 2022, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a ouvert une ligne de crédit de 300 millions de dollars à la compagnie nationale ukrainienne de pétrole et de gaz, Naftogaz, pour des achats de gaz d'urgence. En juin 2023, la BERD a également commencé à coopérer avec la Communauté de l'énergie pour fournir un soutien régulier à l'Ukraine. Par exemple, en garantissant 600 millions d'euros de soutien aux entreprises ukrainiennes opérant dans les secteurs du gaz, de l'électricité et de l'hydroélectricité. Contrairement à l'Ukraine, la Moldavie ne produit pas de gaz, ne dispose pas d'installations de stockage de gaz et possède seulement de minimes réserves de gaz propres (environ 1 milliard de m3 au 31 décembre 2022), la rendant totalement tributaire des importations de gaz. Malgré cela, Chisinau a réussi à renforcer de manière impressionnante sa souveraineté énergétique en diversifiant considérablement ses sources d'approvisionnement, devenant ainsi totalement indépendante des achats de gaz à la Russie en décembre 2022. L'UE, les institutions financières européennes et certains États membres ont joué un rôle crucial à cet égard. Depuis 2008, la Banque européenne d'investissement (BEI) soutient financièrement des projets en Moldavie, notamment ceux visant à renforcer la souveraineté énergétique, tels que la construction de l'interconnexion gazière Ungheni-Chisinau. Cependant, compte tenu de la crise énergétique qui a frappé l'Europe à partir de 2021, l'UE a également mis en place des mécanismes anti-crise avec la Moldavie. Par exemple, le dialogue énergétique de haut niveau UE-Moldavie a été établi pour aider la Moldavie à garantir l'approvisionnement en ressources énergétiques (notamment en gaz naturel) et en électricité pendant la crise énergétique, tout en travaillant sur la mise en œuvre de projets énergétiques à long terme. Jusqu'à présent, cinq cycles de consultations ont eu lieu entre l'UE et la Moldavie dans le cadre de ce format. Durant ces cinq cycles, les partenaires ont discuté du soutien à la crise, des réformes du secteur de l'énergie et des projets à long terme. En octobre 2021, la Pologne a commencé à fournir du gaz à la Moldavie, marquant ainsi les premières importations de gaz non russe de l'histoire de la Moldavie. Outre ces importations en provenance de Pologne, la Moldavie a réussi à mettre en place des livraisons inversées de gaz via la Slovaquie et le gazoduc transbalkanique en provenance de Roumanie. De plus, elle a obtenu l'accès aux installations de stockage de gaz ukrainiennes, lui permettant de stocker environ 200 millions de mètres cubes (m3) de gaz pour faire face aux fluctuations saisonnières de la demande. Les efforts de diversification de Chisinau se poursuivent, comme l'illustrent les accords de fourniture de gaz conclus avec la société grecque DEPA en 2023. Le soutien financier des institutions européennes, notamment de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), ainsi que des États membres, a joué un rôle crucial dans la facilitation de ces efforts de diversification. En 2022, la BERD a octroyé un prêt de 300 millions d'euros à la Moldavie, tandis qu'en octobre 2023, un accord supplémentaire a été conclu pour fournir un soutien financier supplémentaire de 165 millions d'euros sous forme de prêts. De plus, la Norvège a promis une subvention supplémentaire de 34 millions d'euros pour l'approvisionnement en gaz. En novembre 2022, le secrétariat de la Communauté de l'énergie a lancé l'initiative du plan de sauvetage de la Communauté de l'énergie, visant à canaliser l'assistance financière des donateurs pour aider la Moldavie à faire face aux défis énergétiques à venir, notamment les hivers rigoureux. Parallèlement, le Fonds pour la vulnérabilité énergétique, instauré en 2022 par le gouvernement moldave avec le concours de l'UE, de la Slovaquie et du Programme des Nations unies pour le développement, a joué un rôle crucial dans l'atténuation des répercussions de l'augmentation des tarifs du gaz, de l'électricité et du chauffage en Moldavie. Plusieurs pays européens, dont la République tchèque, la Suède, l'Italie et la Suisse, ont également apporté leur soutien à la Moldavie dans le cadre de ce dispositif. En outre, en 2022, l'UE a mis sur pied la plateforme énergétique pour les États membres et les pays comme la Moldavie et l'Ukraine. Celle-ci visait à unir les demandes, coordonner l'utilisation des infrastructures et faciliter les négociations avec les partenaires internationaux pour des achats groupés de gaz et d'hydrogène. Grâce à cette initiative, l'Ukraine et la Moldavie ont participé à des appels d'offres organisés par la Commission européenne et ont respectivement obtenu 100 % et 80 % des volumes demandés lors du premier cycle d'achats.
En ce qui concerne le pétrole, la Moldavie et l'Ukraine sont toutes deux fortement tributaires des importations. Cependant, depuis février 2022, les pays de l'UE ont graduellement remplacé le Belarus et la Russie en tant que principaux fournisseurs, ce qui a contribué à renforcer leur souveraineté énergétique. La Moldavie dépend à 100 % des importations de pétrole et de produits pétroliers en provenance de pays tiers, avec la Roumanie comme principal fournisseur de produits pétroliers désormais. En raison de la guerre et des attaques répétées de la Russie contre les infrastructures énergétiques essentielles de l'Ukraine. Notamment les installations de stockage de produits pétroliers, le pays n'a pas été en mesure de produire ses propres produits pétroliers. Sa dernière raffinerie en activité a fermée en avril 2022. Ces produits sont d’une importance primordiale pour l'Ukraine, non seulement pour un usage civil, mais aussi pour ses besoins militaires. Bien que sa consommation d'essence, de diesel et de gaz de pétrole liquéfié ait diminué de 25 %, 30 % et 40 % respectivement entre 2021 et 2022, l'Ukraine est devenue plus dépendante des importations (93 % en 2022 contre 77 % en 2021) [1]. En 2021, le Bélarus représentait environ 43 % des importations d'essence de l'Ukraine, tandis que le Bélarus et la Russie ensemble représentaient environ 62 % de ses importations de diesel [2]. Cependant, en 2022, l'Ukraine a fortement réduit ses importations en provenance du Bélarus et de la Russie. Elle a plutôt opté pour des fournisseurs tels que la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, qui ont couvert 51 % de ses besoins en diesel cette année-là. D'autres sources d'approvisionnement incluent la Turquie, la Lituanie, la Moldavie, la Grèce, la Hongrie, et plusieurs autres pays. En 2023, l'Ukraine n'a pas importé de produits pétroliers en provenance du Bélarus ou de la Russie.
