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Defense & Security

Les ambassades sont-elles interdites ? Les actions équatoriennes et israéliennes suggèrent le contraire – et cela crée un dangereux précédent diplomatique

Raid à l'ambassade du Mexique à Quito, la police capture Jorge Glas

Image Source : Wikimedia Commons

by Jorge Heine

First Published in: Apr.09,2024

May.07, 2024

Pendant longtemps, les ambassades ont été considérées comme des sanctuaires, fermées aux interférences étrangères. Cependant, en l'espace d'une semaine, deux gouvernements (tous deux étant des démocraties établies de longue date) ont été accusés de transgresser, de différentes manières, les lois régissant les missions diplomatiques étrangères.

 

En premier lieu, le 1ᵉʳ avril 2024, l'ambassade d'Iran à Damas a été supposément bombardée par Israël, entraînant la mort de plusieurs hauts commandants de la Force Quds du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique d'Iran. Puis, le 5 avril, la police équatorienne a forcé l'entrée de l'ambassade du Mexique à Quito pour arrêter un ancien vice-président de l'Équateur cherchant le refuge politique.

 

Ces deux événements ont suscité des accusations de violation du droit international et des critiques pour non-respect de la Convention de Vienne, qui garantit l'immunité des missions diplomatiques.

 

Au vu de mon expérience en tant qu'ancien chef de mission du Chili en Chine, en Inde et en Afrique du Sud, ainsi que de ma contribution à la coédition de The Oxford Handbook of Modern Diplomacy, je considère que ces deux incidents sont bien plus inquiétants que ne le perçoit une grande partie de la communauté internationale.

 

Contrairement à la célèbre boutade de Ross Perot, homme d'affaires et candidat à l'élection présidentielle, les ambassades ne sont pas des "reliques de l'époque des voiliers". Au contraire, dans un monde de plus en plus complexe où les conflits géopolitiques, les migrations massives, les pandémies et le changement climatique exigent une gestion diplomatique prudente et stable, tout incident qui va à l’encontre des règles régissant les ambassades pourrait avoir de graves conséquences. En somme, ces incidents aggravent les tensions dans le monde.

Curieuse indifférence face aux attentats contre les ambassades

Parmi les deux incidents récents, l'attentat à la bombe contre l'ambassade d'Iran est considéré comme étant le plus grave, ayant entraîné la perte de vies humaines et suscité des préoccupations quant à d'éventuelles représailles.

 

Malgré cela, les pays occidentaux, dont les dirigeants expriment souvent leur préoccupation au international fondé sur certaines règles, ont montré une réticence notable à condamner cet acte.

 

Il faut aussi noter que les trois démocraties libérales membres du Conseil de sécurité de l'ONU (les États-Unis, le Royaume-Uni et la France) ont toutes refusé de condamner l'attaque contre l'ambassade d'Iran lorsqu'elles ont été confrontées à cette question.

 

Israël, sans admettre officiellement sa responsabilité, a avancé que la résidence de l'ambassadeur iranien ne relevait pas véritablement du statut diplomatique, mais était plutôt "d’un bâtiment militaire déguisé en bâtiment civil". Selon cette interprétation, elle constituait une cible parfaitement légitime pour Israël.

 

Cependant, en suivant cette logique, presque toutes les ambassades pourraient être considérées comme des cibles légitimes.

 

La grande majorité des ambassades, surtout celles des grandes puissances, sont généralement peuplées d'un nombre significatif de militaires et de membres des services de renseignement. Suggérer que ces ambassades devraient, par conséquent, perdre leur immunité diplomatique et devenir des cibles légitimes pour des attaques armées remettrait en question les fondements mêmes de la Convention de Vienne. Une telle remise en cause entraînerait l'effondrement de la structure sur laquelle reposent les interactions diplomatiques formelles à l'échelle mondiale.

Des principes diplomatiques fondamentaux

Le cas de l'Équateur, bien que moins grave, car aucune perte humaine n’a été entraînée, reste tout de même assez complexe pour être analysé plus en détail.

 

Au cœur de la querelle diplomatique entre l'Équateur et le Mexique se trouve l'ancien vice-président équatorien Jorge Glas, condamné en 2017 à une peine de quatre ans d'emprisonnement pour corruption.

 

Jorge Glas fait désormais l'objet de nouveaux chefs d'accusation, ce qui l'a conduit à demander l'asile à l'ambassade du Mexique en décembre 2023. Cette demande a été acceptée par le Mexique et transmise au gouvernement équatorien.

 

L'Équateur a justifié son envoi de policiers à l'ambassade du Mexique par le fait que Glas ne pouvait bénéficier de l'asile politique au vu de sa condamnation pour crime.

 

Cette argumentation n'est pas sans fondement : selon la Convention de l'Organisation des États américains sur le droit d'asile de 1954, l'asile politique ne peut être accordé à des individus condamnés pour crime que si les accusations à l'origine de cette condamnation sont de nature politique.

