Analyse de Nadia Helmy
Par sa récente position officielle à l'égard de la guerre à Gaza, la Chine cherche à définir sa position en tant que leader et défenseur de ce que l'on appelle le « Sud mondial » pour faire passer la politique de transformation vers un monde international multipolaire face aux États-Unis et à leurs alliés occidentaux. La Chine saisit l'occasion pour exprimer le besoin urgent de redéfinir le système mondial dirigé par l'Occident sous la houlette de Washington. Moscou et Pékin considèrent tous deux que, suite à la guerre menée par Israël contre Gaza, les Occidentaux ne portent plus leur soutien à l'Ukraine mais à Israël, face à la Russie, proche alliée de Pékin, tandis que la Chine considère la guerre sous l'angle de sa confrontation avec les États-Unis. La Chine tente d'exprimer l'opinion publique mondiale et populaire sur le conflit israélo-palestinien, dans le cadre d'une stratégie chinoise beaucoup plus large visant à gagner le soutien des pays du Sud à ses côtés.
La Russie et la Chine s'efforcent de tirer profit de la guerre à Gaza en renforçant leur rôle de défenseurs des pays du Sud et en démontrant l'échec et la partialité des États-Unis et du système international mené par Washington dans le traitement des griefs de ce grand bloc de pays du Sud. Cela permet également de concrétiser la vision du président chinois Xi Jinping d'un leadership chinois sur le Sud, qui comprend la majorité des pays arabes et la Palestine, ce qui renforce les efforts de Pékin pour affronter Washington et ses alliés occidentaux et redéfinir le système international en sa faveur. La Chine a exploité les sentiments anti-israéliens dans le monde et dans son pays pour tenter de renforcer sa position dans le cadre du Sud global. Dans ses efforts acharnés pour exprimer l'opinion publique mondiale et les sentiments des peuples, la Chine poursuit divers et nombreux projets pour soutenir les problèmes du Sud mondial en développement, plus particulièrement la cause palestinienne, et dans le but d’exposer ce que la Chine considère comme une politique américaine de deux poids deux mesures dans le traitement des Palestiniens par rapport à celui d'Israël.
La Chine, successeur du Brésil, a pris les rênes de la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies en novembre 2023. Elle est alors immédiatement intervenue après l'opération « Déluge d'Al-Aqsa », à savoir la guerre de Gaza en octobre 2023, qui coïncidait avec une hausse des opérations militaires israéliennes de nature brutale à Gaza. En faisant cela, la Chine a pris le risque de susciter la colère d’Israël, car elle voit dans le conflit actuel des enjeux plus larges que la question israélo-palestinienne. Pékin voit dans cette crise l'occasion de se démarquer de l'Occident pro-israélien et d'améliorer sa réputation dans le Sud, où de nombreux pays sympathisent fortement avec la cause palestinienne, ce qui donne l'avantage à la Chine. À cette fin, la Chine a utilisé une rhétorique diplomatique ferme contre les crimes israéliens dans la bande de Gaza et a condamné la position américaine, en particulier les obstacles créés par les États-Unis en votant contre une série de résolutions chinoises et russes sur le cessez-le-feu au Conseil de sécurité de l'ONU. En outre, la Chine a soutenu plusieurs décisions de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale visant à condamner Israël et à arrêter son Premier ministre Benjamin Netanyahu.
La Chine a utilisé son droit de veto contre un projet de résolution proposé par les États-Unis le 15 octobre 2023, qui comprenait l'accès de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza mais qui ne comprenait pas d'appel à un cessez-le-feu immédiat, ni à une trêve humanitaire permanente. Le représentant permanent de la Chine auprès des Nations unies, Chang Jun, a justifié le veto chinois en expliquant que le projet américain comprend de nombreux éléments qui divisent au lieu d'unir, qu'il va au-delà de la dimension humanitaire, qu'il est déséquilibré et mélange le bien et le mal, et qu'il ne reflète pas un appel fort en faveur d'un cessez-le-feu et d'une fin de la violence. En effet, Chang Jun estime que le cessez-le-feu n’est pas une simple stratégie diplomatique, mais que pour de nombreux civils il s’agit-là d'une question de vie ou de mort, ce que Washington n'a pas compris, selon lui. La Chine a également participé au Sommet de la paix du Caire 2023, qui s'est tenu le 21 octobre 2023 dans la nouvelle capitale administrative. Durant le sommet, la Chine à promu l'idée de mettre un terme à la guerre à Gaza. Mais, la raison pour laquelle la Chine s'intéresse tant à la question palestinienne (depuis la guerre à Gaza) est peut-être davantage le fruit de sa rivalité avec les États-Unis et de son désir de renvoyer une image positive à l'échelle nationale voire même internationale, maintenant que celle-ci occupe sa nouvelle position : grande puissance mondiale. La Chine veut être perçue comme une superpuissance sage et responsable qui s'intéresse au rôle de médiateur et à consolider la paix. Il est également probable que Pékin cherche à présenter un point de vue alternatif à celui des États-Unis sur la paix dans l'ordre mondial, en particulier dans le Sud, où la plupart des pays de la région soutiennent les Palestiniens.
