Defense & Security
Opinion – Un cessez-le-feu immédiat en Ukraine est une lame à double tranchant
Image Source : Shutterstock
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First Published in: Dec.16,2024
Jan.06, 2025
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Donald Trump a affirmé qu’il pourrait mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine dans les 24 heures suivant sa prise de fonctions. Il appelle à un cessez-le-feu immédiat en Ukraine et à ce que des négociations soient dès à présent entamées. Cependant, l’histoire nous montre que ce qui ne peut être obtenu sur le champ de bataille a peu de chances d’être obtenu à la table des négociations. Il est fort probable que dans les circonstances actuelles, un cessez-le-feu immédiat de la guerre en Ukraine soit une arme à lame double tranchant pour les États-Unis. La Russie occupe d’importants territoires ukrainiens, notamment la Crimée, Donetsk, Louhansk, Kherson et des parties de Zaporijia, ce qui représente environ 18 % du territoire ukrainien. L’Ukraine a fait des incursions dans les régions russes de Belgorod et de Briansk, ce qui ne représente que moins de 1 % du territoire total de la Russie. Comment les deux parties pourraient-elles atteindre leurs objectifs à la table des négociations ?
L'envoyé spécial de Trump, Keith Kellogg, propose de mettre fin à la guerre en arrêtant les livraisons d'armes à l'Ukraine s’il refuse de s'engager dans des pourparlers de paix - et d’envoyer davantage de livraisons d'armes à l'Ukraine si la Russie ne fait pas de même. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a évoqué la possibilité de négocier un accord de cessez-le-feu avec la Russie, proposant que le statut des territoires occupés soit abordé avec diplomatie à un stade ultérieur. Cela reflète la position de faiblesse dans laquelle l'Ukraine, qui est sous pression, se trouve. La Russie est ouverte à des pourparlers de paix, mais il est peu probable qu'elle fasse un compromis majeur avec l'Ukraine.
Malgré un soutien important de l’OTAN envers l’Ukraine, les ressources militaires nécessaires, telles que des munitions et des systèmes de défense aérienne, pour contrer les avancées russes et avoir un réel impact lors d’offensives stratégiques n’ont pas été fournies. Cela en raison d’objectifs stratégiques flous et de la mise en place de certaines mesures efficaces.
Contrairement à ce que l’on pensait, les sanctions imposées par les États-Unis et leurs alliés n’ont pas paralysé l’économie russe. Bien loin de là, l’économie russe a connu une hausse de 3,1 % au troisième trimestre 2024 et sa dette nationale reste à 14,6 % du PIB, soit à peu près le même niveau qu’au début de la guerre en 2022. En 2023, la Russie a dépensé 160 milliards de dollars pour ses besoins militaires, soit environ 40 % de son budget. La Russie a déjà alloué 13 500 milliards de roubles (plus de 145 milliards de dollars) à la défense nationale, soit 32,5 % du budget pour l'année 2025.
Ayant le soutien de la Corée du Nord, de l’Iran, de la Chine et d’autres pays, il est probable que la Russie maintienne ses efforts sur le sol ukrainien. En revanche, l’Ukraine, elle, a peu de chances de remporter une victoire décisive. Si ses alliés poursuivent leur stratégie actuelle, couplée à une baisse des aides financières, l’Ukraine risque de rapidement épuiser ses ressources. Le conflit serait alors prolongé jusqu’à arriver à une impasse où l’Ukraine n’aurait pas l’avantage lors des négociations.
Un cessez-le-feu immédiat pourrait sans aucun doute contribuer à empêcher que la guerre ne fasse de nouvelles victimes et enfin soulager les populations fortement touchées par le conflit. Aussi, il pourrait permettre aux pays qui soutiennent l’Ukraine de se débarrasser d’une certaine partie du fardeau que les coûts militaires et financiers représentent pour ces pays, en libérant des ressources pour les priorités nationales et afin de répondre à d’autres défis internationaux, en particulier celui de la Chine. Cependant, un cessez-le-feu immédiat, selon la carte actuelle du champ de bataille, pourrait également profiter aux rivaux des États-Unis : les régimes autoritaires. Tout d’abord, cela viendrait consolider le contrôle de la Russie sur les territoires occupés, ce qui permettrait à Moscou de revendiquer une victoire partielle et de renforcer le soutien national. Un tel résultat montrerait qu’un pays peut aujourd’hui envahir un autre pays et ne pas en subir les conséquences, ce qui porterait un coup aux lois internationales.
