Subscribe to our weekly newsletters for free

Subscribe to an email

If you want to subscribe to World & New World Newsletter, please enter
your e-mail

Defense & Security

Après la chute du régime Assad, quelle est la prochaine étape pour la Turquie et les Kurdes ?

Baghouz, nord-est de la Syrie, 15 mars 2019. Des combattants de Raqqa appartenant aux Forces démocratiques syriennes des FDS se préparent à combattre l'EI.

Image Source : Shutterstock

by William Gourlay

First Published in: Dec.16,2024

Dec.30, 2024

La chute d'un dictateur qui était détesté par le peuple apporte un moment d'euphorie aux Syriens. Mais l'avenir reste incertain, les relations entre les factions rebelles et les acteurs extérieurs étant compliquées.

 

 

Des choses encore invraisemblables il y a encore peu se produisent aujourd'hui en Syrie. Après 50 ans de domination, le régime Assad a été renversé, un gouvernement de transition s'est réuni à Damas et les réfugiés syriens s'approchent de la frontière pour entrer dans leur pays, plutôt que de le quitter. Néanmoins, l'incertitude plane sur l'avenir. Certains s'inquiètent des intentions de Hayat Tahrir al Sham (HTS), qui a été le fer de lance de la marche sur Damas et qui était autrefois lié à Al-Qaïda.

 

 

Les agissements des acteurs extérieurs peuvent également être difficiles à prévoir. Si la guerre civile syrienne a duré aussi longtemps, c'est principalement en raison de l’intervention étrangère, les acteurs régionaux ayant fourni, financé et encouragé une diversité de milices et de groupes politiques. Il est probable que les interventions extérieures continueront à influencer les événements et les phénomènes politiques. L'Iran et la Russie, principaux soutiens de Bachar al Assad, se sont révélés incapables de soutenir son régime plus longtemps et, après sa disparition, ils auront d’autant moins d'impact et d'influence. Cela signifie que la Turquie est devenue un acteur central dans les affaires de son voisin méridional.

 

 

La Turquie : un acteur clé en Syrie

 

 

Depuis le début de la guerre, la Turquie a joué un rôle important en Syrie. Ankara a fait preuve d'une grande générosité en accueillant les réfugiés syriens, qui il y a encore de cela un mois étaient environ trois millions. Toutefois, l'opinion publique turque a progressivement changé d’avis à leur propos. Aussi, très vite, la Turquie a commencé à soutenir les forces politiques et militaires anti-Assad. Sa confiance en la victoire de l'opposition était telle que le Premier ministre de l'époque, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré en 2012 qu'il prierait bientôt dans la mosquée des Omeyyades à Damas. Cela s'est avéré prématuré, mais la Turquie a continué d'accueillir et de soutenir toute une série de milices rebelles, autorisant également des combattants étrangers à franchir sa frontière. Certains prétendent que dans son empressement à voir tomber Assad, la Turquie a fermé les yeux sur certaines des caractéristiques les moins louables de l'opposition, et les a même parfois soutenus. Plus récemment, Ankara a transformé l'Armée nationale syrienne (ANS) en une force qui défend les intérêts turcs et, en 2020, elle a négocié la paix qui a permis au HTS de s’implanter dans la ville d’Idlib, où il a établi sa structure de gouvernance et entamé sa marche sur Damas.

 

 

La Turquie est également intervenue en Syrie en raison de ses préoccupations concernant l'émergence politique et militaire des Kurdes syriens. Au début de la guerre, les forces d'Assad se sont retirées du nord de la Syrie pour combattre les rebelles plus proches de Damas. Les Kurdes locaux ont pris leur place, déclarant leur autonomie, rédigeant une constitution et établissant une structure de gouvernance qui est devenue l'administration autonome du Nord Est de la Syrie (AANES). La Turquie a été témoin de ce processus avec effroi, le pays considerant l’administration et son corps militaire, à savoir les Forces démocratiques syriennes (FDS), comme des extensions du parti hors-la-loi des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui est depuis longtemps en conflit avec Ankara.

 

 

Pour compliquer les choses, les FDS sont devenues les soldats de la campagne internationale visant à vaincre ISIS en Syrie. Cela a commencé après que les États-Unis ont fourni des munitions et porté aide aux milices kurdes YPG et YPJ qui ont été assiégées dans la ville syrienne de Kobani à la fin de l'année 2014. Par la suite, avec le soutien des États-Unis, les milices kurdes ont repoussé ISIS, élargissant leur zone de contrôle. Ce faisant, elles ont intégré d'autres groupes rebelles, arabes sunnites, syriaques, arméniens et yézidis, pour devenir les FDS, mais la Turquie continue de considérer les FDS comme uniquement kurdes et de les classer comme une organisation "terroriste" en raison de leurs liens avec le PKK. Les États-Unis maintiennent une présence militaire dans le nord-est de la Syrie, apparemment dans le but de surveiller ISIS, mais aussi pour prévenir tout nouvel empiétement turc. Ankara, pour sa part, s'insurge contre le soutien américain aux FDS.

 

 

Une source de conflit turco-kurde ?

