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Diplomacy

Confédération des États du Sahel et désintégration de la CEDEAO

Passeport de la CEDEAO dans la main africaine, Africain détenant deux passeports verts nigérians avec carte en arrière-plan

Image Source : Shutterstock

by Tatyana Denisova , Sergey Kostelyanets

First Published in: Sep.18,2024

Nov.18, 2024

Le 6 juillet 2024, les chefs militaires du Mali (Assimi Goïta), du Niger (Abdourahamane Tchiani) et du Burkina Faso (Ibrahim Traoré) ont signé un traité fondant ainsi la Confédération des États du Sahel ou, plus précisément, la Confédération de l'Alliance des États du Sahel, dont l'acronyme est AES (Alliance des États du Sahel). Le document a été signé à Niamey, au Niger, lors du sommet de l'Alliance des États du Sahel, un pacte militaire formé par les mêmes pays le 17 septembre 2023. La création de la Confédération indique la détermination des gouvernements des trois pays du Sahel, arrivés au pouvoir par une série de coups d'État militaires en 2020-2023, à tracer une voie commune en termes de développement politique et économique. L'AES a été annoncée après que le Burkina Faso, le Mali et le Niger se soient retirés en janvier 2024 de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), un bloc régional qui a exhorté les dirigeants du trio à rétablir un régime civil dans leurs pays.

 

 

Lors de l'ouverture du sommet de Niamey, le chef militaire nigérien a entre autres déclaré que son « peuple a définitivement tourné le dos à la CEDEAO » et que la nouvelle alliance serait une communauté à l'abri de « l'emprise des puissances étrangères ». En parallèle, les trois dirigeants ont confirmé leur engagement au bon respect des principes et objectifs des Nations unies et de l'Union africaine. Ils ont affirmé qu'en formant la Confédération, les trois pays renforceraient leur souveraineté et lutteraient plus efficacement contre le terrorisme et l'influence occidentale extérieure. La charte de l'AES stipule que « toute violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale d'une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et donnera lieu à un devoir d'assistance et de secours de la part de toutes les parties, individuellement ou collectivement, y compris le recours à la force armée ».

 

 

De l'alliance à la confédération

 

 

Le premier pas vers l'intégration politique et économique des trois pays a été la création, le 17 septembre 2023, de l'Alliance des États du Sahel, qui regroupe au total plus de 72 millions de personnes et vise principalement à construire une architecture trilatérale de défense collective. La décision de créer l'Alliance a été prise à l'issue de négociations menées à Ouagadougou au début du mois de septembre 2023 entre les représentants des trois nations et une délégation du ministère russe de la Défense, dirigée par le vice-ministre de la Défense Yunus-Bek Evkourov. En d'autres termes, la Russie a joué un rôle dans la création de l'AES, assumant ainsi certaines obligations pour soutenir les efforts antiterroristes de l'Alliance.

 

 

La perspective d'une intégration plus poussée du Mali, Niger et Burkina Faso a été évoquée pour la première fois à la fin de l'année 2023, et la Confédération des États du Sahel a été créée au début du mois de juillet 2024, après une seconde visite de Evkourov au Sahel (Mali et Niger). Le sommet d’inauguration a abordé, outre la coopération sécuritaire et militaire, la poursuite de la coopération trilatérale dans la sphère socio-économique. Cela suggère que le champ d'activité de l'AES inclura probablement la construction de nouvelles installations industrielles et l'expansion des liens dans des domaines tels que l'énergie, la finance, les soins de santé, l'éducation, l'agriculture et la gestion des ressources naturelles, ainsi que l'exploitation minière, les transports, la lutte contre la cybercriminalité, le développement des TIC, les sports et l'emploi.

