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Diplomacy

A quel point la désignation de Cuba comme État terroriste affecte-t-elle l’intérêt national des États-Unis ?

LA HAVANE - 20 MARS 2016 - Un local enthousiaste inconnu réagit à la visite du président Obama à Cuba en accrochant des drapeaux cubains et américains sur son balcon.

Image Source : Shutterstock

by Guillermo Suarez

First Published in: Sep.16,2024

Sep.16, 2024

Imaginons pour un moment qu’un jour, aux heures du soir, une personne fâchée (même perturbé) arrêterait sa voiture devant l’ambassade américaine la moins protégée et la plus sure du monde, celle de Malecón (La Havane), et ouvrerait le feu sur le bâtiment jusqu’à ce que son fusil automatique soit a court de munitions.

 

Continuons et imaginons que les autorités cubaine, parcimonieuses et arrogantes, aient capturés l’agresseur et que quatre années se soient passées sans un mot de ce  qu’il s’est passé. Et un jour, le journal le Granma annonce que le terroriste a été acquitté pour cause de supposé folie durant les actes et qu’il leur aura fallu quatre longues années pour le déterminer. Est-ce que quelqu’un pourrait prédire ce que la réaction[1] des Etats-Unis serait?

 

Evidemment, cette histoire est fictive ; cela ne coïncide pas avec la réalité. Ce qui est contradictoire – et même risible – c’est que les Etats-Unis liste Cuba [2] comme un « état promoteur de terrorisme », pour la deuxième fois, à compter de janvier 2020. À l'heure actuelle, c'est le premier et le plus important obstacle qui empêche nos pays d'envisager un retour sur la voie d'une relation respectueuse.

 

Les organisations et les responsables politiques associés au secteur le plus conservateur des États-Unis ont joué un rôle important dans les approches les plus persistantes à l'égard de Cuba et ont promu pendant des années une nouvelle relation entre les deux pays, qui contraste avec l'agressivité habituelle et la position publique intransigeante du parti républicain depuis 1959.

 

Ce qui se rapproche le plus d’une levée de l'interdiction de vente de nourriture et de médicaments à Cuba [3] s'est produite en 2000, mise en œuvre par le républicain George W. Bush, alors qu'en même temps, son administration ramenait l'idéologie platiste de l'intervention, et qu'elle avait même choisi un pro-consul pour superviser « la transition cubaine », une fois que le gouvernement révolutionnaire se serait effondré : Caleb McCarry [4]

 

Quelques années plus tard, on verra McCarry lui-même, membre de l'équipe de Robert Corker, alors président de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, promouvoir le dialogue avec le gouvernement cubain lors d'une visite [5] chez les principaux ennemis supposés des Etats-Unis dans la région, Cuba, le Nicaragua [6] et le Venezuela, rencontrer le ministre des affaires étrangères et le président cubains, et rejoindre ainsi ceux qui, dans le secteur conservateur, misent sur une relation plus constructive avec Cuba.

 

Dans un discours prononcé en 2011, le sénateur cubano-américain de Floride, Marco Rubio [7], a désigné avec émotion Carlos Gutiérrez, à l'époque secrétaire au commerce des États-Unis [8], également de l'administration Bush, comme l'une des références vers lesquelles le soi-disant exilé cubain devrait se tourner pour corroborer son indéniable succès.

 

Quelques mois après l'ouverture lancée par les présidents Barack Obama et Raúl Castro en décembre 2014, ce serait Carlos Gutiérrez lui-même [9] qui marcherait librement dans les couloirs de l'emblématique Hôtel Nacional de Cuba et rejoindrait les conservateurs qui misent sur une transformation des relations avec l'île.

 

Dans ce qu'il décrit lui-même comme un changement radical de posture, cette nouvelle attitude de Gutiérrez l'amènera à se rendre à Cuba à de nombreuses reprises jusqu'à ce qu'il dirige le US-Cuba Business Council [10], une organisation qui, en tant que partie de la Chambre de commerce des États-Unis, promeut les relations économiques entre les deux pays. « J'ai perdu beaucoup de mes amis à Miami », déclarera-t-il des années plus tard au média alternatif Belly of the Beast.

 

L'activisme de Sonny Perdue [11], gouverneur de Géorgie (2003-2011), qui, en juin 2010, conduisait une délégation de 43 hommes d'affaires à Cuba et qui, six ans plus tard, deviendrait secrétaire à l'Agriculture de l'administration Trump, est tout aussi remarquable. « Nous aimerions avoir Cuba comme client » déclarera Perdue lors de sa nomination [12], attestant ainsi de son soutien à l'autorisation des exportations américaines vers Cuba.