La synchronisation des réseaux électriques de la Moldavie et de l'Ukraine avec le système de l'UE en mars 2022 a eu un impact significatif sur leur souveraineté énergétique. Pourtant, leurs situations sont totalement différentes en termes de sécurité de l'approvisionnement en électricité. Cette étape a été particulièrement cruciale pour la Moldavie, où 80 % des besoins en électricité étaient couverts par la centrale électrique au gaz Inter RAO, appartenant à la Russie, située dans la région séparatiste de Transnistrie. En octobre 2022, suite à l'attaque russe contre l'infrastructure énergétique ukrainienne, Kiev a suspendu les exportations d'électricité vers la Moldavie, entraînant ainsi des coupures de courant. L'approvisionnement en électricité de la Transnistrie a été totalement interrompu début novembre. La synchronisation de la Moldavie avec le réseau de l'UE lui a permis d'importer de l'électricité de Roumanie, qui répondait à 90 % de sa demande d'électricité en novembre 2022. En juin 2023, le REGRT-E a augmenté la capacité des interconnexions reliant l'UE à la Moldavie et à l'Ukraine de 1050 à 1200 mégawatts (MW), renforçant ainsi leur résilience énergétique. Pendant la saison de chauffage 2022-2023, environ 900 000 ménages ont également reçu des subventions pour leurs factures d'électricité par le biais du Fonds de vulnérabilité énergétique. Bien que la Moldavie importe à nouveau 70 à 80 % de son électricité de Transnistrie, elle le fait principalement en raison de son coût moindre par rapport à l'électricité en provenance de Roumanie ou d'Ukraine. Cependant, la synchronisation de son réseau garantit l'accès à d'autres sources d'approvisionnement, réduisant ainsi le risque de chantage énergétique de la part de la Russie. À long terme, le soutien des institutions financières européennes sera crucial pour renforcer la sécurité de l'approvisionnement en électricité de la Moldavie. De 2023 à 2028, la BERD accordera la priorité à la promotion de la résilience énergétique, y compris par le financement de la modernisation des réseaux électriques. Bien que l'Ukraine soit principalement autosuffisante en matière d'approvisionnement en électricité, la synchronisation avec le réseau de l'UE s'est avérée cruciale pour Kiev. Cela lui a permis d'importer de l'électricité des pays de l'UE lors de crises liées aux attaques russes. Cette stratégie a été d'autant plus importante après que la Russie a pris le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporizhia en mars 2022. Cette centrale représente 44 % de la capacité totale de production d'électricité de l'Ukraine à partir de centrales nucléaires. En 2023, l'Ukraine a également modernisé une interconnexion électrique avec la Pologne. Le mécanisme de protection civile de l'UE, établi en 2001, s'est révélé crucial pour répondre aux besoins énergétiques à court terme de l'Ukraine, en particulier pour l'électricité. Au 31 janvier 2024, plus de 5 900 générateurs d'électricité ont été envoyés à l'Ukraine via ce mécanisme, dont 2 347 provenaient des stocks de réserve rescEU de l'UE. En plus des générateurs, l'UE a fourni à l'Ukraine d'autres sources d'énergie essentielles, notamment des transformateurs, des autotransformateurs, des équipements à haute tension et des ampoules LED. La BEI, qui a soutenu divers projets énergétiques en Ukraine depuis 2007, a joué un rôle crucial depuis le début de la guerre. Elle a financé des projets de réseaux énergétiques et aidé à réparer les dommages infligés par la Russie aux infrastructures énergétiques. En décembre 2023, par exemple, elle a accordé 133 millions d'euros pour renforcer la fiabilité des centrales hydroélectriques. Au sein de la Communauté de l'énergie, le Fonds de soutien à l'énergie de l'Ukraine et la Task Force de soutien à l'Ukraine ont été des acteurs essentiels pour garantir la sécurité énergétique de l'Ukraine pendant la guerre. Le Fonds de soutien à l'énergie de l'Ukraine a fourni à lui seul plus de 400 millions d'euros d'aide d'ici à décembre 2023. Dans le cadre de la Task Force de soutien à l'Ukraine, 22 pays de l'UE avaient effectué près de 100 livraisons à l'Ukraine d'ici octobre 2023. Cela comprend des transformateurs électriques, des câbles, des générateurs, des véhicules de transport et d'autres équipements essentiels pour soutenir le secteur de l'électricité. L'Observatoire du marché de l'énergie de l'Ukraine, lancé par la Communauté de l'énergie, suivra de près et examinera tous les développements liés au marché de l'énergie et à la gouvernance d'entreprise en Ukraine. En mars 2023, le secrétariat de la Communauté de l'énergie a signé deux protocoles d'accord avec les autorités ukrainiennes. Le premier étant sur le renforcement de la coopération dans la reconstruction du secteur énergétique ukrainien. Le deuxième sur la coordination des activités dans le domaine de l'aide humanitaire pour le chauffage urbain, l'approvisionnement en eau et le secteur des bâtiments en Ukraine.
Grâce à l'assistance de l'UE, des États membres et des institutions financières, l'Ukraine et la Moldavie ont réalisé d'importants progrès dans le renforcement de leur souveraineté énergétique en termes d'indépendance énergétique. Cependant, leurs avancées en matière de propreté et d'efficacité énergétiques, deux autres piliers cruciaux de la souveraineté énergétique, ont été moins remarquables.