 

 

Les dirigeants de l'AES ont décidé de créer une banque d'investissement et un fonds de stabilisation, qui ne fonctionneront toutefois que s'ils obtiennent un financement suffisant. En outre, les pays ont convenu de mettre en commun leurs ressources dans le but de construire des infrastructures de transport et de communication à grande échelle, faciliter le commerce et la libre circulation des biens et des personnes, et investir dans divers secteurs de l'économie. Un exemple qui démontre la faisabilité de ces plans est l'accord du Niger de vendre 150 millions de litres de diesel au Mali à près de la moitié du prix courant, afin de soutenir une nation qui souffre de pénuries d'électricité persistantes.

 

 

Les trois dirigeants ont également réaffirmé la décision prise à l'issue de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Alliance, le 17 mai 2024, de coordonner les actions diplomatiques et de formuler des approches communes dans les relations avec les partenaires extérieurs, même si la lutte contre le terrorisme semble devoir rester la principale priorité de la Confédération.

 

 

Le trio a, à maintes reprises, souligné les principales raisons de ses actions collectives : l'incapacité de l'UA et de la CEDEAO à fournir un soutien adéquat dans la lutte contre les djihadistes ; les « sanctions illégales » qui nuisent aux populations du Burkina Faso, du Mali et du Niger ; et le manque de volonté et/ou l'incapacité de la CEDEAO à s'affranchir de l'influence de l'Occident. En d'autres termes, cette intégration est motivée non seulement par un désir de sécurité collective, mais aussi par un rejet de l'ancien colonisateur, la France (avec laquelle le trio a rompu tout lien de défense), et, plus largement, de l’ensemble de l'Occident, qui a clairement sous-estimé la frustration du Sahel face à des années d'interventions militaires inefficaces. En conséquence, les contingents militaires français et la plupart des troupes américaines se sont retirés des trois pays, laissant alors place aux forces russes.

 

 

Ainsi, la Confédération a déclaré comme objectif premier de se soutenir mutuellement dans la lutte contre le terrorisme (le Sahel représente 43 % des décès liés au terrorisme dans le monde). Le sommet de Niamey a été l'occasion d’inciter à mettre fin à ce fléau. Le dirigeant du Burkina Faso, en particulier, s'est adressé aux participants du forum en ces termes : « Dans nos veines coule le sang de ces valeureux guerriers qui ont combattu et gagné pour nous cette terre que nous appelons Mali, Burkina et Niger. Dans nos veines coule le sang de ces valeureux guerriers qui ont aidé le monde entier à se débarrasser du nazisme et de bien d'autres fléaux. Dans nos veines coule le sang de ces valeureux guerriers qui ont été déportés d'Afrique vers l'Europe, l'Amérique, l'Asie... et qui esclaves ont aidé à bâtir ces pays. Dans nos veines coule le sang d’hommes dignes, d’hommes robustes, d’hommes qui se sont tenus debout... » Cela soulève toutefois une question : les armées de ces trois pays, qui avaient auparavant rencontré des difficultés à lutter contre le « mal islamiste », deviendront-elles beaucoup plus fortes si elles s'unissent ?

 

 

Après tout, bien que des militaires de nombreuses nations africaines, sans compter ceux de nations européennes, aient joué un rôle dans le conflit au Mali, le problème du terrorisme a persisté. Dans certaines régions des trois pays, les islamistes remplacent « avec succès » les autorités publiques et recrutent de nouveaux membres au sein de la population locale, et ces procédés n'ont pas cessé après la création de l'Alliance, ni après celle de la Confédération. Des attaques contre les civils et divers établissements persistent - au premier semestre 2024, le nombre de victimes causé  par la violence islamiste dans les trois pays a dépassé 300, ce qui représente une augmentation significative par rapport à la même période en 2023. L'AES s'est enorgueilli d'avoir chassé les insurgés de la ville malienne de Kidal en novembre 2023. Mais, il est toujours peu clair combien de temps cette victoire du trio va-t-elle durer. 