 

L'absence de «  mérites “ pour la désignation de Cuba comme État soutenant le terrorisme, cyniquement coordonnée avec le gouvernement colombien de droite de l'époque et vigoureusement rejetée par celui en place [13], confirme son caractère politique et de sanction puisque la mesure sert de composante efficace du paquet de sanctions que les États-Unis appellent la « politique de pression maximale à l'égard de Cuba ».

 

Les dommages qu'une telle désignation cause à la crédibilité et à l'intérêt national des États-Unis et à la population de l'île, qu'ils prétendent soutenir, sont profonds et durables[14]. Ses effets commencent à Washington mais ne s'arrêtent pas là ; ils se manifestent par le refus de différentes entités d'établir des relations économiques et financières de quelque nature que ce soit avec Cuba, certaines d'entre elles étant même situées sur le territoire d'alliés de La Havane.

 

Le surnom fallacieux de « terroriste », partie intégrante de la politique de sanctions intensifiée, est en partie responsable de la vague de migration actuelle [15] effectuée par une partie de Cubains désespérés.  Avec les autres nationalités présentes sur place, cela complique le fonctionnement de la frontière sud des États-Unis, une question qui est devenue une question de vie ou de mort pour les dirigeants républicains et, selon de récents sondages [16], le principal intérêt de l'électorat américain pour les élections présidentielles de 2024.

 

L'un des champions républicains contre les migrations clandestines a été l'actuel gouverneur du Texas, Gregg Abbott, qui, par sa politique, a même remis en question les principes fondateurs de l'union fédérale américaine et a suscité des problèmes avec le Mexique voisin. Cependant, Abbott a été un de ceux qui se sont présentés à La Havane en 2016 [17] pour témoigner de son intérêt pour une meilleure relation.

 

Dénué de tout a priori politique, Abbott a parlé à La Havane de l'inévitabilité de la fin de « l'embargo », de l'importance qu'un changement de politique aurait pour le Texas en général et pour le port sud de Houston en particulier[18]. Il n'a pas parlé de migration car la migration cubaine n'était pas un problème pour le Texas à l'époque.

 

D'autres politiciens conservateurs se baladaient à La Havane en tenant un discours de cohabitation : Richard Lugar, [19] Jeff Flake, [20] Tom Emmer, [21] John Boehner, et même les conseillers économiques de la Trump Organization [22] qui, soit dit en passant, semble maintenir en vie l'une de ses entreprises commerciales dans le registre de la propriété cubaine[23].

 

Les visites du lobby américain de l'agrobusiness[24] ont également été constantes au fil des ans, avec à leur tête de nombreux cadres et hommes d'affaires d'affinité résolument républicaine. A l'heure actuelle, on peut dire que parmi ces derniers se trouvent même des défenseurs de la tendance MAGA, tous intéressés par une amélioration des liens économiques avec Cuba.

 

Peu de médias ont objectivement rapporté l'impact de la présence de Cuba sur la liste des pays critiqués et le bilan humain de la politique de pression absolue sur la population cubaine. L'un d'entre eux est la célèbre émission conservatrice « Full Measure», animée par la présentatrice américaine Sharyll Atkisson.

 

À l'heure où les États-Unis se retrouvent en concurrence agressive avec d'autres grandes puissances mondiales, la position anti-cubaine affecte considérablement l'intérêt national des États-Unis, compte tenu du fait que plus les États-Unis sont belligérants, plus les Cubains doivent s'ouvrir financièrement et économiquement à d'autres partenaires, qui ne sont pas toujours du goût de Washington.

 

L'évidence des dégâts causés à l'économie cubaine par la combinaison désastreuse des mesures de Trump avec la pandémie de Covid-19, a fait que le président Joe Biden ait préféré, au moins dans ses quatre premières années de mandat, de maintenir l'agenda républicain de pression totale envers Cuba et d'attendre de voir si, par un acte de la Providence, il pourrait être le premier président américain de l'ère moderne à mettre les pieds à La Havane, sans la présence d'un gouvernement révolutionnaire en place.

