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Diplomacy

Nouvelle stratégie américaine à l'égard de l'ANASE : prudence, info-colonialisme !

Ruban des drapeaux de l'ASEAN, drapeaux de l'AEC (Communauté économique de l'Asie)10 pays, drapeaux de l'ASEAN agitant une illustration vectorielle.

Image Source : Shutterstock

by Ksenia Muratshina

First Published in: Nov.15,2024

Dec.02, 2024

Les deux faces d'un même sommet

 

 

Le sommet annuel de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) et des États-Unis s'est tenu à Vientiane en octobre. Les réunions de ce type sont une routine pour l'ANASE et se tiennent avec chacune des puissances non régionales, c'est-à-dire les partenaires de dialogue de l'association. Ils discutent des plans de coopération et échangent leurs points de vue sur les questions internationales. Cette fois-ci, les États-Unis, représentés par A. Blinken, ont à nouveau tenté de se servir de ce dialogue pour imposer leur vision des problèmes mondiaux. Les déclarations du secrétaire d'État américain étaient de nature anti-russe, anti-chinoise et anti-coréenne, et visaient à accroître les tensions concernant la mer de Chine méridionale et la situation politique interne au Myanmar.

 

 

La mise en œuvre d'une nouvelle initiative des États-Unis pourrait leur permettre d'interférer dans la politique de l'information de l'ANASE et de contrôler le cyberespace de toute l'Asie du Sud-Est.

 

 

La réunion n'a pas été organisée par hasard : elle a eu lieu avant le sommet de l'Asie de l'Est (EAS), qui est une plateforme de négociations multilatérales entre les pays de l'ANASE et des partenaires extérieurs. Washington espérait ainsi forcer les représentants des États d'Asie du Sud-Est à reconsidérer l'ordre du jour de l'EAS et prévoyait d'utiliser l'événement à venir pour provoquer des conflits régionaux et consolider son rôle de « gendarme en chef » de la région Asie-Pacifique ou Indo-Pacifique. Toutefois, comme l'a montré l'EAS, les États-Unis n'y sont pas parvenus : personne, à l'exception des alliés des États-Unis, n'a soutenu les tentatives visant à saper l'architecture régionale de sécurité et de coopération.

 

Aussi, à la suite des résultats du sommet États-Unis-ASEAN, la divergence d’opinions a été exacerbée. Les parties n’ont pas adopté un seul accord politique commun. Il est naturel que les choses se soient déroulées ainsi; l'ANASE a l’habitude de percevoir comme étant inacceptable tout point de vue qu’un pays extérieur chercherait à imposer. En général, les discussions des dirigeants de l'ANASE avec Anthony Blinken étaient tenues dans le cadre de plusieurs réunions avec la Russie, l'Inde, la Chine, etc., et elles n'auraient pas attiré beaucoup l’attention si une déclaration commune très étroite (« Déclaration sur la promotion d'une intelligence artificielle sûre, sécurisée et digne de confiance » (IA)) n'avait pas été adoptée dans la foulée.

 

Une bonne intention

 

Selon les termes de cette déclaration, sous le prétexte plausible de « réaliser les objectifs de développement durable des Nations unies », les États-Unis ont l'intention de mettre en œuvre toute une série de projets avec l'ANASE. Ainsi, il est prévu de « discuter du développement des projets d'IA de l'ANASE » (mais pourquoi l'ANASE devrait-elle discuter de ses projets avec quelqu'un ?), d’ « interagir avec le groupe de travail de l'ANASE sur la gouvernance de l'IA » (encore une fois, une intention de directement se joindre au processus décisionnel de l'association), de « créer une feuille de route de l'ANASE pour une IA responsable » (et, par conséquent, de l'inclure dans le processus de planification interne de ses activités).

 

De plus, les parties « coopéreront sur les approches et les normes dans le domaine de l'IA » (ces approches et normes seront basées sur des approches et normes américaines similaires), « l'échange de connaissances, le transfert de technologies » (le dicton « rien n’est jamais vraiment gratuit » est involontairement rappelé), « le renforcement du potentiel numérique et cybernétique collectif » (encore une fois basé sur les États-Unis et construit selon leurs règles), « l'expansion de l'éducation dans le domaine de l'IA » (également selon les normes américaines) et « le développement d'approches interdépendantes de la gestion de l'IA » (la gestion de l'IA est une question sérieuse et doit comprendre que la participation externe équivaut à une menace directe pour la souveraineté nationale). La gestion de l'IA est une question sérieuse et il faut comprendre qu'une participation extérieure équivaut à une menace directe pour la souveraineté nationale.

 

Des tâches encore plus ambitieuses incluent « le soutien au développement de stratégies nationales en matière de numérique et d'IA, la discussion de sa gestion et de sa réglementation » (pour les États-Unis, l'accès aux stratégies nationales fournira de nouveaux outils pour interférer dans les affaires intérieures des autres), « la mise en œuvre d'initiatives en coopération avec les ministères du développement numérique des pays de l'ANASE », ainsi que « le soutien à la sécurité de l'information pour le cadre de l'économie numérique de l'ANASE » (son adoption est prévue en 2025 ; ici, les États-Unis s'immiscent à nouveau dans les affaires intérieures de l'ANASE).