 

 

Au sein du Sahel, la situation sécuritaire varie d'un pays à l'autre mais reste très complexe dans toute la région. Cela s'explique en partie par le fait que les conflits armés dans les trois pays ont des origines différentes et ne sont pas purement « islamistes ». En réalité, les conflits entre éleveurs et agriculteurs, que tous les gouvernements antérieurs aux trio ont tenté de résoudre sans y parvenir, constituent une menace majeure voire même plus importante pour la stabilité que la confrontation avec les Touaregs. En attendant, cette question n'a même pas été abordée par les militaires, peut-être parce qu'elle est le fruit de problèmes socio-économiques, et qu’il est bien plus complexe de résoudre ces problèmes que des problèmes politiques ou militaires.

 

 

Face à l'instabilité, les régimes resserrent la vis et ont une approche davantage répressive, avec notamment l'arrestation de figures de l'opposition. Bien qu’il puisse être déplacé de se référer aux experts occidentaux dans le contexte actuel, où les bouleversements mondiaux sont multiples, l'histoire montre qu’une augmentation de la répression est une caractéristique commune à tous les régimes illégitimes, et que les gouvernements qui sont arrivés au pouvoir par des coups d'État militaires sont illégitimes par définition.

 

 

Si les chefs militaires ne parviennent pas rapidement à réaliser de grandes avancées en matière de sécurité, réconcilier les éleveurs et les agriculteurs (dont le conflit, exacerbé par les islamistes, ne fait qu’empirer avec le changement climatique au Sahel), fournir des services essentiels aux citoyens et autres, la population ne sera que plus mécontente. Ce qui résultera probablement en d’autres coups d’État militaires, remettant alors en question l'avenir de la Confédération. Bien que les dirigeants du trio semblent actuellement jouir du soutien des citoyens, s’ils n’organisent pas de nouvelles élections dans les prochaines années, un membre de leur propre cercle sera tenté de prendre leur place. D'autant plus que les militaires ont retiré leurs pays de la CEDEAO sans consulter l'opinion publique, qui craint désormais l'instauration potentielle d'un régime de visas entre le trio et les autres pays d'Afrique de l'Ouest.

 

 

Jusqu’à présent, la confédération n'a pas encore fait ses preuves en tant qu'union forte, au point que l'on puisse prédire des résultats positifs ou négatifs quant à son avenir. Certes, divers projets communs se préparent - jusque-là uniquement sur papier -, allant de la sécurité alimentaire et de la gestion des ressources en eau au développement de l'énergie, des transports et des TIC, mais ces plans sont fragiles d’un point de vue financier et leur mise en œuvre reste un lointain objectif. Les trois pays utilisent toujours le franc CFA, la France contrôlant la plupart de leurs avoirs en devises. Les activités du SEA sont apparemment censées être financées par les « cotisations des membres », mais cela a toujours été une pierre d'achoppement majeure. 

 

 

Pour la CEDEAO, par exemple, le paiement des cotisations dans les délais impartis a été un problème insoluble tout au long de ses 50 années d'existence.

 

 

Pour le Mali, le Niger et le Burkina Faso, pays enclavés, le bon fonctionnement des corridors logistiques pour la réception des marchandises en provenance d'autres continents est essentiel. Cela met en évidence la nécessité de former une union douanière et de rétablir des relations « fonctionnelles » avec les États voisins - le Bénin et la Côte d'Ivoire - qui se sont récemment détériorées, notamment en raison des projets de construction de bases militaires américaines dans ces pays.

 

 

Le Sahel est riche en ressources naturelles - uranium, or, minerai de fer, lithium, étain, cuivre, zinc, manganèse, calcaire, phosphates, marbre, sel, gypse et pétrole - mais le trio parviendra-t-il à les extraire seul (bien qu'en commun) à l’échelle commerciale afin d’acquérir une souveraineté économique, et pas seulement politique ? Ou bien tous les espoirs reposent-ils à nouveau sur la Russie, la Chine, la Turquie, l'Iran et d'autres nations non occidentales ? Et dans ce cas, le mot « souveraineté » est-il le juste ? Bien sûr, « dépendre » de la Russie, par exemple, se distinguerait du néocolonialisme tout en garantissant « l'équité » et « l'égalité entre les partenaires », comme en témoignent les échanges récents entre Moscou et le trio.