 

Cependant, l'article 21 de la Convention de Vienne stipule que les missions diplomatiques bénéficient d'une immunité totale et d'extraterritorialité. Interdisant, de ce fait, au gouvernement hôte d'intervenir dans une ambassade sans l'autorisation du chef de mission.

 

L'Équateur affirme que le Mexique a violé cette immunité diplomatique, le contraignant à faire intervenir la police sur place.

 

Il est toutefois crucial de faire une certaine distinction.

 

L'immunité diplomatique et l'extraterritorialité des missions étrangères sont des principes fondamentaux de la Convention de Vienne, distincts de la question de l'asile politique qui doit être examinée indépendamment.

 

Par conséquent, si le gouvernement équatorien avait jugé que Glas ne remplissait pas les critères nécessaires pour bénéficier de l'asile politique, il aurait pu légalement tenter de bloquer le mouvement ou refuser au demandeur d'asile un passage sûr pour quitter l'ambassade et le pays. Le Mexique aurait eu des raisons légitimes de s'opposer à de telles mesures, car selon la Convention sur le droit d'asile de 1954, c'est à l'État accordant l'asile de déterminer si l'affaire relève de considérations politiques.

Les conséquences pour l'avenir

Indépendamment du bien-fondé de la demande d'asile, l'envoi d'une équipe semblable à une unité SWAT pour prendre d'assaut l'ambassade constitue une violation délibérée des normes diplomatiques.

 

Une longue tradition existe où des politiciens latino-américains demandeurs d'asile ont passé de nombreuses années retranchées dans des ambassades parce que les gouvernements refusaient de leur laisser un passage sécurisé. Le cas le plus notable est celui du dirigeant péruvien Víctor Raúl Haya de la Torre, qui a passé cinq ans à l'ambassade de Colombie à Lima.

 

Pourtant, mis à part quelques exceptions, même pendant les périodes les plus sombres des dictatures militaires d'Amérique latine, dans les années 1960 et 1970, la police n'a pas été autorisée à faire irruption dans les ambassades pour contrer les demandeurs d'asile.

 

C'est ce qui rend les actions de l'Équateur particulièrement inquiétantes.

 

C'est précisément en raison des problèmes d'instabilité politique et de la tradition des coups d'État militaires en Amérique latine que les lois relatives à l'asile politique et à l'immunité diplomatique sont nécessaires.

 

En sabotant la convention de Vienne comme l'a fait l'Équateur, on risque de créer un précédent que d'autres gouvernements pourraient être tentés de suivre.

 

L'asile politique a traditionnellement servi d’ouverture de sécurité en Amérique latine, permettant aux dirigeants déchus de se mettre à l'abri du danger.

 

L'affaiblissement des structures diplomatiques qui soutiennent l'asile rendra plus difficile la gestion des ruptures démocratiques. Il risque également de renforcer les désaccords régionaux, comme le montre déjà le cas du Mexique, qui a rompu ses relations avec l'Équateur à la suite du raid sur l'ambassade.

Les difficultés croissantes de la diplomatie

Bien sûr, les violations d'ambassades ne sont pas sans précédent. En 1980, la dictature guatémaltèque a attaqué l'ambassade d'Espagne au Guatemala City, tuant plusieurs demandeurs d'asile, dont un ancien vice-président. De même, le gouvernement militaire uruguayen a envoyé des forces de sécurité dans l'ambassade du Venezuela à Montevideo en 1976 pour arrêter un militant de gauche qui avait demandé l'asile, provoquant la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

 

Cependant, ces événements, bien que relativement anciens, ont été largement et justement condamnés à l'époque comme étant le résultat de régimes autoritaires peu soucieux des conventions internationales.

 

L'attitude relativement détendue de la communauté internationale face aux violations d'ambassades par Israël et l'Équateur reflète, à mon avis, une incapacité à saisir l'importance de la dégradation de l'immunité et des normes diplomatiques.

 

Les ambassades et leurs représentants deviennent de plus en plus importants, à mesure que les défis mondiaux se multiplient.

 

Dans le cas où la protection des locaux diplomatiques peut être reléguée au second plan par rapport à ce qui est politiquement opportun un jour donné, cela nuira fortement à la gestion des relations internationales. La diplomatie deviendra beaucoup plus délicate.

 

Compte tenu de l'ampleur des défis auxquels le monde est confronté aujourd'hui, c'est la dernière chose dont un pays a besoin.


First published in :

The Conversation / USA

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Jorge Heine

Les domaines d’expertise de l’ambassadeur Heine comprennent les études diplomatiques, les relations internationales, la politique internationale des pays du Sud, les politiques étrangères des puissances émergentes, la mondialisation, le multilatéralisme, la promotion de la démocratie, les transitions démocratiques, la justice transitionnelle, ainsi que la Chine, l’Inde et l’Amérique latine.  

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