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Trump, Téhéran et le piège au Yémen

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First Published in: Apr.03,2025
Apr.21, 2025
Alors que le Moyen-Orient se prépare à une nouvelle escalade du conflit, Téhéran se retrouve acculé par la diplomatie coercitive de Donald Trump, confronté à un choix brutal entre une concession stratégique ou une confrontation régionale.
Le retour de Donald Trump à la présidence a ravivé les hostilités américano-iraniennes, transformant le Yémen à la fois en une poudrière et en un point stratégique. La doctrine de diplomatie militarisée de son administration, dissimulée sous des calculs à somme nulle, a fait passer les Houthis du statut de mandataire périphérique à celui de principal déclencheur de l'escalade. En établissant un lien explicite entre les tirs de missiles des Houthis et le commandement iranien, Trump a réduit à néant la stratégie de déni plausible mise en œuvre par Téhéran depuis longtemps.
Historiquement, l'utilisation par l'Iran de mandataires s'est appuyée sur le fait d'opérer dans une zone grise, projetant son influence tout en évitant une confrontation directe. Le retour de Trump cherche à démanteler cette ambiguïté stratégique, en reclassant toutes les activités des mandataires comme des actes politiques de l'État iranien. L'armée américaine a lancé sa campagne la plus vaste sous l'égide du Commandement central des États-Unis (CENTCOM) contre les Houthis depuis le début de la crise de la mer Rouge à la fin de l'année 2023, ciblant l'infrastructure des missiles balistiques, les dépôts de drones et les hauts responsables au Yémen. L'opération, lancée le 15 mars, a marqué un changement stratégique, après que Trump a de nouveau désigné les Houthis comme une organisation terroriste étrangère et qu'il a promis de « faire pleuvoir l'enfer » sur leurs positions si les attaques se poursuivaient. La rhétorique de Trump s'est intensifiée en conséquence et il a averti que : « Chaque coup de feu tiré par les Houthis serait considéré, à partir de maintenant, comme un coup de feu tiré par les armes et les dirigeants iraniens ».
Téhéran se trouve donc confronté à un paradoxe : soit il abandonne les Houthis, au risque de compromettre sa réputation et son ampleur stratégique, soit il subit de plein fouet les représailles des États-Unis. Aucune de ces deux options n'est viable d’un point de vue stratégique. Conscient des enjeux, l'Iran aurait exhorté les Houthis, par le biais d'intermédiaires omanais et de la diplomatie de Téhéran, à réduire leurs attaques maritimes, en particulier dans la mer Rouge. Toutefois, les dirigeants houthis ont publiquement rejeté ces appels, réaffirmant leur volonté de prendre pour cible les navires israéliens et rejetant toute ingérence extérieure dans leurs décisions opérationnelles. Leur résistance est alimentée par une conviction idéologique, une résilience éprouvée par les conflits et un sens croissant de l'objectif régional.
Depuis le début du récent conflit entre Israël et le Hamas, et dans le contexte du déclin du Hezbollah, de l'isolement du Hamas et de l'effondrement de la Syrie, les Houthis sont apparus comme le mandataire le plus affirmé de l'Iran. Leurs attaques contre les navires de la mer Rouge et leurs tirs de missiles contre Israël, bien que la plupart du temps interceptés, embarrassent néanmoins les régimes arabes et mettent à rude épreuve les positions défensives israéliennes et américaines.