Pékin s’est déjà beaucoup investi dans le conflit israélo-palestinien, le pays a notamment soutenu de façon active les factions palestiniennes et les a invité à se rendre en Chine afin de finaliser le processus de réconciliation. Depuis le début de la guerre à Gaza, la position des politiques chinois et les déclarations des fonctionnaires de Pékin sont de plus en plus critiques à l'égard du comportement d'Israël. Pékin a critiqué les bombardements de civils par Israël, condamné les violations du droit international, appelé à la mise en œuvre de la solution des deux États et à la création d'un corridor humanitaire pour permettre à l'aide d’accéder à la bande de Gaza assiégée. Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, est allé plus loin en décrivant les bombardements israéliens sur les civils de Gaza comme des actions dépassant le cadre de l'autodéfense.
Les médias d'État chinois se sont également montrés très critiques à l'égard d'Israël et, dans la plupart de leurs reportages, ont cité des médias iraniens, les Chinois insistant sur le fait que : « L'utilisation illégale de bombes au phosphore blanc par l'armée israélienne contre les civils palestiniens l'expose à une responsabilité internationale. Les médias d'État chinois ont également blâmé les États-Unis, le plus grand allié d'Israël, qui ont aussi été explicitement accusés à Pékin d'alimenter les tensions dans la région. La Chine a également suscité la colère d’Israël en refusant de se joindre aux États-Unis et à d'autres pays pour désigner le Hamas comme une organisation terroriste, le décrivant plutôt comme un mouvement de résistance palestinien.
Fin octobre 2024, immédiatement après la guerre de Gaza, le China Daily, un organe de propagande chinois, a déclaré que : « les États-Unis sont du mauvais côté de l'histoire à Gaza ». Par ailleurs, la télévision d'État chinoise a indiqué que les Juifs représentent 3 % de la population des États-Unis, mais contrôlent plus de 70 % de leurs richesses. Tous les médias officiels et populaires chinois s'attachent à répéter les récits qui dominent le discours populaire dans les pays du Sud. Cela est conforme à l'opinion dominante dans certains pays du Sud et permet à la Chine de se présenter comme une alternative aux États-Unis qui renvoient l’image d’un pays belliqueux, hégémonique, hypocrite et injuste.
En juillet 2024, le Hamas, le Fatah et d'autres factions palestiniennes ont signé un accord préliminaire dans la capitale chinoise, à Pékin, pour former un gouvernement de transition pour la réconciliation nationale, dans le but de gérer Gaza après la fin de la guerre. Le même groupe s'est réuni dans la capitale russe, à Moscou, en février 2024, afin de trouver un accord similaire. En parallèle, la Chine a réussi à réunir les mouvements palestiniens du Fatah et du Hamas à la table des négociations à Pékin lors de deux sessions du dialogue national en avril et juin 2024, dans une démarche qui reflète le désir de la Chine d'interagir avec la question palestinienne de manière positive.
Les médias officiels chinois tentent de soutenir leur position face à l'opinion publique chinoise et à sa sympathie pour le peuple de Gaza, en mettant l'accent sur le discours officiel de la Chine, qui cherche à confirmer que Pékin a fait des propositions pour arrêter la guerre à Gaza, a réuni les mouvements palestiniens Hamas et Fatah à l'intérieur de la Chine, et a appelé le Conseil de sécurité de l'ONU à calmer le conflit. La Chine a également saisi l'occasion de ses rencontres avec les ministres des affaires étrangères des pays arabes et du Golfe pour réaffirmer les multiples plans de paix qu'elle avait déjà proposés en faveur de la résolution de la question palestinienne. L'envoyé chinois au Moyen-Orient, Zhai Jun, a confirmé, avec des responsables palestiniens et arabes, l'appel immédiat de la Chine en faveur d'un cessez-le-feu et d'un soutien humanitaire au peuple palestinien.
