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Ce que la loi martiale, qui a été brièvement effective en Corée du Sud, révèle sur la démocratie coréenne et les tendances autocratiques du président Yoon
![Appelle la démission du président Yoon Suk Yeol à l'Assemblée nationale le 4 décembre 2024 01](/upload/write/20241209101527_542_-BANNER.jpg)
Image Source : Wikimedia Commons
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First Published in: Dec.04,2024
Dec.09, 2024
Le 3 décembre 2024, durant les quelques heures où la politique sud-coréenne a été mise à rude épreuve, le président Yoon Suk Yeol a instauré la loi martiale, pour finalement la lever peu de temps après.
C'est la première fois depuis 1979 qu'un dirigeant sud-coréen impose la loi martiale. Bien que de courte durée, cette mesure a suscité des inquiétudes quant au retour du pays à un régime autoritaire.
Pour expliquer ce qui s'est passé et ce que cela signifie pour la démocratie sud-coréenne, le journal The Conversation U.S. s'est adressé à Myung Hee Lee, spécialiste de l'autoritarisme, de la démocratie et de la politique sud-coréenne à l'université de l'État du Michigan.
Comment tout cela s'est-il déroulé ?
Ces quelques heures ont été folles, et j'essaie encore de comprendre ce qui vient de se passer. Les raisons qui ont poussé le président Yoon à agir de la sorte restent encore un mystère.
Mais vers 21h30, heure coréenne, le 3 décembre, des rumeurs ont commencé à circuler parmi les journalistes selon lesquelles Yoon préparait une conférence de presse d'urgence.
Puis, vers 10 h 20, M. Yoon a prononcé un bref discours dans lequel il accusait certaines forces pro-nord-coréennes et anti-étatiques en Corée du Sud d'essayer de déstabiliser le pays. En réalité, il pointait ici du doigt les partis d'opposition qui ont bloqué certains de ses projets politiques et tenté de destituer des personnes qu'il avait nommées.
Il a déclaré que la situation était inacceptable et qu'il était impossible pour lui de continuer à diriger le pays sans accoups. Il a donc déclaré la loi martiale d'urgence pour sauver la nation des forces pro-nord-coréennes et anti-étatiques.
Le ministre de la défense a ensuite organisé une réunion avec les militaires les plus hauts gradés, il a établi un quartier général pour le régime sous loi martiale et a nommé le chef d'état-major de l'armée, le général Park An-su, comme commandant de la loi martiale.
Une proclamation de loi martiale a ensuite été publiée, stipulant que toutes activités politiques étaient désormais interdites, y compris celles du parlement sud-coréen. Tout cela s'est déroulé environ une heure après la déclaration de Yoon.
Malgré la proclamation, les législateurs se sont rendus à l'Assemblée nationale, où certains ont été empêchés d'entrer. Mais beaucoup sont parvenus à entrer et, vers 1 heure du matin (heure locale), les législateurs ont voté contre la loi martiale, obligeant ainsi M. Yoon à annuler sa déclaration.
Jusqu'à ce qu’il annule la loi, trois heures et demie plus tard, la situation a été très tendue. Il a finalement cédé vers 4h30, a tenu une nouvelle conférence de presse et a annoncé qu'il levait la mesure d'urgence.
Pourquoi a-t-il déclaré la loi martiale maintenant ?
C'est ce que beaucoup de gens - moi y compris - essaient de comprendre. Cela a choqué beaucoup de monde, et il semble que beaucoup aient été pris au dépourvu. Il est évident que certaines personnes étaient au courant, comme le ministre de la défense et le général de l'armée nommé commandant de la loi martiale. Mais il semble que même certains membres de son propre parti ne savaient pas que Yoon avait l'intention d'agir de la sorte.
Il est vrai que, depuis le mois de septembre, certains politiciens de l'opposition avaient prédit une telle situation. Qui plus est, M. Yoon a été de plus en plus frustré par les divisions au sein de son propre parti et par les manœuvres de l'opposition à l'Assemblée nationale pour bloquer des projets clés de son programme. Aussi, M. Yoon est confronté à de nombreux scandales de trafic d'influence qui l'impliquent, lui et son épouse.
Mais a-t-il fait cette déclaration en étant en position de force ?
Pas du tout. La position de M. Yoon est incroyablement fragile : sa cote de popularité oscille autour de 20 %.
Il est à la tête d'un parti divisé, d'un parlement bloqué et la population ne l'apprécie guère.
S'agit-il donc d'un acte de désespoir ?
Je ne pense pas. L'idée selon laquelle M. Yoon aurait pris cette mesure avant que l'opposition ne puisse le destituer ? Cela n'a aucun sens pour moi. Il devait déjà faire face aux demandes de certains qui voulaient sa destitution - mais je ne suis pas sûr qu'avant cet épisode la population ait réellement souhaité qu’une destitution ait lieu pour la seconde fois, après la destitution en 2016 de la présidente Park Geun-hye suite au scandale de corruption.