 

 

Le facteur CEDEAO

 

 

La mission initiale de la CEDEAO, créée en 1975, était de mettre en oeuvre  l'intégration économique des pays d'Afrique de l'Ouest, ce qui impliquait la création de zones de libre-échange, la facilitation de la libre circulation de la main-d'œuvre, des biens et des capitaux à travers les frontières nationales, l'introduction d'une monnaie commune - l'éco - ainsi que l'amélioration et l'expansion des infrastructures régionales telles que les autoroutes, les chemins de fer, les ports maritimes, les aéroports, les gazoducs et les oléoducs, et bien d'autres encore. Des projets énergétiques communs étaient également prévus, ainsi que le développement de systèmes communs de communication, de banque et de douane, entre autres. En 1990, un programme de libéralisation des échanges a été officiellement adopté, qui prévoyait l'élimination progressive des droits de douane. En effet, en 2001, les droits sur les matières premières et les produits semi-finis avaient été supprimés, une nomenclature douanière commune avait été élaborée et la libre circulation de la main-d'œuvre avait été réalisée.

 

 

Cependant, même à cette époque, la participation de certaines nations d’Afrique de l’Ouest au sein d’autres groupements entravait une intégration régionale plus efficace. En 1994, les pays francophones de la région (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo) ainsi que la Guinée-Bissau lusophone ont fondé l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), où un régime d'échanges détaxé est en place depuis 1996, n'excluant que les produits agricoles et les équipements aéronautiques. Les membres de cette union - à l'exception du trio sahélien - ont toujours résisté à une intégration économique plus poussée au sein de la CEDEAO, en grande partie à cause de leur entente avec la France dans tous les domaines de la vie, qui continue de grandement les soutenir sur le plan financier et le plan politico-militaire en tant qu'ancienne puissance coloniale. En outre, les nations qui dominent l'UEMOA - la Côte d'Ivoire et le Sénégal - sont réticentes à voir le Nigeria comme un leader régional. Mais il s'agit là de raisons subjectives expliquant le ralentissement de l'intégration. En parallèle, plusieurs raisons objectives expliquent pourquoi pratiquement aucun projet économique au sein de la CEDEAO n'a été mené à bien.

 

 

La CEDEAO a été fondée afin de remplir le rôle de communauté économique et fonctionnait dans un environnement où la plupart des pays de la région avaient des niveaux de développement économique extrêmement bas, où la structure des produits d'exportation était monoculturelle et largement uniforme, et où les dirigeants des États membres avaient de considérables désaccords politiques. Ces derniers et d’autres facteurs étaient source de division, ce qui signifiait que bien souvent les processus d’intégration étaient plus symboliques qu’utiles et que les zones de libre-échange avaient un impact minime. Les guerres civiles et les conflits politiques - qui ont éclaté à maintes reprises dans les pays - de façon individuelle - ont tout de même eu un effet négatif à la fois sur la sécurité de la région dans son ensemble et sur les processus d'intégration - il était inévitable que la CEDEAO, qui se concentrait alors sur des questions économiques, porte progressivement son attention sur les questions politico-militaires, d'autant plus que l'un des documents fondateurs de la Communauté, le protocole de 1978 sur la non-agression, stipulait que l'intégration économique ne pouvait être réalisée que dans une atmosphère de paix et de compréhension mutuelle entre les États membres.

 

 

La CEDEAO dispose d'une vaste panoplie de sanctions, qu'elle utilise contre ses États membres en cas de « désobéissance ». Au début des années 2020, le bloc régional a appliqué des sanctions extrêmement sévères au Mali et au Niger. Au Niger, par exemple, les prix du riz et du sorgho ont augmenté de plus de 16 %, ceux du blé et du maïs de 12 %, ceux du millet de 6,4 % et ceux de la viande de 5,2 % suite à l’application de ces sanctions. En outre, un accord de 400 millions de dollars pour l'exportation de pétrole brut du Niger vers la Chine via un pipeline reliant le champ d'Agadem au port du Bénin a été retardé et mis en péril. Même après la levée des sanctions par la CEDEAO, le Bénin a choisi de ne pas rouvrir sa frontière terrestre (apparemment sous l'influence de Paris), rendant ainsi les relations entre les deux pays d’autant plus tendues. 