Les deux pays, en particulier la Moldavie, affichent des résultats modestes en ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans leur production d'électricité. En 2022, les énergies renouvelables ne représentaient que 15,8 % de la production d'électricité en Ukraine et 7,1 % en Moldavie, des chiffres bien inférieurs aux moyennes européenne et mondiale, respectivement de 38,4 % et environ 30 % en 2022. Il convient de noter que la part des énergies renouvelables en Moldavie et en Ukraine inclut également la production d'électricité à partir de grandes centrales hydroélectriques, dont l'impact environnemental n'est pas entièrement neutre. Cependant, le secteur des sources d'énergie renouvelables (SER) en Ukraine montrait des signes de croissance avant le début de la guerre. Au début de 2022, la capacité totale installée des SER connectée au réseau atteignait 9,5 gigawatts (GW), sans compter 0,6 GW de capacité SER située dans les territoires temporairement occupés par la Russie avant le 24 février 2022. Entre 2009 et 2021, environ 12 milliards de dollars ont été investis dans le secteur ukrainien des SER par diverses sources de financement. Par exemple, par la BERD, la Banque de la mer Noire pour le commerce et le développement et la Société américaine de financement du développement international. Au cours des six premiers mois de la guerre, la Russie a détruit entre 80 et 90 % de la capacité de production des centrales éoliennes et environ 30 % de la capacité des centrales solaires en Ukraine, ainsi qu'environ la moitié des lignes de transmission et des installations de production d'électricité dans le pays. Les activités militaires en cours, y compris les attaques continues de la Russie contre les infrastructures énergétiques, entravent considérablement la capacité de l'Ukraine à reconstruire ces capacités. Pour tenter de remédier à cette situation, le groupe de coordination du G7+ (créé en novembre 2022 et comprenant la Communauté de l'énergie ainsi que l'UE et ses États membres) a établi un partenariat pour l'énergie propre avec le gouvernement ukrainien. Le but était de soutenir le redressement et la reconstruction durables de l'Ukraine, qui a été officiellement lancé lors de la COP28 en décembre 2023. Son objectif est de soutenir la création d'un système énergétique moderne, sûr, décentralisé et plus propre, conforme au principe du Net Zero en Ukraine, et de mieux intégrer le pays dans l'UE. Les parties doivent aider l'Ukraine à attirer des investisseurs privés pour développer des projets visant à réduire la dépendance de l'Ukraine à l'égard des combustibles fossiles, conformément aux objectifs de la politique énergétique et climatique de l'UE. En Moldavie, la faible part des sources d'énergie renouvelable (SER) dans le mix énergétique résulte d'un manque d'intérêt historique des autorités dans les projets pour ce domaine. Cependant, cette situation a commencé à évoluer sous le gouvernement pro-européen dirigé par le Parti de l'action et de la solidarité, arrivé au pouvoir en 2021. Ce gouvernement a manifesté un intérêt accru pour accélérer la transition énergétique de la Moldavie en développant des projets renouvelables. Il se prépare ainsi à lancer les premières enchères pour les énergies renouvelables dans le pays entre avril et juin 2024, visant à acquérir 105 MW d'énergie éolienne et 60 MW de projets solaires.
En ce qui concerne les niveaux de carbone dans son électricité, l'Ukraine peut se féliciter de bien meilleurs résultats. En 2022, l'intensité carbone de l'électricité produite en Ukraine était de 271,4 grammes d'équivalents de dioxyde de carbone par kilowattheure (gCO2e par kWh), inférieure aux moyennes européenne et mondiale de 291,9 gCO2e par kWh et 490,1 gCO2e par kWh respectivement. Après deux années de guerre, l'intensité carbone en Ukraine a encore baissé pour atteindre 194,4 gCO2e par kWh. La part importante de l'énergie nucléaire dans le bouquet énergétique de l'Ukraine (60,5 % en 2023), l'une des plus importantes au monde, explique en grande partie la faible empreinte carbone de son secteur énergétique. En revanche, l'électricité en Moldavie a une intensité carbone beaucoup plus élevée, atteignant 871,7 gCO2e par kWh en 2022, est bien au-dessus des moyennes européenne et mondiale. De plus, l'intensité énergétique de la Moldavie (la quantité d'énergie nécessaire pour produire une unité de PIB) est 3,4 fois supérieure à la moyenne des pays de l'UE. Les bâtiments représentent 58 % de la consommation totale d'énergie finale en Moldavie, dont 17 % pour les bâtiments non résidentiels. L'amélioration de l'efficacité énergétique dans ce secteur revêt donc une importance cruciale.
Les deux pays doivent également relever des défis pour améliorer leur efficacité énergétique, bien que l'Ukraine fasse beaucoup mieux que la Moldavie dans ce domaine. Selon les rapports de la Communauté de l'énergie, la consommation d'énergie primaire et la consommation d'énergie finale de l'Ukraine en 2020 étaient inférieures aux objectifs fixés pour 2030. En revanche, les statistiques de 2021 montrent que la consommation d'énergie primaire et la consommation d'énergie finale en Moldavie dépassaient d'un peu plus de 10 % les objectifs fixés pour 2030. Les bons résultats de l'Ukraine sont en grande partie dus à la guerre et à la baisse d'environ un tiers de la consommation d'électricité qui en a résulté. Néanmoins, l'Ukraine reste confrontée à une forte intensité énergétique dans certains secteurs, notamment les bâtiments résidentiels, dont 85 % datent de l'ère soviétique. Avant l'invasion, le niveau moyen de consommation d'énergie des ménages était deux à trois fois supérieur à celui de l'UE. En outre, le gaz joue un rôle important dans le secteur du chauffage, près de 80 % des ménages ukrainiens étant alimentés en chaleur par des centrales électriques au gaz. Si la guerre complique la mise en œuvre de mesures systémiques visant à améliorer l'efficacité énergétique en Ukraine, les autorités ukrainiennes avaient intégré cet objectif dans leur stratégie énergétique bien avant l'invasion russe. En 2018, elles ont créé le Fonds pour l'efficacité énergétique en collaboration avec l'UE et l'Allemagne. Depuis 2014, l'UE a également alloué des subventions dans le cadre de l'instrument européen de voisinage pour soutenir les réformes en Ukraine, y compris celles visant à améliorer l'efficacité énergétique. L'Ukraine a réalisé des progrès significatifs dans le respect de ses obligations au titre de l'accord d'association avec l'UE concernant l'adoption de la législation européenne en matière d'efficacité énergétique. Par exemple, elle a élaboré et adopté un dispositif législatif pour soutenir l'efficacité énergétique, incluant l'établissement de pratiques d'efficacité énergétique dans différents secteurs et la réduction de la consommation d'énergie dans les bâtiments. De plus, l'Ukraine s'aligne sur les normes européennes en promouvant des "bâtiments à énergie proche de zéro". À cette fin, elle a adopté un concept et un plan national, qui prévoient la mise en œuvre progressive de nouvelles réglementations au cours des cinq prochaines années, suivie de nouvelles exigences en matière de construction après 2025. La Moldavie a adopté un amendement à la loi sur l'efficacité énergétique en mai 2023, établissant un cadre juridique pour une planification globale via le Plan national pour l'énergie et le climat. Cependant, elle doit encore mettre en œuvre des mesures d'efficacité énergétique, notamment selon les normes élaborées par les institutions internationales. Par exemple, la Commission économique des Nations unies pour l'Europe (CEE-ONU) a préparé un guide spécial pour la mise en œuvre de mesures d'efficacité énergétique et la valorisation des sources d'énergie renouvelables pour les bâtiments du secteur public. Le secrétariat de la Communauté de l'énergie a joué un rôle important dans la création d'autres instruments de coopération énergétique entre les États membres de l'UE et les voisins de l'UE, qui englobent l'efficacité énergétique. Par exemple, EU4Energy (une initiative créée conjointement avec le Conseil des régulateurs européens de l'énergie et l'Agence internationale de l'énergie et lancée en 2016) se concentre sur la Moldavie et l'Ukraine, aux côtés de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, de la Biélorussie et de la Géorgie, dans la deuxième phase actuelle du programme (2021-2025). L'initiative est destinée pour soutenir les aspirations des pays ciblés à mettre en œuvre des politiques énergétiques durables et à favoriser le développement régional coopératif du secteur de l'énergie. La Convention des maires pour le climat et l'énergie de la Commission européenne vise à rassembler les autorités locales et régionales européennes pour qu'elles contribuent volontairement à l'amélioration de l'efficacité énergétique et à l'utilisation des énergies renouvelables. Cette convention inclut de nombreuses villes et municipalités d'Ukraine et de Moldavie. L'UE et les États membres ont également apporté leur soutien dans le cadre du Fonds de partenariat pour l'efficacité énergétique et l'environnement en Europe de l'Est, un programme mis en place à l'initiative de la Suède en 2009. Sur le budget total (1 355 millions d'euros), 982 millions d'euros ont été alloués à 25 projets en Ukraine et 114 millions d'euros à sept projets en Moldavie. Les fonds versés dans le cadre de l'initiative sont utilisés, entre autres, pour améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments de soins de santé et d'autres installations publiques.