La reprise du conflit à Gaza, déclenchée par le bombardement israélien du 2025 mars qui a tué cinq dirigeants du Hamas et plus de 400 civils, selon le ministère de la santé de Gaza, a fait s'effondrer le fragile cessez-le-feu et ravivé une guerre sur plusieurs fronts impliquant le Hamas, le Hezbollah et les Houthis. Alors que le nombre de morts à Gaza dépasse désormais les 50 000, le Hamas présente ses actions comme faisant partie d'une résistance plus large à l'agression israélienne. Cette évolution a galvanisé la colère régionale et contribué à une mobilisation plus large parmi les acteurs alignés sur l'Iran. Le Hezbollah a repris ses tirs intermittents de roquettes le long de la frontière libanaise, tandis que les Houthis, invoquant leur solidarité avec Gaza, ont intensifié leurs tirs de missiles en direction du territoire israélien, y compris des tentatives de frappes près de l'aéroport Ben Gourion, soulignant ainsi l'expansion de leur capacité opérationnelle et la coordination symbolique qui ancre l'axe de la résistance.
L'influence de Téhéran pourrait s'affaiblir. Les Houthis ont à plusieurs reprises fait preuve d'une plus grande propension au risque, agissant souvent au-delà des seuils d'escalade préférés de l'Iran. Cette divergence complique les efforts de Téhéran pour préserver un déni plausible tout en récoltant les dividendes stratégiques de l'activisme par procuration. Le déséquilibre qui en résulte révèle un problème plus profond : l'Iran cherche à tirer profit du militantisme des Houthis sans en supporter le coût, un équilibre de plus en plus insoutenable dans le cadre de la position de tolérance zéro de Trump.
Le dilemme de l'Iran : le déni n'est plus possible
Selon l'évaluation de la menace de la Communauté du renseignement des États-Unis pour 2025, les Houthis continuent de renforcer leurs capacités militaires en important des armes et des technologies à double usage en provenance de Russie et de Chine. La contrebande de composants de drones par la mer Rouge et la frontière entre Oman et le Yémen témoigne d'un soutien logistique soutenu. En démantelant le déni plausible de l'Iran et en attribuant publiquement chaque frappe des Houthis à Téhéran, Washington cherche à imposer une alternative : soit l'Iran contrôle ses mandataires, soit il accepte une responsabilité stratégique totale.
Cela expose Téhéran à une escalade régionale potentielle qu'il n'est probablement pas prêt à gérer. Le discours américain, amplifié par les déclarations de Trump et le rythme opérationnel du CENTCOM, réduit l'écart opérationnel entre les mandataires et les protecteurs. Cela laisse à l'Iran une marge de manœuvre stratégique de plus en plus réduite, d'autant plus qu'il cherche à éviter un conflit direct tout en préservant sa crédibilité en matière de dissuasion. Les forces de défense israéliennes (FDI) ont déjà mené des raids transfrontaliers au Yémen, et Israël fait pression pour que les Nations unies renforcent les sanctions contre le programme de missiles de l'Iran.
Négociations dans les coulisses : la diplomatie de haut vol d'Araghtchi
Dans un contexte d'agitation intérieure croissante, le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghtchi, aurait été autorisé à poursuivre des négociations indirectes avec Washington. Alors que le guide suprême Khamenei maintient son opposition aux pourparlers directs, l'utilisation des canaux européens et omanais offre à Téhéran une voie de sortie diplomatique, bien qu'elle soit soumise à d'immenses pressions diplomatiques et politiques. Araghtchi, un vétéran des premiers pourparlers du plan d'action global conjoint (JCPOA), est considéré comme plus pragmatique que les partisans de la ligne dure au sein du régime.
Cette ouverture fait suite à la lettre de Trump à Khamenei, exigeant un nouvel accord nucléaire dans les deux mois. La lettre contient des exigences explicites : démanteler l'enrichissement de l'uranium, abandonner le développement de missiles et rompre les liens avec les mandataires régionaux.
La position nucléaire de l'Iran reste opaque. L'AIEA confirme que Téhéran a stocké suffisamment d'uranium enrichi à 60 % pour fabriquer plusieurs ogives s'il est encore raffiné. Pourtant, l'Iran insiste sur le fait que ses objectifs nucléaires sont pacifiques. Des sources semi-officielles suggèrent que la poursuite de l'escalade occidentale pourrait entraîner le retrait du traité de non-prolifération.