 

 

Afin de tout prendre en considération, il convient de noter que la CEDEAO opte généralement pour des moyens diplomatiques afin de résoudre divers différends, y compris ceux résultant de coups d'État militaires. De ce fait, la mise en application de sanctions contre certains des pays les plus pauvres du continent et leur expulsion de l'organisation étaient des cas extraordinaires. S'il est tentant de voir dans ces actions la preuve des « nobles ». intentions de la Communauté de défendre ses principes quant au sujet de changements illégaux de pouvoir, il est clair qu'il y a eu une influence extérieure dans les cas du Mali et plus tard du Niger (le Burkina Faso n'a pas été sanctionné). La France étant tributaire de l'approvisionnement en uranium, dont le Niger représente 20 % des importations totales, la volonté de l'Elysée de « donner une leçon » aux pays du Sahel est tout à fait « compréhensible ». D'autant que les autorités nigériennes ont retiré à l'été 2024 les licences d'exploitation des gisements d'uranium à la société française Orano et à la société canadienne GoviEx.

 

 

Le protocole de 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance prévoyait la mise en application de sanctions, y compris la suspension des prêts, l'interruption du financement des programmes d'aide et plus encore, si les États membres ne respectaient pas leurs engagements. Cependant, en janvier 2022, après que Bamako a annoncé sa décision de prolonger la période de transition de cinq ans, invoquant l'instabilité politique interne, la CEDEAO a non seulement suspendu l'adhésion du Mali à l'organisation, mais a également imposé des sanctions diplomatiques, économiques et commerciales à l'encontre de ce pays. Celles-ci comprenaient le gel des avoirs du Mali dans les banques centrales des États membres de la Communauté, la fermeture des frontières terrestres et aériennes et l'interdiction d'exporter toutes les marchandises (à l'exception des matériaux pour le contrôle du COVID-19, des produits pétroliers et de l'électricité), ce qui a porté un coup dur à l'économie de ce pays enclavé qui importe 70 % de ses denrées alimentaires et dépend de l'aide humanitaire. Certaines des sanctions n'ont été levées qu'en juillet 2022, un mois après que le gouvernement Goïta a accepté une période de transition de 24 mois.

 

 

Le Niger, qui a été victime d’un coup d'État militaire le 30 juillet 2023, renversant alors le président civil Mohamed Bazoum, a fait l'objet de sanctions en février 2024. Dans le cadre de ces restrictions, les frontières terrestres et aériennes entre le Niger et les autres États membres de la CEDEAO ont été fermées, les comptes des entreprises publiques nigériennes à la Banque centrale de la CEDEAO ont été gelés et l'assistance financière a été suspendue.

 

 

Immédiatement après les événements de juillet, la CEDEAO a lancé un ultimatum, donnant aux putschistes un délai d'une semaine pour rétablir le président Bazoum et menaçant de recourir à la force. Cependant, l'intervention militaire ne s'est jamais matérialisée, bien que la Force en Attente de la CEDEAO ait été mobilisée en vue d'un déploiement potentiel au Niger. Le fait même que la CEDEAO puisse proférer une telle menace à l'encontre de l'un de ses membres a sans aucun doute alarmé les dirigeants des trois pays (et d'autres), qui sont étroitement liés de diverses manières. En conséquence, leur confiance dans le bloc a été ébranlée, ce qui les a conduits à prendre d'autres mesures - quitter l'association et former de nouvelles alliances. Ils estiment également que la CEDEAO non seulement ne les a pas aidés à lutter contre l'extrémisme islamique, mais qu'elle a au contraire affaibli leurs positions en imposant des sanctions.