Les autorités actuelles des deux pays ont façonné un récit dominant autour du renforcement de la souveraineté énergétique. En mars-avril 2023, le réseau de chercheurs associés du European Council on Foreign Relations a mené une enquête dans tous les États membres de l'UE ainsi qu'en Ukraine et en Moldavie sur l'approche des décideurs en matière de souveraineté énergétique après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Les questions portaient sur la conceptualisation de la souveraineté énergétique, les principaux défis et menaces dans ce domaine et les mesures prises et prévues pour la renforcer. Les chercheurs ont constaté que la souveraineté énergétique a gagné en importance dans les cercles politiques et le discours public des deux pays après le déclenchement de la guerre. Les autorités des deux pays adoptent une approche globale et innovante de la souveraineté énergétique. Ils la considèrent non seulement sous un angle de sécurité de l'approvisionnement en matières premières, mais aussi sous celui de l'efficacité énergétique et des objectifs climatiques. Selon le gouvernement ukrainien, l'Ukraine aspire à devenir une plaque tournante de l'énergie verte en Europe, intégrant la production d'énergie au développement des technologies vertes. Le ministre ukrainien de l'énergie a souligné le rôle crucial des énergies renouvelables dans le renforcement de la sécurité énergétique, en citant l'expérience de l'Ukraine pendant la guerre et sa contribution à la stabilité européenne grâce à la synchronisation des systèmes électriques. En Moldavie, les autorités ont mis l'accent sur la nécessité de diversifier les sources d'approvisionnement en raison de leur forte dépendance aux ressources énergétiques russes. Pourtant, elles considèrent également la transition énergétique comme un élément clé du renforcement de la souveraineté énergétique sur le long terme. Le gouvernement prévoit d'accélérer le développement des projets de sources d'énergie renouvelable (SER), visant à porter leur part à 30 % de la consommation d'électricité en Moldavie d'ici 2030. Les élites des deux pays semblent également percevoir la coopération avec des tiers, notamment l'UE et ses États membres, comme un moyen important de renforcer leur souveraineté énergétique, et pas seulement comme une réponse aux situations de crise. Cela se reflète dans leurs plans à long terme de collaboration avec l'UE et les États membres sur des projets visant à renforcer leur souveraineté énergétique, en particulier par l'expansion des infrastructures de connexion. La Moldavie se concentre actuellement sur la construction d'une ligne à haute tension de Vulcanesti à Chisinau. Cette ligne devrait permettre l'importation d'électricité de la Roumanie vers la Moldavie sur la rive droite du Dniestr d'ici quelques années. La mise en service de cette ligne est prévue pour 2025. De plus, la Moldavie est intéressée par le développement de projets de production d'énergie conjointement avec la Roumanie et par l'augmentation de la capacité de l'interconnexion gazière Ungheni-Chisinau. De son côté, l'Ukraine met l'accent sur l'établissement d'un corridor de l'hydrogène la reliant à la Slovaquie, la République tchèque, l'Autriche et l'Allemagne. Ce corridor renforcerait la sécurité énergétique de l'Ukraine en l'intégrant dans le réseau énergétique européen, tout en stimulant la croissance de l'industrie ukrainienne de l'hydrogène. Il permettrait également à l'hydrogène produit en Ukraine d'intégrer en douceur sur le marché européen de l'énergie. De plus, en 2024, les deux pays, ainsi que la Slovaquie, ont rejoint le programme européen de transport de gaz "Vertical Corridor". Ce programme réunit les gestionnaires de réseaux de transport de gaz de Grèce, de Bulgarie, de Hongrie et de Roumanie. Il a pour objectif de renforcer la sécurité et la diversification énergétiques en modernisant les réseaux afin de faciliter le transport de gaz du sud vers le nord et vice versa.