Deuxièmement, cela pourrait affaiblir l’engagement des États-Unis à défendre la souveraineté de l’Ukraine, en montrant à leurs adversaires qu’une agression territoriale peut réussir si elle dure suffisamment longtemps. Les alliés européens, eux, pourraient voir en un cessez-le-feu le signe d’une détermination américaine - à venir en aide à l'Ukraine - faiblissante, ce qui entraînerait des fractures au sein de l’OTAN et affaiblirait l’unité transatlantique. Les alliés en Asie, notamment le Japon, la Corée du Sud et les Philippines, pourraient alors douter de la capacité des États-Unis à honorer leurs engagements en matière de sécurité dans la région.
Troisièmement, la Chine a suivi de près la réaction et l’attitude de l’Occident face au conflit ukrainien, en observant notamment la cohésion des alliances, l’impact des sanctions et la dynamique du soutien militaire. Un gel immédiat de la guerre mettrait en lumière les limites de la détermination occidentale à venir en aide à un pays comme l’Ukraine et laisserait à penser qu’une agression territoriale peut produire des gains durables. Cela donne raison au gouvernement de Pékin qui est convaincu que la communauté internationale hésiterait à intervenir de façon militaire à Taiwan et encourage la Chine à changer le statu quo concernant le détroit de Taiwan, persuadée qu’elle peut gérer les sanctions économiques et les pressions diplomatiques.
Quatrièmement, un cessez-le-feu immédiat ne garantit pas une paix sur le long terme. En effet, l’absence d’accord de paix totale ne résout pas les problèmes sous-jacents et ne fait que remettre les conflits à plus tard. Ainsi, une paix durable est peu probable. D’un point de vue historique, les conflits gelés comme ceux de l’Ossétie du Sud en Géorgie et de la Transnistrie en Moldavie ont favorisé une instabilité prolongée, permettant aux agresseurs de consolider leur contrôle sur les territoires occupés et d’exercer une influence sur les États concernés. L'exemple de l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014 montre que tolérer un agresseur ne fait qu’encourager l’expansion de ses ambitions.
Au lieu d’un accord de cessez-le-feu immédiat, il est nécessaire de davantage soutenir l’Ukraine dans sa reconquête territoriale en modifiant la stratégie actuelle avant de parvenir à un accord de cessez-le-feu. L’histoire montre que les reconquêtes territoriales réussies nécessitent souvent d’affirmer la puissance militaire avant d’engager des pourparlers de paix. Un cessez-le-feu sans la confirmation - nécessaire - de la souveraineté de l’Ukraine risque de légitimer l’invasion de la Russie. Une contre-offensive ukrainienne réussie pourrait non seulement renforcer l’influence de l’Ukraine dans les négociations, mais aussi servir de puissant moyen de dissuasion contre les futures ambitions territoriales d’autres régimes autoritaires dans le monde.
Lorsqu'ils joueront le rôle de médiateur pour qu’un accord de cessez-le-feu soit passé entre l’Ukraine et la Russie, les États-Unis ne compromettront pas leurs intérêts nationaux. Cependant, il est extrêmement difficile pour tout président américain de négocier un accord de paix à l’heure actuelle. En effet, un tel accord devrait respecter la souveraineté de l'Ukraine et ses frontières reconnues à l’internationale, respecter le soutien des États-Unis à un ordre international fondé sur des règles strictes et assurer un équilibre entre les deux parties au lieu de récompenser la Russie. Il devrait renforcer les relations entre les États-Unis et l'Europe plutôt que de saper l'unité des alliés, adhérer aux principes de longue date de la politique étrangère des États-Unis plutôt que de privilégier les gains politiques, et renforcer la réputation des États-Unis en tant que leader mondial fiable. Dans le cas contraire, le gel immédiat de la guerre pourrait potentiellement nuire aux intérêts nationaux des États-Unis à long terme et encourager les ambitions des pays belliqueux du monde entier.
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Le Dr Jinghao Zhou est professeur agrégé d'études asiatiques aux collèges Hobart et William Smith de New York. Ses recherches portent sur la Chine contemporaine et les relations entre les États-Unis et la Chine. Il a publié six livres et six douzaines d'articles. Son dernier livre est Great Power Competition as the New Normal of China-U.S. Relations (Palgrave 2023).
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