 

 

En effet, la CEDEAO, qui dans les années 1990 et 2010 a cherché à diversifier ses liens économiques et ses contacts politiques avec le monde extérieur, a adopté ces dernières années une position pro-occidentale sur de nombreuses questions internationales, ce qui n'est pas surprenant puisque l'orientation de toute organisation est largement façonnée par les points de vue de ses dirigeants et de ses sponsors. Qui sera à la tête de la présidence de la CEDEAO - qui alterne chaque année - n’a que peu d’importance. Le Nigeria a toujours joué le premier rôle au sein de l’organisation et cela sera le cas pendant longtemps, puisqu'il assume près de la moitié des dépenses de la Communauté, y compris la majeure partie du financement de ses opérations visant à maintenir la paix. Comme le dit le proverbe, « c'est celui qui paie les violons qui choisit la musique ». L'actuel président du Nigeria, Bola Tinubu, qui préside également la CEDEAO, a passé près d'une décennie à étudier, travailler et vivre aux États-Unis. Depuis son arrivée au pouvoir en 2023, il est déterminé à cultiver des liens avec l'Occident, principalement avec les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi avec la France. La position du Nigeria et de la CEDEAO à l'égard du trio témoigne de la perpétuelle importance du « rôle de l’individu dans l’histoire » : un pays qui a entretenu des relations amicales avec la Russie pendant des décennies prend aujourd'hui progressivement ses distances avec elle et prend une direction différente quant à sa politique étrangère.

 

 

Pour le meilleur ou pour le pire, après le coup d'État au Niger et une réponse plus sévère de la CEDEAO en ce qui concerne les événements au Mali et au Burkina Faso, les relations entre le trio et la Communauté ont pris fin, Bamako et Ouagadougou exprimant leur volonté de quitter l'organisation. En conséquence, le 28 janvier 2024, malgré la décision de la Communauté de lever les sanctions contre Niamey, les gouvernements du Niger, du Burkina Faso et du Mali ont annoncé leur retrait de la CEDEAO, accentuant ainsi le processus de désintégration régionale. Peu avant, le trio sahélien s'était retiré l'un après l'autre du G5 Sahel - le Mali au printemps 2022, le Burkina Faso et le Niger en novembre 2023 -, entraînant son éclatement (le G5S comprenait également la Mauritanie et le Tchad).

 

 

Après la création de la Confédération, la CEDEAO s'est montrée disposée à négocier le retour éventuel du Burkina Faso, du Mali et du Niger au sein de la Communauté, d'autant plus qu'elle n'avait pas été formellement notifiée de leur départ, alors que la procédure normale exige que les États membres souhaitant quitter le bloc fournissent un préavis d'un an. Les trois pays ont fait leur annonce en janvier 2024, ce qui aurait dû donner à la CEDEAO une chance d'essayer de les convaincre de revenir sur leur décision jusqu'en janvier 2025, mais le trio a ignoré les règles de procédure et a refusé de continuer à remplir ses obligations à l'égard de la CEDEAO.

 

 

Il semble que les dirigeants de la CEDEAO n'aient pas encore compris que le trio se bat non seulement pour sa survie face à la menace islamiste, mais aussi pour une révision des modèles commerciaux et économiques, qui soumettent les nations sous-développées à une exploitation sévère de la part des puissances développées. La République du Niger, par exemple, déplore que, bien qu'elle soit le quatrième producteur mondial d'uranium et qu'elle éclaire un tiers de la France, 80 % de sa population n'ait pas accès à l'électricité. Le Niger a donc dû demander de l'aide au Nigeria, qui a d'ailleurs coupé l'électricité après le coup d'État de juillet 2023.

 

 

En réponse à la création de la Confédération, le chef de l'un des membres de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray, a déclaré que les trois pays risquaient « l'isolement diplomatique et politique », la perte de millions d'euros d'investissements et la possible introduction de l'obligation de visa pour leurs citoyens souhaitant se rendre dans les États membres de la CEDEAO. M. Touray a également mis en garde contre le risque de désintégration de la région, outre les nombreuses menaces pour la paix et la sécurité et les défis économiques, car la CEDEAO, d'une part, et l'AES, d'autre part, s'empêtrent de plus en plus dans le conflit entre les puissances non africaines. Alors que la France et les États-Unis renforcent leurs liens militaires avec certains pays de la CEDEAO (notamment la Côte d'Ivoire), les trois membres de l'AES ont établi des relations militaires avec la Russie après avoir expulsé les troupes occidentales.