Jusqu'à présent, les pays du voisinage oriental ont principalement bénéficié des actions de l'UE et de ses États membres pour renforcer leur propre souveraineté énergétique. Cependant, ces deux pays, en particulier l'Ukraine, ont le potentiel de contribuer au renforcement de la souveraineté énergétique de l'UE et de ses États membres, grâce à leurs ressources naturelles, au développement des énergies renouvelables et à leurs infrastructures. L'Ukraine a un grand potentiel dans le secteur du gaz. Tout d'abord, le pays abrite certaines des plus grandes réserves prouvées de gaz naturel en Europe, estimées à 1,1 trillion de mètres cubes en décembre 2020 (incluant la Crimée et d'autres zones occupées par la Russie, selon les frontières internationalement reconnues). En outre, la production de gaz de l'Ukraine est la deuxième plus importante d'Europe après celle de la Norvège. Malgré les défis posés par la guerre, la production ukrainienne est restée à un niveau relativement élevé, atteignant 18,5 milliards de mètres cubes en 2022 et 18,7 milliards de mètres cubes en 2023. Deuxièmement, l'Ukraine dispose d'infrastructures gazières qui pourraient s'avérer précieuses pour l'UE dans sa quête de diversification des sources d'approvisionnement. Son vaste réseau gazier, qui a déjà été utilisé pour le transit du gaz russe vers les consommateurs européens, pourrait être mobilisé pour acheminer du gaz de la mer Noire ou de la région de la Caspienne via le gazoduc transbalkanique. Ce potentiel prendrait une nouvelle dimension avec la construction envisagée depuis plus d'une décennie d'un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) sur la côte ukrainienne de la mer Noire. Par ailleurs, l'Ukraine pourrait apporter une contribution importante à la capacité de stockage de gaz en Europe. Avec le plus grand système de stockage de gaz en Europe (30 milliards de mètres cubes) et le troisième au monde en termes de capacité, derrière les États-Unis et la Russie, l'Ukraine garantit non seulement sa propre sécurité énergétique, mais offre également une possibilité d'approvisionnement stable aux clients européens. Déjà, certaines entreprises de l'UE exploitent cette possibilité (au début de 2024, environ 2 milliards de mètres cubes de gaz stocké en Ukraine appartenaient à des entreprises de l'UE) mais le potentiel d'utilisation est encore plus important. La coopération avec l'Ukraine dans le domaine de l'hydrogène offre un grand potentiel pour renforcer la souveraineté énergétique de l'UE. Selon des chercheurs ukrainiens, une expansion appropriée de l'énergie éolienne pourrait permettre à l'Ukraine de produire jusqu'à 19,5 millions de tonnes d'hydrogène vert par an, soit le double des plans de production annuelle de l'UE d'ici 2030. L'UE identifie déjà l'Ukraine comme l'un des trois principaux corridors potentiels d'importation d'hydrogène vert (avec la région de la mer du Nord et la mer Méditerranée). En février 2023, elle a signé un protocole d'accord avec l'Ukraine sur un partenariat stratégique concernant le biométhane, l'hydrogène et d'autres gaz synthétiques. Les projets d'hydrogène conformes aux normes de sécurité de l'UE peuvent obtenir le statut de projets d'intérêt mutuel dans le cadre de la réglementation des réseaux transeuropéens d'énergie de l'UE. La première liste de projets d'intérêt mutuel publiée par la Commission européenne en novembre 2023 comprend un projet de corridor générique visant à transporter l'hydrogène de l'Ukraine vers la Slovaquie, la République tchèque, l'Autriche et l'Allemagne. Par ailleurs, les deux pays, et en particulier l'Ukraine, disposent d'un fort potentiel de développement des sources d'énergie renouvelable (SER). Cela pourrait permettre la production d'énergie propre non seulement pour la consommation intérieure, mais aussi, dans le cas de l'Ukraine, pour l'exportation vers l'UE. En théorie, l'Ukraine détient le plus grand potentiel d'énergie renouvelable parmi les pays du sud-est de l'Europe, bien que les estimations puissent varier. Le gouvernement ukrainien estime à 140 GW le potentiel de développement de l'énergie éolienne au large des côtes de la mer Noire et de la mer d'Azov. De leur côté, les universitaires ukrainiens estiment que les sources d'énergie renouvelable en Ukraine pourraient fournir jusqu'à 874 GW au total, incluant l'énergie solaire (83 GW), l'énergie éolienne terrestre (438 GW) et l'énergie éolienne en mer (250 GW). Lors d'une conférence sur la reconstruction de l'Ukraine organisée en juin 2023 à Londres, le ministère ukrainien de l'Énergie a présenté des plans d'investissement dans le secteur de l'énergie. Ces investissement montrent que d'ici 2050, l'Ukraine envisage de disposer d'une capacité de production solaire et éolienne de 230 GW, d'une capacité de stockage de l'énergie de 38 GW et d'une capacité d'électrolyse de 69 GW pour produire de l'hydrogène vert. Quelle que soit l'estimation la plus réaliste, il est clair que l'Ukraine a la capacité de produire de grandes quantités d'énergie propre. Selon la CEE-ONU, la bioénergie, l'hydroélectricité, l'énergie solaire et l'énergie éolienne pourraient représenter près de 80 % de la production totale d'énergie de l'Ukraine d'ici 2050. La Moldavie présente également un certain potentiel pour le développement de projets d'énergies renouvelables, bien que ce potentiel soit nettement inférieur à celui de l'Ukraine. Selon un rapport de 2017 de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables, la Moldavie pourrait augmenter sa capacité éolienne à 21 GW et sa capacité totale de production d'énergies renouvelables à 27 GW. Bien que la Moldavie ne devienne pas une source majeure d'importation d'énergie propre pour l'UE comme l'Ukraine, le développement de projets d'énergies renouvelables dans ce pays serait néanmoins bénéfique. En effet, il réduirait la dépendance à l'égard des combustibles fossiles de la Moldavie, soulageant ainsi l'UE et ses États membres du fardeau de soutenir le maintien de l'approvisionnement en gaz de la Moldavie pendant les crises. Par ailleurs, l'Ukraine pourrait également développer des projets de biométhane. Selon le Comité national ukrainien pour la régulation de l'énergie, le pays pourrait produire jusqu'à 22 milliards de mètres cubes de biométhane par an, dont une partie pourrait être exportée vers l'UE. En effet, l'Ukraine dispose déjà des ressources et des infrastructures nécessaires, notamment des réseaux de transmission adéquats qui n'auraient pas besoin d'améliorations supplémentaires pour transporter le biométhane. De plus, l'Ukraine possède d'importantes ressources en matières premières et de vastes étendues de terres arables pour exploiter le potentiel de production de biométhane agricole. Alors que l'UE vise à produire 35 milliards de mètres cubes de biométhane par an d'ici 2030, on