 

 

Le duo turco-kurde apparaît désormais comme l'une des potentielles sources de conflit en Syrie après le régime Assad. Les choses ont déjà tourné au vinaigre. La semaine dernière, alors même que le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, exhortait les forces d'opposition en Syrie à rester unies, les milices du SNA, soutenues par la puissance aérienne turque, attaquaient les positions des FDS à Manbij, sur la rive ouest de l'Euphrate. Les intenses combats n'ont pris fin qu'à la suite d'un accord américano-turc autorisant le retrait des forces kurdes.

 

 

Par la suite, il a été rapporté que le SNA, toujours avec le soutien de la Turquie, avance vers Kobani et le barrage de Tishreen, à l'est d'Alep. La Turquie verrait sans aucun doute la prise de Kobani comme une victoire stratégique majeure. Elle sonnerait également le glas de toute réconciliation turco-kurde, au sein de la Turquie ou ailleurs. C'est à Kobani que les forces kurdes se sont rassemblées pour la première fois pour vaincre ISIS, alors que celles-ci étaient au bord de la défaite C’est pour cela qu’aux yeux des kurdes de tous bords politiques confondus, la ville est le symbole de sa grande importance. Si la Turquie, par l'intermédiaire de son mandataire, la SNA, venait à s'emparer de la ville, cela susciterait la rancœur de nombreux kurdes dans toute la région.

 

 

Ankara insiste sur le fait que l'administration dirigée par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie est une "organisation terroriste" qui menace la Turquie et qui a l'intention de faire sécession de la Syrie. Les Kurdes soutiennent le contraire, affirmant que l’AANES est une entité syrienne distincte qui s'est opposée à Assad, dénuée de toute ambition territoriale. Les spectateurs de cette scène notent également que, même si le contrôle kurde dans le nord-est de la Syrie est loin d'être parfait, il a permis d'instaurer un ordre relativement tolérant et clairement multiculturel alors que le reste de la Syrie était en proie au sectarisme et à la violence.

 

 

Les kurdes sont inquiets

 

 

Les sources kurdes avec lesquelles je me suis entretenu craignent ce qui nous attend et se méfient des intentions de la Turquie au vu de la reprise de Manbij par la SNA et des nouvelles attaques contre les positions des FDS. La Turquie s’est déjà rendue au nord de la Syrie à trois reprises pour repousser les forces des FDS loin de la frontière, et a continué à mener des frappes aériennes contre les infrastructures. La Turquie contrôle désormais plusieurs parties du territoire au nord de la Syrie. Pourtant, contrairement aux unités des FDS, les milices arabes sunnites soutenues par la Turquie dans ces régions ont été largement accusées de violations des droits de l'homme à l'encontre des kurdes et d'autres personnes.

 

 

Dans ces circonstances, la diplomatie devient primordiale. Sinam Mohamed, représentant des FDS en Amérique, a cherché à obtenir de Washington l'assurance que les kurdes ne seraient pas abandonnés. Le président américain Joe Biden a déclaré que les troupes américaines resteraient dans le nord-est de la Syrie, mais les Kurdes gardent à l'esprit la déclaration de Donald Trump selon laquelle il compte rapatrier les Américains. Ils se souviennent des événements de 2019, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan s’était montré plus rusé que Trump et avait autorise une invasion turque, entraînant la mort de nombreux civils et le meurtre du politicien kurde Hevrin Khalaf.

 

 

À l'heure actuelle, les relations diplomatiques américano-turcs sont maintenues. En effet, le secrétaire à la défense Lloyd Austin est en contact avec Ankara et le secrétaire d'État Antony Blinken, lui, se rend en Turquie pour discuter de l'évolution de la situation dans la région. Entre-temps, Ursula von Leyden, présidente de l'Union européenne, a fait l’état d'échanges considérables avec des responsables turcs. Il faut espérer qu'un terrain d'entente pourra être trouvé afin que la paix récemment obtenue en Syrie puisse être prolongée.

 

 

Il n’y a aucun doute quant au fait que la Turquie joue un rôle important en Syrie après la chute du régime Assad. Mais, il reste à voir si celle-ci est en mesure de concevoir de nouvelles réalités qui réduiraient les hostilités entre ses alliés arabes sunnites et l'administration dirigée par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie, et qui créeraient un espace pour ces derniers. Si tel était le cas, les avantages seraient multiples des deux côtés de la frontière.

 

 

Cet article est publié sous une licence Creative Commons et peut être republié avec mention.

First published in :

Australian Institute of International Affairs

바로가기
저자이미지

William Gourlay

William Gourlay enseigne l'histoire et la politique du Moyen-Orient à l'université Monash, où il a obtenu son doctorat sur l'identité kurde en Turquie. Il a auparavant travaillé comme enseignant, journaliste et rédacteur en chef à İzmir (Turquie), à Londres et à Melbourne, sa ville natale. Il effectue des recherches et écrit sur l'histoire, les arts et la société de la Turquie et de ses voisins. Il est l'auteur de The Kurds in Erdogan's Turkey.

Thanks for Reading the Journal

Unlock articles by signing up or logging in.

Become a member for unrestricted reading!