 

 

Mais la rupture entre l'AES et la CEDEAO se fait-elle tant ressentir ? Par exemple, le 18 juillet 2024, une délégation du Centre de gestion des ressources en eau de la CEDEAO s'est rendue au Burkina Faso pour marquer le 49e anniversaire de la création du Musée de l'eau. Étant donné que de nombreux pays de la région, y compris des acteurs clés comme le Nigeria, le Ghana, la Côte d'Ivoire et le Sénégal, ont tout à perdre sur le plan économique de relations tendues avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui sont d'importants partenaires commerciaux, il semble que les efforts visant à ramener ces « enfants prodigues » dans le giron de la Communauté se poursuivront jusqu'à ce qu'ils aboutissent à un résultat soit positif, soit négatif.

 

 

Il y a eu des spéculations quant au possible retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de l'UEMOA, qui a également sanctionné ces nations. Toutefois, étant donné que le trio n'a pas encore développé l'infrastructure bancaire et financière nécessaire à un système indépendant et qu'il ne peut pas abandonner rapidement le franc CFA, utilisé par les États membres de l'UEMOA, leur position à l'égard de cette union monétaire reste neutre.

 

 

La création de la Confédération soulève plusieurs questions, notamment concernant l'avenir de la coopération régionale en Afrique de l'Ouest. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ayant décidé de tracer leur propre route, le rôle et les politiques de la CEDEAO sont susceptibles de changer, même si l'on ne sait pas encore très bien dans quelle direction. L'opinion publique africaine craint également que la SEA n'attire dans ses rangs d'autres pays confrontés à des problèmes similaires et déçus par le bloc régional. Par exemple, l'idée de fermer les bases militaires françaises au Sénégal a déjà été évoquée.

 

 

Développer des relations avec la Russie et d'autres pays non occidentaux

 

 

La Russie est devenue un nouvel allié stratégique des pays du Sahel dans leur lutte contre les islamistes, qui sont actifs dans les trois pays. Soutenue par l'armée russe, l'armée malienne a réussi, comme indiqué plus haut, à reprendre aux insurgés la ville de Kidal, dans le nord-est du pays, en novembre 2023. Depuis avril 2024, un mécanisme de coordination entre les armées se prépare et des opérations pour diviser le territoire sous contrôle islamiste sont en cours, ce dernier s'étendant de l'est du Mali au Niger en passant par le nord du Burkina Faso. Aussi, la coopération commerciale et économique se développe : depuis septembre 2023, plusieurs entreprises russes privées et publiques ont signé des accords avec les pays de l'AES dans des domaines tels que l'exploitation minière, la construction industrielle, etc.

 

 

Alors que la Russie se concentre principalement sur la sécurité alimentaire (Moscou a expédié 50 000 tonnes de céréales gratuites au Sahel en 2023) et le développement de l'économie numérique, la Chine et la Turquie réalisent des avancées en termes de production d'énergie et d'extraction de métaux rares précieux. D'ailleurs, l'accord du Niger pour placer l'extraction de ces ressources sous le contrôle de la Confédération traduit la volonté du trio d'approfondir la coopération avec Pékin et Ankara.

 


***

 

 

Sans aucun doute, la décision des trois nations de quitter la CEDEAO et de former la Confédération démontre leur volonté de renforcer leur souveraineté. Mais elles l'ont fait dans un contexte de rancœur à l'égard des sanctions et d'euphorie provoquée par leur affirmation de soi et leurs liens croissants avec la Russie. Ces mesures ne peuvent que mériter le respect, surtout dans le contexte d’une situation géopolitique mondiale instable et de discussions grandement répandues, et en grande partie fondées, selon lesquelles les grandes puissances européennes, y compris la France, sont en train de perdre leur autonomie en matière de politique étrangère.