Ainsi, malgré les scandales et les problèmes politiques auxquels il a été confronté, je ne pense pas que l'on puisse parler d'un acte de désespoir. D'autant plus que les appels demandant sa destitution et son retrait du pouvoir n'ont été qu'intensifiés par ses actions.
Je pense que Yoon a déclaré la loi martiale sous le coup de la colère - il était en colère, et plein de ressentiment à l'égard de l'opposition qui l'a bloqué à plusieurs reprises. Mais encore une fois, je ne peux pas lire dans ses pensées.
Pour beaucoup, il s'agit d'une décision insensée - il était dans une position politique si faible qu'il aurait paru improbable que cette tactique réussisse. Mais lui et certains des comploteurs ont dû calculer politiquement que cette tactique leur donnerait une chance de gagner le soutien de sa base principale. La véritable énigme est de savoir ce qui l'a poussé à faire ce calcul politique.
Yoon est-il connu pour être une figure autoritaire ?
Les gens ont bien entendu exprimé des craintes quant à ses tendances autocratiques. Avant même cet incident, certaines de ses décisions ont été sources d'inquiétudes. Il a ignoré les procédures légales et tenté de contourner l'Assemblée nationale. Il a clairement fait preuve d’autoritarisme de part son attitude en Corée du Sud, attaquant les médias en les qualifiant de « fake news » (nouvelles mensongères) et accusant ses opposants d'être des communistes et des sympathisants de la Corée du Nord.
Mais ce n'est pas toujours l'image qu’il renvoie en Occident. Depuis l'invasion russe, les spécialistes de la politique étrangère ont tenté de diviser le monde en deux blocs, l'un libéral et l'autre autoritaire. En tant qu'allié clé des États-Unis, Yoon est perçu à Washington comme un défenseur de la démocratie. Dans son pays, cependant, c'est une autre histoire.
Avec la déclaration de la loi martiale, ses tendances autoritaires ont été mises en lumière aux yeux du monde entier, et il est difficile d'imaginer que cela ne fera pas partie de son héritage. Mais même avant cette décision, il était connu pour son autoritarisme.
Comment cet héritage s'inscrit-il dans l'histoire politique de la Corée du Sud ?
La Corée du Sud a une longue histoire de loi martiale et de régime autocratique, voire militaire.
Cette dernière déclaration de loi martiale est, selon certains, la dix-septième de l'histoire coréenne. La dernière fois qu'elle a été déclarée, c'était en 1979, après l'assassinat de Park Chung-hee, un dictateur qui a gouverné la Corée du Sud dans les années 1960 et 1970. Cette période de loi martiale a duré jusqu'en 1981, date à laquelle Chun Doo-hwan, un autre dictateur, est arrivé au pouvoir par un coup d'État et a perpétré un massacre à Gwangju.
La loi martiale n'a pas été déclarée depuis les années 1980, mais de nombreux Coréens d'un certain âge se souviennent encore de cet épisode, lorsque les troupes ont brutalement réprimé les manifestants. Mais depuis que le pays est devenu une démocratie en 1987, il n'y a pas eu de déclaration de loi martiale jusqu'à aujourd'hui.
Il est intéressant de noter que lors d'un sondage auprès de ma famille, l’âge a joué un rôle clé dans la réaction que les membres de ma famille ont eu face à la décision de M. Yoon. Les membres les plus âgés de la famille ont eu grandement peur de cette déclaration de la loi martiale. Tandis que, les plus jeunes de la famille et les amis, eux, bien qu’ils n’aient pas pris la chose a la légère, ils n’ont vu en cette décision qu’un acte insensé qui ne déboucherait pas réellement sur une longue période de loi martiale.
Que se passera-t-il ensuite ?
Je pense que les jours du président Yoon sont comptés et que cet épisode va accélérer sa disparition du cercle politique.
Avant que les événements ne se déroulent le 3 décembre, de nombreuses personnes au sein du parlement et du grand public étaient encore réticentes à l'idée d'une nouvelle destitution après celle de 2016. Mais il semble qu'il y ait une vague d'opinion au sein du parlement en faveur de la destitution du président, et le public s'en fait l'écho.
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Myunghee Lee est politologue et professeur adjoint au James Madison College de la Michigan State University. Ses intérêts de recherche englobent la politique autoritaire, la démocratisation, la protestation et la politique étrangère, avec un accent régional sur l'Asie de l'Est, en particulier la péninsule coréenne et la Chine. Ses travaux ont été publiés dans des revues de premier plan, notamment International Security, Journal of East Asian Studies, Politics & Gender et International Studies Review. Elle a reçu le soutien de recherche de la Fondation coréenne et de l'Académie des études coréennes.
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