 

Le spécialiste des questions cubaines William LeoGrande ne lui donne pas beaucoup d'espoir. Dans un article récent [25], il décrit l'économie cubaine comme affamée, mais le gouvernement cubain comme solide et loin d'une rupture ou d'un effondrement inattendu, ce qui contredit le discours optimiste [26] du sous-secrétaire d'Etat pour l'hémisphère occidental Brian Nichols, à Madrid.

 

LeoGrande précise que Cuba n'était pas un État en faillite lorsque M. Biden a assuré qu'il l'était en 2021 et qu'il ne l'est pas non plus aujourd'hui, que malgré toutes les difficultés économiques et l'intensification sans précédent de l'« embargo », le gouvernement reste uni et inébranlable. « Avec une élite dirigeante cohérente, une armée loyale et aucune opposition organisée et efficace, il n'y a pas d'évolution plausible vers une transition soudaine du régime à Cuba dans un avenir prévisible », affirme-t-il.

 

L'arrivée éventuelle en 2024 d'une administration plus conservatrice à la Maison Blanche, dirigée par Trump lui-même, et l'incorporation possible du sénateur Marco Rubio à cette administration, les feront certainement parier sur la prolongation des pertes économiques que les États-Unis tolèrent en raison de leur relation limitée avec Cuba. Elle continuera à restreindre les droits de voyage des Américains et à interférer comme un Big Brother avec les intérêts commerciaux de ses citoyens, tout cela pour se conformer - une fois pour toutes - au Mémorandum Mallory [27] d'avril 1960.

 

La pression la plus forte pour un changement de régime à Cuba vient précisément de l'État le plus proche, la Floride, qui, paradoxalement, bénéficierait le plus [28] d'un traitement plus fonctionnel de La Havane. Avec une liste de politiciens menés par le gouverneur Ron DeSantis, les sénateurs Rick Scott et Marco Rubio, qui ont agi par intérêt électoral, sans se rendre compte qu'une relation pragmatique avec l'île est dans le meilleur intérêt de l'Union et aussi de ses électeurs [29].

 

Bien que certains blâment le gouvernement cubain pour la vague de migration actuelle vers les États-Unis, il y a un fait réel qui ne peut être ignoré. En 2014, alors que le président Barack Obama déployait sa nouvelle politique de rapprochement avec Cuba, l'île était florissante, les Cubains étaient pleins d'espoir quant aux changements qui s'y produisaient, et les niveaux de migration vers les États-Unis pouvaient être considérés comme optimaux.

 

Le contrôle de l'immigration clandestine à la frontière sud des États-Unis et du Mexique restera une priorité du parti républicain. La situation serait bien meilleure si les conservateurs encourageaient la normalisation des relations avec Cuba, redonnaient à ses citoyens le droit constitutionnel de voyager où ils veulent et permettaient à leurs hommes d'affaires de gagner de l'argent sur l'île, ce dont elle a tant besoin.

 

On a conclu que dans le cas des pays d'Amérique centrale, la solution à la migration réside dans l'augmentation des investissements américains [30] sur place, ce qui ouvrira de plus grandes possibilités d'emploi et donnera aux gens l'espoir de pouvoir progresser sans avoir à émigrer. Alors, peut-on vraiment s'attendre à ce que la pression continue sur Cuba permette de contrôler l'exode à travers la frontière méridionale ?

 

Il serait plus intelligent de donner le feu vert aux entreprises américaines pour qu'elles profitent des opportunités du portefeuille d'investissements et fassent concurrence aux chaînes hôtelières européennes à Cuba, de faciliter les procédures financières des nouveaux hommes d'affaires cubains afin qu'ils puissent se frayer un chemin face à la nouvelle ouverture du gouvernement cubain et même, selon le principe hermétique de la sécurité nationale des États-Unis, d'empêcher d'autres de le faire. 

 

Il ne fait aucun doute que Cuba devra être respectée en tant que pays indépendant et souverain. Sachant qu'il ne s'agit pas d'un État libre affilié, bien au-delà des prétentions stratégiques et hégémoniques historiques de l'empire américain à l'égard de l'île.

 

L'établissement d'une relation constructive de coexistence avec l'île de Cuba, même avec un gouvernement qui ne plaît pas à Washington, serait d'une grande importance pour la stabilité de la partie méridionale des États-Unis. La loi et l'ordre, un précepte également défendu par les conservateurs américains au fil des années, l'emporterait haut la main, comme le prouve la collaboration antidrogue efficace [31] entre les deux pays que les États-Unis reconnaissent dans leur dernier rapport annuel [32] sur le sujet, malgré un scénario qui brouille tous les contacts.

