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Diplomacy

Afghanistan : le temps de reconnaître le gouvernement des talibans est-il venu ?

Afghanistan une carte de l'Asie dans une loupe défocalisée, le thème des voyages et des voyages en Afghanistan, Kaboul, mise au point sélective

Image Source : Shutterstock

by Robert Kluijver

First Published in: Dec.01,2024

Jan.13, 2025

Est-il justifié de continuer à ne pas reconnaître le gouvernement des talibans, en place depuis maintenant plus de trois ans ? Cette posture n’améliore en rien la situation des femmes afghanes, tout en empêchant la communauté internationale de s’impliquer pleinement dans de nombreux autres dossiers brûlants.

 

 

Travailler pour les Nations unies en Afghanistan aujourd’hui présente des difficultés très particulières. Le gouvernement des talibans, en place depuis le 15 août 2021, n’est pas reconnu. Malgré cette non-reconnaissance, l’ONU conserve une présence politique dans le pays, et environ mille expatriés y travaillent pour des agences des Nations unies qui, pour l’essentiel, fournissent de l’aide humanitaire à la population, à hauteur de quelques milliards par an.

 

 

Quand les talibans sont arrivés au pouvoir, ils ont assuré les membres présents de la communauté internationale que ceux-ci pouvaient rester, et que les étrangers (civils) jouiraient dorénavant de leur protection. Les missions diplomatiques occidentales sont toutes parties pour éviter de reconnaître le nouveau pouvoir, mais les agences des Nations unies, elles, sont demeurées sur place. Leur présence se justifiait par le devoir de porter assistance à la population.

 

 

Il est vrai que l’Afghanistan est traversé par de multiples crises. La guerre est terminée, mais le pays subit de plein fouet le changement climatique depuis au moins les années 1990. De longues sécheresses alternant avec des pluies torrentielles, ainsi que la fonte des glaciers qui alimentent les canaux d’irrigation, ont provoqué une baisse de la productivité agricole et un exode rural vers les villes.

 

 

S’y ajoute une grave contraction économique : le départ précipité de la communauté internationale a fait chuter le PIB de 28 % en un an. À l’automne 2021, une année encore marquée par la sécheresse, l’ONU prévoyait une possible famine. Un peu à contrecœur, la communauté internationale a continué de financer ses activités en Afghanistan – à condition que ses fonds ne bénéficient pas aux talibans.

 

 

Il n’y a pas eu de catastrophe humanitaire ce premier hiver, ni les années suivantes, bien que la double crise climatique et économique ait continué à sévir, ponctuée d’autres désastres, soit naturels comme les tremblements de terre et les inondations, soit politiques comme la décision du Pakistan d’expulser des centaines de milliers d’Afghans. L’ONU se félicite d’avoir su éviter le pire, même si d’autres facteurs comme la paix et la solidarité entre Afghans ont beaucoup contribué à éviter la déconfiture.

 

 

Positions contradictoires

 

 

Les dirigeants des agences de l’ONU en Afghanistan doivent coordonner leurs activités avec les nouvelles autorités, qui avaient développé une forte mainmise sur la société avant même leur retour au pouvoir, au fil de deux décennies de « gouvernement fantôme ». Leur gouvernance des zones qu’ils contrôlaient, ainsi que ce qui se présentait pour nombreux Afghans comme une guerre de libération nationale, leur avait valu une certaine légitimité populaire, accrue depuis leur arrivée au pouvoir.

 

 

Après vingt ans de guerre et le retrait de l’OTAN, l’Émirat islamique d’Afghanistan – nom officiel du gouvernement taliban – ne va pas disparaître de sitôt. C’est une évidence pour tous ceux qui se trouvent aujourd’hui en Afghanistan, y compris au sein des agences des Nations unies.

 

 

Pour autant, l’ONU n’a pas reconnu le nouveau pouvoir, qu’elle désigne toujours par la formule « autorités de facto », et le gouvernement précédent, malgré sa décomposition totale, occupe toujours le siège de l’Afghanistan à l’ONU ainsi que la plupart des ambassades dans le monde. Même si certains États, et pas des moindres, à commencer par ceux géographiquement proches tels que la Russie ou la Chine, se sont rapprochés des responsables de Kaboul, l’Émirat islamique ne jouit d’aucune représentation dans les institutions internationales, où les talibans sont toujours considérés comme une organisation terroriste avec laquelle il ne faut pas parler.

 

 

La pression exercée sur les talibans pour qu’ils acceptent les mœurs et valeurs que nous voyons comme universelles – ce qu’ils contestent – ne contribue qu’à les radicaliser. Le directeur du commerce international au ministère du Commerce du pouvoir actuel de Kaboul me disait ainsi en décembre 2023, évoquant la lutte des talibans contre les djihadistes de l’État islamique au Khorassan ainsi que leur campagne de destruction des champs de pavot :

 

 

« Vous (la [communauté internationale]) vouliez qu’on combatte le terrorisme. C’est fait. Vous étiez concernés par la production de l’opium qui nuit à la jeunesse dans vos pays. Nous y avons mis fin. Jamais vous n’avez reconnu publiquement que l’Émirat islamique a su régler ces problèmes que votre gouvernement (la [république instaurée de 2001 à 2021]) n’arrivait pas à gérer. Maintenant, vous nous critiquez sans cesse au sujet des femmes afghanes, et vous voulez qu’on vous écoute encore. Mais cela concerne notre société ; vous n’avez rien à dire là-dessus. »

 

 

Au sein de l’ONU, la perception des talibans comme des misogynes primaires et des barbares religieux qu’il faut rejeter par principe est très répandue. Mais de tels propos n’ont aucun impact sur le sort des femmes afghanes, et compliquent le travail des employés de l’ONU présents dans le pays. Ceux-ci doivent donc afficher publiquement leur rejet du gouvernement taliban… tout en communiquant discrètement avec celui-ci pour essayer d’obtenir des résultats concrets.