estime que l'Ukraine pourrait répondre à jusqu'à 20 % de cette demande. L'UE pourrait également tirer parti de l'accès aux matières premières essentielles de l'Ukraine, qui sont d’une grande importance pour la transition énergétique de l'UE. L'Ukraine dispose de ressources pour la plupart des matières premières figurant sur la plus récente liste des matières premières critiques (MRC) de l'UE, dont certaines sont reconnues par l'UE comme étant d'une importance stratégique. Par exemple, l'Ukraine possède les plus grandes réserves de lithium en Europe, utilisé notamment dans la fabrication de batteries pour les voitures électriques. En 2021, l'Ukraine représentait également environ 7 % de la production mondiale de titane et était le septième exportateur mondial de minerai de titane. Le dioxyde de titane est un composé chimique précieux qui peut contribuer à améliorer l'efficacité des batteries en prolongeant leur capacité de stockage d'énergie et leur durée de vie. Avec le lithium, il fait partie des MRC que l'UE considère comme stratégiques. De plus, l'Ukraine détient certaines des plus importantes réserves de graphite en Europe. Elles sont utilisées dans les technologies de stockage de l'énergie telles que les batteries lithium-ion, ainsi que des gisements de nickel et de cobalt, qui sont essentiels pour la production de batteries. Le potentiel significatif de production d'énergie verte et le statut de l'Ukraine en tant que pays disposant de la plus grande capacité de production nucléaire en Europe font de lui une source potentielle d'importation d'électricité à faible teneur en carbone pour les États membres de l'UE. Au cours des trois dernières décennies, l'Ukraine a exporté de l'électricité, continuant même à le faire vers la Moldavie, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie et la Hongrie pendant la première année de la guerre. Les attaques russes contre l'infrastructure énergétique ukrainienne ont contraint Kiev à suspendre ses exportations d'électricité en octobre 2022, mais elles ont repris en avril 2023 vers la Moldavie et les pays de l'UE (bien qu’à faible quantité). À long terme, surtout une fois la guerre terminée, l'UE espère pouvoir importer de l'électricité propre d'Ukraine dans le dispositif de l’initiative REPowerEU. En outre, l'Ukraine peut fournir des informations cruciales sur la protection des infrastructures énergétiques en Europe, étant donné son expérience des attaques russes, ce qui pourrait renforcer la souveraineté énergétique de l'UE. La sécurité des infrastructures énergétiques de l'UE est devenue une préoccupation majeure, notamment à la lumière des dommages causés aux gazoducs Nord Stream 1 et 2, à l'interconnecteur de la Baltique et aux cyberattaques contre les infrastructures énergétiques danoises.
Effectivement, plusieurs facteurs convergent vers une coopération énergétique plus étroite entre l'UE, ses États membres et leurs voisins de l'Est, renforçant ainsi la souveraineté énergétique de toutes les parties concernées. Tout d'abord, les gouvernements et les populations actuels de la Moldavie et de l'Ukraine sont clairement en faveur d'une intégration plus étroite dans les structures occidentales, notamment l'UE. En Ukraine, cette orientation s'est affirmée après la victoire de la "Révolution de la dignité" en 2014, marquant une rupture avec les liens pro-russes de l'administration précédente. De même, la Moldavie a entamé un virage pro-européen marqué dès 2021. La guerre en Ukraine et l'agression politique russe envers la Moldavie ont accentué cette orientation, qui semble appelée à perdurer. De leur côté, l'UE et ses États membres ont revu leur stratégie, accordant une attention accrue à leur propre souveraineté énergétique ainsi qu'à celle de leur voisinage oriental. Suite à l'invasion russe en Ukraine, l'UE s'est rapidement engagée à réduire sa dépendance vis-à-vis des approvisionnements énergétiques russes, tout en apportant son soutien aux pays voisins de l'Est pour atteindre cet objectif. Effectivement, la guerre en cours en Ukraine représente un obstacle majeur à l'intensification de la coopération énergétique à long terme. Pour l'Ukraine, la question cruciale réside dans l'ampleur des dommages causés par le conflit et le montant des fonds nécessaires à sa reconstruction. Selon les estimations de la Banque mondiale, le coût total de la reconstruction s'élève à près de 486 milliards de dollars, soit plus du double de la taille de l'économie ukrainienne d'avant-guerre. Les Nations unies estiment que la seule reconstruction du secteur énergétique, gravement endommagé par les bombardements, nécessitera environ 47 milliards de dollars. L'UE a annoncé une aide supplémentaire de 50 milliards d'euros entre 2024 et 2027 via la facilité pour l'Ukraine. Pourtant, ces fonds sont destinés à des investissements dans tous les secteurs de l'État, et on ne sait pas exactement quelle part de cette somme sera allouée à l'énergie, si tant est qu'il y en ait une. Compte tenu des ambitieux projets de Kiev en matière d'investissements dans les énergies vertes telles que les sources d'énergie renouvelables (SER) et l'hydrogène, ainsi que dans d'autres secteurs comme le nucléaire et le gaz, les autorités ukrainiennes estiment que les besoins d'investissement du pays atteindront 400 milliards de dollars d'ici à 2050. Cependant, les investissement en Moldavie et en Ukraine demeurent relativement faibles. Avant la guerre, l'instabilité réglementaire en Ukraine, incluant des changements dans les règles fiscales pour le secteur de l'extraction du gaz, a rendu difficile l'attraction des investisseurs. De même, la Moldavie a du mal à attirer les investissements, surtout ceux des acteurs privés. L’Ukraine a fait des avancées positives pendant la guerre, comme l'adoption d'une loi favorable à l'investissement dans le secteur du biogaz et du biométhane, y compris des exonérations fiscales et douanières. Malgré ça, il reste incertain que l'introduction et la mise en place de réglementations juridiques seront une tâche facile une fois le conflit terminé. Les progrès dans la mise en œuvre de la politique énergétique et climatique constitueront également un défi majeur dans le cadre de l'intégration de l'Ukraine à l'UE. De plus, certains secteurs spécifiques sont confrontés à d’autres défis. Par exemple, bien que l'Ukraine possède un important potentiel pour la production d'hydrogène, le pays ne dispose actuellement ni d'une stratégie ni d'un cadre juridique pour le développement de projets liés à l'hydrogène, ou même d'une infrastructure adéquate.
Pour obtenir la plus grande synthèse possible dans les efforts de l'UE et de ses voisins de l'Est pour renforcer mutuellement la souveraineté énergétique, les deux parties devront continuer à prendre des mesures stratégiques dans les années à venir.