 

 

Annoncer la mise en place d'un projet d'intégration est une chose, le consolider et utiliser les bénéfices de la coopération en est une autre. L'exemple de la CEDEAO, qui en cinquante ans d’existence n'est pas parvenue à devenir une communauté économique et politique réellement efficace et qui commence même à se désagréger, en témoigne. Le problème pour l'AES est que le "renforcement de la souveraineté" de ses États membres se fera dans le contexte d'économies faibles, encore mises à l'épreuve par les guerres et les conflits, et d'une dépendance persistante à l'égard de diverses formes d'aide extérieure, une habitude dont il faudra du temps pour se défaire. En parallèle, le démantèlement des modèles de coopération de longue date avec l'Occident, en particulier avec l'ancien colonisateur, ne peut se faire du jour au lendemain. Des entreprises et des spécialistes français - ingénieurs, médecins, enseignants, travailleurs du secteur pétrolier et autres - travaillent encore dans les trois pays ; de nombreuses familles sont liées à la France par des parents qui y vivent et des enfants qui y étudient et y travaillent ; des élites politiques, commerciales et créatives possèdent des biens immobiliers en France. En d'autres termes, il est trop tôt pour parler d'une rupture totale avec l'ancien colonisateur, même si, bien entendu, les trois régimes voient dans la Confédération une occasion de se distancier de l'héritage du colonialisme français et de la politique de la Françafrique. Ibrahim Traoré, par exemple, s'est exprimé avec force contre la présence de la France en Afrique lors du sommet de Niamey. Mais pour qu’un véritable changement s’opère il faut plus que des discours. 

 

 

Dans le cadre de son « retour » en Afrique, la Russie semble déterminée - à juste titre - à soutenir l'AES dans la plupart, si ce n’est dans toutes ses entreprises. Mais leurs résultats dépendront en grande partie de la cohérence et de la persistance des chefs militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger à défendre leurs idéaux actuels. Il semble que les relations entre les membres de la Confédération des États du Sahel et la Russie vont s'approfondir, d'autant plus que l'AES a envoyé une lettre au président du Conseil de sécurité de l'ONU en août 2024 où elle condamnait l'Ukraine (ce qui ne pouvait qu'être salué par Moscou) pour son soutien du terrorisme au Sahel et demander au Conseil de sécurité d'empêcher les actions subversives de Kiev en Afrique. Il s'agit-là principalement de l'attaque islamiste qui visait un convoi de soldats russes et maliens dans le nord du Mali, dont la participation de militants ukrainiens a été confirmée par l’Ukraine elle-même. En conséquence, Bamako et Niamey ont mis fin à leurs relations diplomatiques avec Kiev et, le 7 août 2024, le Mali et le Niger ont demandé au Conseil de sécurité d'enquêter sur le soutien porté par l'Ukraine aux groupes rebelles du Sahel.

 

 

Comme l'ont affirmé les dirigeants des trois pays dans leur déclaration commune au sommet de Niamey, ils « ont pris pleine responsabilité des événements passés ». Cependant, seul l'avenir nous dira ce que les actions  - le retrait de la CEDEAO et la création de l'AES - nous réservent. Dans tous les cas, le processus de polarisation en Afrique opposant, d’un côté, les nations et alliances pro-occidentales, et de l’autre, celles qui tentent d'échapper à la dépendance néocoloniale, a déjà commencé et semble irréversible.

First published in :

Russian International Affairs Council, RIAC

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Tatyana Denisova

PhD (histoire), chercheur principal, directeur du Centre d'études sur l'Afrique tropicale, Institut d'études africaines, Académie des sciences de Russie

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Sergey Kostelyanets

PhD (sciences politiques), chercheur principal, directeur du Centre d'études sociologiques et politiques, Institut d'études africaines, Académie des sciences de Russie

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