 

 

Des échanges discrets qui portent leurs fruits

 

 

En avril 2023, les talibans ont annoncé que les femmes afghanes n’avaient plus le droit de travailler pour l’ONU dans le pays. Pourtant, aucune femme, à ma connaissance, n’a été licenciée par les agences des Nations unies depuis, et de nouvelles ont même été recrutées, grâce au dialogue entretenu avec les dirigeants loin des caméras. Chaque fois que des représentants des Nations unies critiquent publiquement la politique des talibans envers les femmes, ils risquent de compromettre ces négociations délicates.

 

 

Toute l’attention internationale sur l’Afghanistan se focalise sur cet enjeu unique : la situation de la femme afghane. Un producteur de télévision français auquel je proposais une série de sujets sur l’Afghanistan m’a averti que si l’angle n’était pas « barbus et burqas » aucune chaîne ne serait intéressée. Sans vouloir en aucun cas minimiser le malheur que vivent les femmes afghanes, notamment les filles, auxquelles l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur est désormais interdit, il existe cependant d’autres thèmes qui méritent notre attention.

 

 

Par exemple, le changement climatique, phénomène auquel l’Afghanistan ne contribue pratiquement pas. Si la désertification de ce pays de 40 millions d’habitants se poursuit, nous pouvons nous attendre à des vagues de migration vers les pays voisins et ceux riches et tempérés. L’Émirat islamique est concerné par la menace climatique et pourrait s’avérer un partenaire efficace dans l’adaptation au changement climatique ; mais encore faudrait-il qu’il puisse participer aux forums internationaux et accéder à des financements comme ceux prévus dans le cadre de la COP 29 – une conférence à laquelle il a été invité, mais seulement avec le statut d’observateur.

 

 

L’agence pour laquelle j’étais conseiller en communication stratégique, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), continue de mettre en œuvre des programmes de préservation de l’environnement et des forêts, de réensemencement des pâturages et des projets majeurs d’irrigation. Mais en matière de communication, il faut être très prudent et démontrer que cela ne bénéficie qu’aux communautés affectées et non au gouvernement. Si un membre du gouvernement est présent à une inauguration, on évite d’en publier la photo.

 

 

L’autre agence ayant un mandat en lien avec la lutte contre le changement climatique, le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), a mis fin à tous ses programmes de protection de l’environnement pour éviter toute suspicion de collusion. Le mot même de « développement » est proscrit dans la communication des agences en Afghanistan, car cela implique un soutien au gouvernement ; on parle maintenant seulement de la nécessité de satisfaire les « besoins de base » de la population.

 

 

Malgré son hostilité publique aux talibans, ceux-ci continuent à accepter l’ONU car elle soulage la pression sur leur gouvernement en matière d’assistance humanitaire, rend possible une certaine forme de dialogue avec la communauté internationale, et cause un afflux de dollars dans une économie asséchée. Bien que cette acceptation permette à l’ONU de rester sur place, le maintien de sa présence pourrait aussi être interprété comme un soutien implicite à l’Émirat islamique. Très sensibles à cette accusation, ses agences préfèrent rester discrètes et évitent d’investir dans les grands chantiers dont le pays a besoin, par exemple pour s’adapter au changement climatique.

 

 

Sortir de l’impasse

 

 

Le refus de la réalité du gouvernement taliban en Afghanistan ne semble, dans les faits, apporter rien de plus qu’une valorisation morale aux politiciens occidentaux qui se posent ainsi à peu de frais comme des protecteurs des femmes afghanes.

 

 

Certes, les Afghans réfugiés à l’étranger qui cherchent à revenir au pouvoir avec le soutien occidental s’en trouveront réconfortés, mais cela ne changera rien à la situation en Afghanistan. Penser que les talibans vont s’écrouler sous la pression de l’opinion publique internationale après avoir infligé une défaite aux États-Unis et à l’OTAN relève du vœu pieux.

 

 

Qu’on le veuille ou non, pour les Nations unies, une relation plus franche avec le nouveau pouvoir en place en Afghanistan accroîtrait les chances d’avoir un impact positif sur le pays, surtout à moyen et long terme.

First published in :

The Conversation (France)

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Robert Kluijver

Il a travaillé dans des zones de conflit ou de post-conflit depuis 1997, au Tadjikistan, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Yémen, en Somalie et au Soudan. Mémoire de maîtrise en études post-soviétiques sous la direction d'Olivier Roy (1999), doctorat en relations internationales sous la direction de Roland Marchal et Luis Martinez (2023). Enseignant à l'École des Affaires Internationales de Paris et à Sciences Po depuis 2010. Egalement conservateur en art contemporain, spécialisé dans la région Monde Arabe & Océan Indien.

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