Les pressions intérieures de l'Iran s'aggravent. L'économie souffre de l'inflation, des sanctions et de l'effondrement de la monnaie. Les troubles survenus à Urmia pendant Norouz - le nouvel an persan célébré à l'équinoxe de printemps -, provoqués par des tensions interethniques entre les Kurdes et les Azéris, soulignent l'affaiblissement de la capacité du régime à gérer les dissensions internes. Les institutions de l'État étant affaiblies et l'autorité centrale étant de plus en plus concentrée entre les mains de Khamenei, la désillusion de la population s'accentue.
La pression sur l'Iran : moins de marge de manœuvre
La capacité de l'Iran à maintenir le statu quo est soumise à une pression sans précédent. Sa stratégie de « patience stratégique », vieille de plusieurs décennies, devient plus difficile à maintenir. Bien que l'Iran continue à entretenir des liens avec la Chine et la Russie, et reste engagé auprès de ses interlocuteurs européens, ces relations n'offrent plus la même marge de manœuvre. L'Union européenne, limitée par la ligne dure de Washington, n'a pas l'indépendance nécessaire pour offrir des garanties crédibles.
Pendant ce temps, Israël et l'Arabie saoudite restent déterminés à empêcher un Iran doté de l'arme nucléaire. La doctrine Begin, qui a justifié les frappes préventives d'Israël contre l'Irak (1981) et la Syrie (2007), pourrait refaire surface si la diplomatie échoue. Le spectre d'une action militaire unilatérale façonne désormais le calcul stratégique de Téhéran.
Au niveau régional, l'enchevêtrement des mandataires de l'Iran s'intensifie. Les attaques synchronisées des Houthis, du Hamas et du Hezbollah mettent à rude épreuve les défenses israéliennes et alimentent les appels de Tel-Aviv en faveur d'offensives régionales plus vastes. Les représailles israéliennes, associées aux frappes militaires américaines, ont intensifié le risque d'une conflagration plus large. Les régimes arabes, en particulier les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, craignent d'être entraînés dans la mêlée, ce qui menacerait leurs visions économiques pour 2030 et au-delà.
Pendant ce temps, les Palestiniens sont en grande partie abandonnés, aucun État arabe n'étant disposé à accueillir la population de Gaza alors que Trump contemple divers scénarios d'expulsion. Cette approche sévère, en l'absence de consensus régional, risque d'aggraver l'instabilité en Jordanie, en Égypte et dans l'ensemble du monde arabe. La diplomatie coercitive de Trump peut satisfaire des objectifs tactiques mais aliène les opinions publiques arabes, ce qui risque de provoquer des réactions internes dans les États fragiles.
Pourtant, l'abandon de son influence nucléaire n'est pas politiquement viable pour le régime iranien. Toute concession doit être assortie de garanties crédibles et applicables - une leçon douloureusement tirée de la sortie unilatérale de Trump du JCPOA en 2018. Téhéran pourrait accepter un accord progressif ou limité, mais s'opposera à tout ce qui sera perçu comme une capitulation totale.
En résumé, l'Iran est désormais confronté à un siège multidimensionnel : coercition extérieure, volatilité par procuration, instabilité intérieure et polarisation idéologique. Le second mandat de Trump vise à acculer Téhéran à la soumission, et non à la négociation. Pourtant, en réduisant l'espace entre l'action par procuration et la responsabilité de l'État, Washington pourrait provoquer précisément ce qu'il cherche à prévenir : une guerre régionale sans issue claire.
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Mohd Amirul Asraf Bin Othman est doctorant en sciences politiques et relations internationales au Centre d'études arabes et islamiques (CAIS) de l'Université nationale australienne. Ses recherches portent sur la sécurité au Moyen-Orient, le régionalisme, le terrorisme et l'extrémisme, dans le contexte de la politique du Moyen-Orient et des relations internationales. Vous pouvez le trouver sur les médias sociaux ici.
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