Le professeur chinois « Yan Shutong », doyen de l'Institut des relations internationales de l'université chinoise Xinhua, a décrit la guerre de Gaza de la manière suivante : « La guerre Israël-Gaza réduira l'influence politique mondiale des États-Unis. Cela est devenu très clair, car même ses alliés devront prendre leurs distances sur cette question, et avec la détérioration des relations stratégiques des États-Unis avec d'autres grandes puissances, l'équilibre stratégique entre la Chine et les États-Unis se déplacera en faveur de la Chine ». Wang Yiwei, professeur de relations internationales à l'université Renmin de Pékin, a également déclaré : « La Chine est désormais mieux placée que les États-Unis pour contribuer à la résolution des conflits, que ce soit entre l'Arabie saoudite et l'Iran, la Russie et l'Ukraine, ou Israël et les Palestiniens ». Dans ce contexte, le professeur Shi Yinhong, professeur de relations internationales à l'Université Renmin de Chine, affirme que : « La politique de Pékin au Moyen-Orient a été paralysée par le conflit, étant donné que les États-Unis, qui soutiennent fortement Israël, sont impliqués dans cette crise, que ce soit directement ou indirectement. Qui écouterait la Chine ? Un rapport de l'organisation internationale de défense des droits de l'homme Freedom House décrit une vague de sentiments antisémites sur l'Internet chinois et dans les médias chinois, en particulier les médias sociaux chinois les plus populaires, tels que WeChat, grandement utilisé, Weibo, QQ et d'autres. Le rapport de Freedom House a confirmé que : « En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, le gouvernement chinois promeut depuis longtemps un discours qui rejette toute la responsabilité sur Israël. Compte tenu de la sympathie croissante de la population chinoise pour les Palestiniens, tant au niveau mondial qu'au niveau national, de la diffusion sans précédent de ses manifestations au sein de la société chinoise via les médias sociaux chinois et de l'organisation de manifestations limitées en raison de la politique intérieure sensible de la Chine à l'égard des manifestations populaires, les décideurs de Pékin se trouvent confrontés au défi de maintenir une position équilibrée entre les crimes commis par Israël contre les civils dans la bande de Gaza et la position des Palestiniens dans la bande de Gaza.
En tant qu'expert de la politique chinoise et des politiques du Parti communiste chinois au pouvoir, et étant constamment informé de tous les rapports des groupes de réflexion et des centres de recherche chinois, en particulier ceux liés au Moyen-Orient, nous avons pu constater qu'un certain nombre d'analyses chinoises adoptent une tendance, une vision et peut-être une autre théorie ou école pour la guerre à Gaza, à savoir la théorie « war between wars », qui s'est ensuite avérée correcte dans une large mesure, ce qui signifie : que la guerre qui se limitait au mouvement palestinien Hamas-Israël, ainsi qu'aux actions et agissements d'Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, s’étendra. La guerre inclura alors un conflit entre Israël et l'Iran, mais par l'intermédiaire de ses agents dans la région, ce qui signifie mener des guerres sur différents fronts en même temps, à savoir la guerre d'Israël contre le Hamas, la guerre contre les éléments de la résistance palestinienne en Cisjordanie, la guerre contre le Hezbollah sur le front du Sud-Liban, la guerre contre les menaces des milices houthies au Yémen, la guerre contre les milices chiites en Syrie et en Irak, et la guerre contre l'Iran, qui est à la tête de l'axe de la résistance.
À cette fin, la Chine a saisi l'occasion du 10ème Forum de coopération sino-arabe, qui se tiendra le 30 mai 2024, avec la participation du président chinois « Xi Jinping » et d'un certain nombre de dirigeants arabes, en particulier le président égyptien « Abdel Fattah Al-Sissi », pour refléter le désir commun de discuter des relations sino-arabes et des moyens de les renforcer, approfondir le consensus entre la Chine et les pays arabes, soulever des questions sur la position de Gaza dans les discussions sino-arabes, les limites du rôle de la Chine à aider mettre un terme à l'attaque israélienne de Gaza, et promouvoir une approche pour résoudre le conflit Israélo-Palestine, avec la solution des deux États soutenue par les grandes puissances, et notamment la Chine. Sur ce sujet, le sommet arabe, qui s'est tenu dans la capitale bahreïnienne, Manama, le 16 mai 2024, a adopté la demande de faire se tenir une conférence de paix internationale qui contribuerait à rétablir les discussions de négociations. Cet demande survient lorsque le président chinois Xi Jinping à organiser une conférence internationale sur la paix lors du Forum de coopération sino-arabe, où il a souligné dans son discours devant le forum le 30 mai 2024 que Pékin veut renforcer ses relations avec les pays arabes pour être un modèle de stabilité mondiale, appelant à une conférence internationale sur la paix visant à mettre fin à la guerre entre Israël et le Hamas, notant que Pékin est prêt à travailler avec les pays arabes pour résoudre des questions complexes tout en soutenant le principe de la paix et de la sécurité internationales.
En se basant sur l'analyse précédente, nous arrivons à la conclusion que la tendance chinoise à interagir avec les questions du Moyen-Orient et la récente guerre de Gaza représentent l'un des piliers du rôle croissant que la Chine joue sur la scène mondiale et parmi les pays en développement du Sud global menés par la Chine. Cette tendance coïncide avec la vision des États-Unis de limiter leurs liens avec les interactions du Moyen-Orient, en raison de leur coût élevé, et de s'orienter vers l'Est pour faire face à l'influence croissante de la Chine en Asie.