 

Nous n'avons pas été privés de la traditionnelle démagogie américaine en matière de « droits de l'homme ». La déclaration sous-entend « garantir les droits de l'homme et la protection contre toutes les formes de discrimination et de préjugés lors de l'utilisation de l'IA » et « garantir l'inclusivité et l'accessibilité de l'IA » dans un avenir proche. La question quant au danger que pourrait représenter l'utilisation massive de l'IA pour la population n'est pas abordée par les auteurs du document, qui se consacrent plutôt à d'autres tâches.

 

Un autre volet consiste à « s’occuper d’une manipulation de l'information et de la désinformation de provenance étrangère, et se charger de la formation dans le domaine technologique pour contrer cette manipulation » (bien entendu, les américains qui sont à l'initiative de ces démarches ne remettent pas en cause leur droit d'attribuer des étiquettes aux sources d'information). Enfin, il est prévu de « stimuler l'amélioration de la culture numérique de la population via le secteur privé », alors que, semble-t-il, dans des domaines aussi sensibles que l'IA, les technologies numériques et le cyberespace, seul l'État peut protéger les intérêts de ses citoyens.

 

Le but du jeu

 

L'analyse de ces accords montre clairement que les États-Unis cherchent à prendre le contrôle non seulement de l'économie ou de la technologie, mais aussi de l'espace d'information de l'Asie du Sud-Est et de la politique d'information de l'ANASE dans son ensemble et des pays membres individuels et de leurs départements sectoriels nationaux. Une telle intensification radicale des interactions comprend l'ingérence directe dans les affaires de l'association - une ingérence sans précédent dans son arrogance et sa transparence - et la recherche d'opportunités pour réduire le rôle des États dans le contrôle de l'IA et de la cyber-sphère, ainsi que l'accès aux travaux scientifiques et technologiques des pays d'Asie du Sud-Est dans le domaine de l'IA et la monopolisation de la sphère médiatique de l'Asie du Sud-Est, qui est une approche totalement coloniale consistant à décider quelles informations les membres de l'ANASE sont autorisés à lire et à voir et quelles informations sont jugées « manipulations étrangères ».

 

Les États-Unis ont déjà prouvé à quel point ils étaient sérieux. Le 1er novembre, Rumman Chowdhury, spécialiste de l'IA et représentant spécial des États-Unis pour la science, s'est rendu au secrétariat de l'ANASE à Jakarta pour rappeler aux pays d'Asie du Sud-Est la nécessité de mettre en œuvre la déclaration commune. Il faut comprendre ici que la coopération sectorielle des États-Unis avec l'ANASE sera mise en œuvre par un système d'institutions hautement spécialisées qui, objectivement, ne dépend pas du changement de l'administration présidentielle. Des accords ont été conclus, des obligations ont été établies et le processus de mise en œuvre a été lancé. De plus, les États-Unis auront une approche unique et distincte pour chaque pays en termes de respect et de mise en place de ces accords. Les Etats-Unis ont prévu de travailler avec les ministères sectoriels « numériques » des États d'Asie du Sud-Est, ce qui ne consiste en réalité qu'à choisir leurs futurs loyaux partenaires pour asseoir leur influence.

 

Cependant, la question est de savoir dans quelle mesure les milieux politiques et les spécialistes de l'Asie du Sud-Est comprennent-ils les risques que comporte sur le long terme le fait d’accorder à un partenaire etranger un accès à grande échelle à la sphère cybernétique sensible. Et cela quand bien même les intérêts du partenaire dans la région sont connus de tous depuis longtemps, à savoir, pousser aux conflits dans une logique de « diviser pour mieux régner », rechercher et attirer des spécialistes hautement qualifiés (fuite des cerveaux), imposer leur propre point de vue de façon exclusive sur les questions internationales, lier des pays et des marchés à leurs technologies avec le transfert de toutes sortes de données utiles aux services de renseignement.

 

* * *

 

Il semblerait que l'ANASE se soit toujours opposée au néocolonialisme et ait soutenu une approche multi-vectorielle, à équidistance de tout intérêt extérieur de ses interlocuteurs. Très probablement, l'association ne pouvait que permettre l'apparence d’informations intrusives de nature colonialiste de la part de son homologue américain. Cela en raison de ses espoirs d’obtenir un financement désintéressé de la part des américains pour permettre son développement (ce qui en soi sonne comme un oxymore) et parce qu’elle comptait sur une sorte de partage abstrait des technologies. Toutefois, les pays d’Asie du Sud-Est ayant adopté la politique américaine, les conséquences  pourraient être déplorables, désastreuses pour leur souveraineté numérique, leur développement technologique et leur indépendance en général (s'ils ne « freinent » pas les engagements qu'ils ont pris).

 

Ksenia Muratshina, docteur en histoire, et chercheur principal pour le Centre sur l'Asie du Sud-Est, l'Australie et l'Océanie de l'Institut d'études orientales de l'Académie des sciences de Russie, en exclusivité pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».


First published in :

The New Eastern Outlook

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Ksenia Muratshina

Docteur en histoire, chercheur principal au Centre pour l'Asie du Sud-Est, l'Australie et l'Océanie de l'Institut d'études orientales de l'Académie des sciences de Russie, en exclusivité pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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