 

J'ai tendance à croire que des relations sont possibles si l'on y met la dose nécessaire de sérieux et de pragmatisme. Un exemple peu connu est celui de la coordination fréquente entre les autorités des deux côtés [33] du territoire occupé par la base navale de Guantanamo, l'enclave militaire résultant de l'archaïque amendement Platt, que le gouvernement cubain dénonce depuis des années comme illégal et inadmissible.

 

L'inscription politisée et injustifiée de Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme, émise unilatéralement par le Département d'Etat, est là pour empêcher tout épanouissement. Corriger cette erreur serait le premier de tous les pas.

 

References 

[1] https://cubaminrex.cu/es/estados-unidos-continua-protegiendo-terroristas-declaracion-del-ministerio-de-relaciones-exteriores

[2] https://www.state.gov/state-sponsors-of-terrorism/

[3] https://ofac.treasury.gov/ofac-license-application-page/trade-sanctions-reform-and-export-enhancement-act-of-2000-tsra-program/trade-sanctions-reform-and-export-enhancement-act-of-2000-tsra-program-information

[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Caleb_McCarry

[5] https://misiones.cubaminrex.cu/es/articulo/recibio-diaz-canel-robert-corker-presidente-del-comite-de-relaciones-exteriores-del-0

[6] https://www.diariolasamericas.com/america-latina/emisario-del-senado-eeuu-ofrece-ortega-apoyar-dialogo-nicaragua-n4153170

[7] https://www.washingtonpost.com/politics/marco-rubios-compelling-family-story-embellishes-facts-documents-show/2011/10/20/gIQAaVHD1L_story.html

[8] https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/government/gutierrez-bio.html

[9] https://www.americateve.com/cuba/carlos-gutierrez-narra-su-conversion-the-new-york-times-n867115

[10] https://www.albrightstonebridge.com/news/asg-chair-carlos-gutierrez-elected-chair-us-cuba-business-council

[11] https://www.nga.org/governor/sonny-perdue/

[12] https://cubatrade.org/blog/2017/3/24/former-georgia-governor-sonny-perdue-at-confirmation-hearing-supports-exports-to-cuba

[13] https://elpais.com/america-colombia/2023-06-13/colombia-reivindica-el-papel-de-cuba-en-las-negociaciones-de-paz-con-el-eln.html

[14] https://www.wola.org/es/analisis/costo-humano-inclusion-cuba-lista-estados-patrocinadores-terrorismo/

[15] https://www.wola.org/analysis/developments-cuban-migration-2023/

[16] https://news.gallup.com/poll/611135/immigration-surges-top-important-problem-list.aspx

[17] https://www.cbsnews.com/news/greg-abbott-defends-texas-border-policies-60-minutes/

[18] https://www.zedmariel.com/en/node/299/printable/print

[19] https://www.elcato.org/sen-lugar-levantemos-el-embargo-contra-cuba

[20] https://www.reuters.com/article/idUSKCN1J031S/

[21] https://carlsonschool.umn.edu/media/11891

[22] https://www.bloomberg.com/features/2016-donald-trump-golf-cuba/

[23] https://www.miamiherald.com/news/local/news-columns-blogs/fabiola-santiago/article245911205.html

[24] https://www.democracyinamericas.org/interviews/us-cuba-agricultural-relations-paul-johnson

[25] https://foreignpolicy.com/2024/04/29/cuba-economic-crisis-washington-protests-sanctions/

[26] https://oncubanews.com/cuba-ee-uu/eeuu-dice-que-cuba-esta-en-un-momento-clave-y-el-minrex-responde-lo-admiten-con-total-desparpajo/

[27] https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1958-60v06/d499

[28] https://www.elnuevoherald.com/noticias/america-latina/cuba-es/article285426632.html

[29] https://www.elnuevoherald.com/noticias/america-latina/cuba-es/article285426632.html

[30] https://www.vozdeamerica.com/a/eeuu-anuncia-nueva-millonaria-inversion-privada-en-centroamerica-para-frenar-las-migraciones/7541506.html

[31] https://www.youtube.com/watch?v=HAD2ZZDmZ00

[32] https://www.state.gov/2022-international-narcotics-control-strategy-report-2/

[33] https://oncubanews.com/cuba-ee-uu/eeuu-y-cuba-contra-incendio-en-base-de-guantanamo/


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Guillermo Suarez

 

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