L'Ukraine et la Moldavie doivent traduire leurs discours sur la souveraineté énergétique en une détermination à les mettre en œuvre dans la réalité. Les pays du voisinage oriental doivent définitivement changer leur approche de la souveraineté énergétique et l'envisager non seulement en termes de sécurité d'approvisionnement (indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et diversification des sources d'approvisionnement) mais aussi en termes d'énergie propre et d'efficacité énergétique. Cela s'applique particulièrement à la Moldavie, qui devrait avoir pour objectif de rompre définitivement ses relations énergétiques avec la Russie. Non seulement dans le secteur de l'électricité, mais aussi dans celui du gaz, notamment en retirant Gazprom de la structure de propriété de sa plus grande compagnie gazière, Moldovagaz (dans laquelle Gazprom détient encore 51 % des parts). L'UE et ses voisins de l'Est devraient faire de l'amélioration de l'efficacité énergétique l'un de leurs objectifs stratégiques communs. La Moldavie et l'Ukraine devraient utiliser les fonds mis à disposition par la BEI et la BERD pour mettre en œuvre des mesures visant à améliorer l'efficacité énergétique. Elles devraient notamment exploiter et élargir les possibilités de projets dans le cadre du Partenariat pour l'efficacité énergétique et l'environnement en Europe de l'Est. Ils devraient également renforcer la coopération bilatérale avec certains États membres de l'UE qui se sont déclarés prêts à partager leur expérience dans ce domaine. Au niveau bilatéral, la France, l'Allemagne, la Pologne et la Suède mettent en œuvre ou prévoient une coopération avec leurs voisins de l'Est afin d'améliorer l'efficacité énergétique.
Respecter les réglementations de la Communauté de l'énergieL’Ukraine et la Moldavie devraient continuer à mettre en œuvre des réformes dans le secteur de l'énergie. En particulier celles découlant de leur appartenance à la Communauté de l'énergie ou liées au processus de renforcement de leur intégration avec l'UE. À la suite de la fin de la guerre en Ukraine, il sera important que les deux pays prennent des mesures contre la monopolisation des marchés. Tout d’abord, en libérant pleinement les marchés de l'électricité et du gaz, en garantissant des normes de gouvernance appropriées à l'OCDE pour les entreprises énergétiques publiques. Mais aussi, en progressant davantage dans les réformes tarifaires et la fourniture de subventions, en éliminant progressivement les obligations de service public et en les remplaçant par un soutien social aux consommateurs d'énergie vulnérables. Ces mesures serviront à approfondir l'intégration de la Moldavie et de l'Ukraine avec l'UE et, par conséquent, contribueront à accroître la résilience de leurs systèmes énergétiques.
Rendre l'infrastructure flexibleLa Moldavie et l'Ukraine doivent se préparer à l'évolution des conditions géopolitiques en adaptant l'utilisation de leurs infrastructures de transport. C'est particulièrement crucial pour l'Ukraine, qui a longtemps servi de pays de transit pour les importations de gaz et de pétrole des pays de l'UE en provenance de Russie. Avec l'expiration des accords de transit entre la Russie et l'Ukraine en décembre 2024, l'Ukraine doit trouver de nouvelles utilisations pour son vaste réseau de gazoducs. Ce réseau pourrait être exploité pour exporter le gaz excédentaire de l'Ukraine ou pour transiter du gaz en provenance d'autres sources. Par exemple, le gaz azerbaïdjanais acheminé par le gazoduc transbalkanique pourrait passer par la Moldavie et l'Ukraine vers la Slovaquie ou d'autres pays de l'UE. Avant la guerre, le gouvernement ukrainien envisageait déjà d'utiliser ce réseau pour transporter du gaz importé via un éventuel terminal GNL sur la côte ukrainienne de la mer Noire. De plus, l'Ukraine et la Moldavie doivent moderniser et étendre leurs réseaux électriques. En Ukraine, cela est essentiel en raison des dommages continus causés par l'agression russe. Cependant, la Moldavie nécessite également des investissements dans son réseau, surtout si elle veut exploiter pleinement son potentiel en matière d'énergies renouvelables à l'avenir. En effet, l'expansion du secteur des énergies renouvelables nécessite un réseau suffisamment développé pour intégrer efficacement l'électricité produite par les installations éoliennes ou solaires dans le système. Utiliser les formats de coopération internationale
Étant donné la diversité des formes de coopération impliquant les pays du voisinage oriental, il est crucial de créer des alliances entre eux. En plus des modèles déjà existants dans leurs relations avec l'UE, Kiev et Chisinau devraient explorer d'autres formats de coopération suprarégionaux qui ont émergé en Europe centrale et orientale au cours de la dernière décennie. Certains de ces formats mettent un fort accent sur le renforcement de la souveraineté, comme l'Initiative des Trois Mers. Lancée en 2015 par les présidents polonais et croate, cette initiative rassemble 13 pays d'Europe centrale dans le but stratégique de préserver et de renforcer l'unité de l'UE et de l'espace euro-atlantique à travers trois piliers : le transport, l'énergie et le numérique. La Pologne et la Roumanie ont déjà exprimé leur intérêt et leur volonté politique de coopérer avec des pays comme la Moldavie et l'Ukraine dans le cadre de cette initiative. À cette fin, l'Ukraine et la Moldavie pourraient également s'engager avec la Communauté politique européenne, qui regroupe 47 pays européens, y compris des non-membres de l'UE tels que le Royaume-Uni et la Turquie.
Dans cette dynamique géopolitique, marquée par l'agression de la Russie contre l'Ukraine, l'UE doit non seulement persévérer dans le processus d'intégration européenne de la Moldavie et de l'Ukraine de manière cohérente. Elle doit également renforcer ses propres capacités à contrer les tentatives de déstabilisation de la Russie à l'égard de ces voisins de l'Est. Seule l'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie à l'UE peut fournir une base durable pour renforcer la coopération et exploiter pleinement le potentiel de toutes les parties en vue de renforcer la souveraineté énergétique. L'UE doit donc faire preuve de détermination à respecter cet engagement politique envers la Moldavie et l'Ukraine. Elle devrait utiliser tous les formats multilatéraux disponibles pour renforcer la coopération politique et économique, y compris dans le domaine énergétique, avec ses voisins de l'Est. Chaque État membre devrait également chercher à renforcer sa coopération bilatérale avec ses voisins de l'Est. La Pologne peut jouer un rôle particulièrement crucial à cet égard. En effet, étant le plus grand voisin de l'Ukraine et exprimant un désir actif de participer à la reconstruction de l'Ukraine, ainsi qu'un engagement soutenu en faveur de la réforme de la Moldavie. Le nouveau gouvernement pro-européen formé en décembre 2023 pourrait également s'efforcer d'établir une coalition pour la coopération énergétique avec ses voisins de l'Est. Par exemple, en collaboration avec des partenaires clés tels que l'Allemagne, voire plus largement avec l'Allemagne et la France, dans le cadre du Triangle de Weimar récemment réactivé.
Lancer des projets énergétiques communsIl est essentiel que l'UE prévoie d'autres projets énergétiques communs avec ses voisins de l'Est. Le fait que la liste des projets d'intérêt commun et mutuel publiée par l'UE en novembre 2023 ne comprenne pas d'autres projets concernant l'amélioration des liens d'infrastructure entre l'UE, l'Ukraine et la Moldavie constitue une lacune significative, notamment dans le secteur de l'électricité. La mise en œuvre de ces projets sera cruciale pour favoriser le commerce de l'électricité entre l'UE et les pays voisins, ce qui pourrait renforcer la souveraineté énergétique de l'UE et de ses voisins orientaux. Dans le même temps, il est dans l'intérêt de l'UE et de ses États membres que l'intégration progressive, par exemple dans le domaine des marchés de l'électricité, se fasse dans des conditions de concurrence loyale entre les acteurs de l'UE et les entreprises d'Ukraine et de Moldavie. Contribuer à la sécurité de l'approvisionnement énergétique
Il est vrai que le potentiel de matières premières de l'UE est limité, mais certains pays disposent de ressources qui pourraient partiellement répondre aux besoins des pays du voisinage oriental. La Roumanie, dotée de ressources énergétiques parmi les plus importantes d'Europe, pourrait jouer un rôle crucial dans ce contexte. Ses réserves de gaz sur le plateau de la mer Noire sont estimées entre 80 et 200 milliards de mètres cubes. Elles permettent ainsi de satisfaire ses propres besoins pendant une vingtaine d'années, voire de servir d'alternative à l'approvisionnement russe pour d'autres pays de la région, comme la Moldavie, à moyen terme. En matière de production d'électricité, la Roumanie dispose d'un ensemble énergétique varié et d'un réseau d'interconnexions bien développé avec les pays voisins, permettant des échanges bidirectionnels. Du fait de sa position géographique, la Roumanie pourrait également agir en tant que pays de transit pour le transport de ressources énergétiques, tel que le gaz via le gazoduc transbalkanique, ou d'électricité en provenance de pays tiers. Il est effectivement crucial que les États membres de l'UE apportent leur soutien à l'Ukraine pour diversifier ses sources d'approvisionnement en combustible nucléaire. Ceux qui ont déjà intégré l'énergie nucléaire dans leur palette énergétique, comme la Bulgarie, la France, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède, peuvent offrir une assistance logistique pour le transport du combustible nucléaire provenant de sources alternatives. Ils peuvent également devenir des partenaires clés pour renforcer la coopération dans le domaine nucléaire une fois que la guerre aura pris fin. L'alliance nucléaire émergente au sein de l'UE, dirigée informellement par la France, pourrait jouer un rôle précieux à cet égard en soutenant des partenariats avec l'Ukraine pour la mise en œuvre de projets nucléaires communs.
Améliorer l'efficacité énergétique des voisins de l'EstDans sa stratégie de politique énergétique extérieure, l'UE met l'accent sur la nécessité de promouvoir les économies d'énergie et l'efficacité énergétique à l'échelle mondiale. Dans cette optique, elle devrait apporter un soutien aux pays voisins pour les aider à améliorer leur efficacité énergétique. Il est suggéré, notamment par les participants au projet Green Deal Ukraine, que l'UE et ses États membres collaborent étroitement avec leurs voisins de l'Est. De ce fait, ils pourraient élaborer des normes solides en matière d'efficacité énergétique et de matériaux de construction, applicables aussi bien aux nouveaux bâtiments qu'aux rénovations. Ces normes devraient englober l'ensemble du processus de construction, y compris le contrôle de l'efficacité énergétique des composants, afin de s'aligner sur les réglementations européennes en constante évolution dans ce domaine. Cela permettrait de promouvoir des pratiques durables et de contribuer à des objectifs de décarbonisation à long terme.
Augmenter les investissements dans la regionL'énergie devrait devenir l'un des principaux domaines de coopération pour renforcer la souveraineté de la Moldavie et de l'Ukraine, et ainsi accroître leur résistance aux actions agressives et déstabilisatrices de la Russie. Bien que l'UE ait jusqu'à présent fourni une aide financière importante à l'Ukraine et à la Moldavie, à la fois directement et en coopération avec les institutions financières européennes, l'ampleur des besoins, en particulier en Ukraine, exige des efforts supplémentaires dans ce domaine. L'investissement, qu'il soit réalisé directement par l'UE ou par des entreprises des pays membres de l'UE dans le secteur des énergies renouvelables en Ukraine, dans le corridor de l'hydrogène ou dans l'infrastructure gazière de l'Ukraine, pourrait renforcer la souveraineté énergétique de l'UE. Cela garantirait un approvisionnement sûr en électricité ou en gaz propres, dont les pays de l'UE continueront à avoir besoin au moins au cours de la prochaine décennie. À cette fin, l'UE devrait exploiter et fournir un soutien organisationnel et spécialisé aux nouveaux outils créés récemment, tels que AidEnergy. Cette plateforme électronique, établie en mars 2023, est un partenariat entre la BERD, d'autres donateurs et institutions financières internationales, ainsi que le ministère ukrainien de l'énergie. Cette plateforme a pour objectif non seulement d'identifier les besoins actuels du secteur énergétique ukrainien, mais aussi les besoins à plus long terme. Compte tenu des besoins d'investissement à long terme du secteur énergétique ukrainien, l'UE pourrait également apporter son soutien par le biais de garanties financières pour les projets les plus stratégiques. Parallèlement, les États membres et les institutions de l'UE devraient intensifier leurs efforts pour confisquer les avoirs russes gelés, qui pourraient être utilisés pour la reconstruction de l'Ukraine, y compris les investissements dans le secteur de l'énergie. La loi adoptée par l'UE en février 2024 pour mettre de côté les bénéfices exceptionnels réalisés sur les avoirs gelés de la banque centrale russe constitue un pas dans la bonne direction à cet égard.
[1] Argus Eurasia Energy, weekly report, by subscription, 23 February 2023. [2] Ibid. [3] Ibid. [4] Argus Eurasia Energy, weekly report, by subscription, 22 January 2024. Cet article politique a été publiée pour la première fois le 11 mars par le Conseil européen des relations étrangères (ECFR).
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Szymon Kardaś est chercheur principal en politique énergétique au sein du programme European Power, basé au bureau de Varsovie du Conseil européen des relations étrangères. Son analyse se concentre sur la géopolitique du nouvel environnement énergétique européen.
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