Diplomacy
Analyse des propositions de Trump faites à l'Ukraine

Image Source : Wikimedia Commons
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First Published in: Feb.13,2025
Feb.24, 2025
Enfin, après de nombreuses fuites de données, allusions, intimations et tergiversations, le président américain Donald Trump pourrait avoir proposé quelque chose d'un peu plus précis que ses premières promesses générales au sujet de mettre fin au conflit russo-ukrainien en 24 heures. Pour la première fois, nous avons accès à une ébauche de son plan de paix. Ce plan a été révélé par divers médias ukrainiens et européens la semaine dernière et, bien qu'il n'ait jamais été officiellement confirmé par la Maison Blanche ou le Département d'État, nous avons des raisons de croire que nous sommes effectivement en train d’assister à l’élaboration de l’approche de la nouvelle administration quant au conflit militaire vraisemblablement le plus destructeur et le plus dangereux de notre époque. Toutefois, le diable se cache toujours dans les détails. Examinons de plus près ce que Trump a fait ou peut faire.
Un cessez-le-feu
Selon ce plan, le processus de paix devrait commencer par un appel téléphonique urgent entre les présidents Poutine et Zelensky, suivi d'une rencontre face à face au plus tard à la fin du mois de février ou au début du mois de mars. Un cessez-le-feu complet le long de la ligne de contact actuelle devrait être mis en place le jour de la Pâque chrétienne 2025 (20 avril) et des unités européennes de maintien de la paix seront chargées de surveiller une zone démilitarisée séparant les deux parties (les troupes américaines ne seront pas présentes sur le terrain). Peu après, à l'occasion du 80ème anniversaire du Jour de la Victoire en Europe (9 mai), un accord de paix global devrait être signé et, si nécessaire, ratifié par les parties du conflit.
Il s'agit là d'un programme exceptionnellement audacieux et ambitieux, mais est-il pour autant réaliste ? Tout d'abord, il serait même très difficile de faire en sorte que Poutine et Zelensky se parlent directement. À l'automne 2022, le président ukrainien a signé un décret spécial lui interdisant d'entamer des négociations directes avec son homologue russe. Du côté russe, il existe de sérieux doutes quant à la légitimité du dirigeant ukrainien, puisque son mandat a déjà expiré en mai 2024 et qu'aucune élection nationale n'a été organisée par la suite. Plus important encore, il serait très difficile de faire respecter le cessez-le-feu, si et quand il sera conclu. L'expérience (ratée) de la mise en œuvre de l'accord de Minsk et de la surveillance internationale n'est pas très rassurante, et la ligne de contact est aujourd'hui beaucoup plus longue qu'elle ne l'était en 2015. Il serait pratiquement impossible de préparer une mission de surveillance internationale, composée de dizaines de milliers d'hommes et de femmes en uniforme prêts et correctement équipés, du moins dans le délai suggéré par l'administration américaine. Il va sans dire que la Russie accepterait difficilement une mission de maintien de la paix de l'UE et de l'OTAN sur son territoire.
Des compromis territoriaux
Trump suggère apparemment que les deux parties s'en tiennent aux territoires qu'elles contrôlent actuellement. Cette idée implique logiquement que Kiev accepte la souveraineté russe sur les parties des quatre anciennes régions ukrainiennes ainsi que sur la péninsule de Crimée qui a été réunie à la Fédération de Russie il y a onze ans après le référendum de mars 2014. La partie ukrainienne devrait également se retirer des territoires russes de la région de Koursk qu'elle occupe actuellement. En échange, la Russie devrait arrêter son offensive en cours dans le Donbass et limiter ses acquisitions territoriales à ce qu'elle possède déjà.
Il est clair que cette proposition n'est pas exactement l’ultime accord de paix que Kiev ou Moscou auraient envisagé. En Ukraine, les dirigeants espèrent toujours qu'à un moment donné, ils seront en mesure de restaurer l'intégrité territoriale du pays, y compris ce qu'ils ont perdu en 2014, à savoir des parties du Donbass oriental et de la Crimée. Les dirigeants russes, quant à eux, ont l'intention de s'emparer au moins de tous les territoires restants des quatre régions qu'ils ne contrôlent pas entièrement à l'heure actuelle (Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporozhye) et peut-être même d'avancer plus à l'ouest. (Kharkov, Odessa, etc.). Parvenir à un compromis entre ces deux positions serait vraiment formidable.
Le statut futur de l'Ukraine
Selon Donald Trump, l'Ukraine ne devrait pas devenir membre de l'OTAN, du moins dans un avenir proche. Il reste sceptique quant à une éventuelle contribution de l'Ukraine à la sécurité de l'Alliance, il ne veut pas élargir la zone de responsabilité de l'OTAN et il ne veut pas franchir la ligne rouge de Moscou sur cette question. Toutefois, l'Ukraine pourrait encore aspirer à rejoindre l'Union européenne d'ici peu, et les États-Unis sont prêts à aider Kiev à répondre à ses aspirations européennes.
Un statut de neutralité pour l'Ukraine est quelque chose que beaucoup à Kiev déploreraient et considéreraient comme un sérieux revers, alors que beaucoup à Moscou l'apprécieraient et le soutiendraient sans aucun doute. Mais comment cette neutralité pourrait-elle être garantie sur le long terme ? Après tout, l'Ukraine a déjà été neutre ; ce statut avait été explicitement énoncé dans la toute première déclaration sur la souveraineté ukrainienne, qui avait été approuvée par le parlement ukrainien avant même que l'Union soviétique ne se désintègre puis incorporée dans la constitution ukrainienne. Pourtant, depuis au moins 2008, Kiev s'éloignait de sa position neutre initiale ; finalement, la constitution nationale a été révisée et les dirigeants politiques ukrainiens pro-occidentaux ont commencé à chercher de façon active à adhérer à l'Alliance de l'Atlantique Nord. Qu'est-ce qui empêcherait la future Ukraine de changer à nouveau d'avis dans cinq, dix ou vingt ans, lorsque ni Trump ni Poutine ne seront là pour l'empêcher de s'engager sur la voie de l'adhésion à l'OTAN ?
Des garanties de sécurité
Au lieu d'offrir à Kiev une adhésion rapide à l'OTAN, Trump est prêt à fournir des garanties de sécurité américaines à l'Ukraine en échange d'un accès préférentiel des entreprises américaines aux précieuses ressources minérales ukrainiennes, notamment le gaz naturel, le lithium, le titane et le graphite. Les États-Unis continueront d'aider l'Ukraine en lui livrant du matériel militaire jusqu'en 2030 au moins, mais ces livraisons ne seront plus la forme d’un acte de charité - elles devraient générer des profits appropriés pour le secteur américain de la défense et créer des emplois pour les travailleurs américains.
Cette partie des propositions de Trump reste très ambiguë et peu claire. Quel type de garanties de sécurité les États-Unis sont-ils prêts à offrir à l'Ukraine ? Allons-nous voir des bases militaires américaines sur le sol ukrainien ou toute autre manifestation de la présence militaire américaine dans ce pays ? Trump est-il prêt à faire de l'Ukraine un autre Israël ou un autre Japon ? Si tel est le cas, un tel arrangement diffère-t-il vraiment beaucoup d'une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ? Moscou accepterait-elle facilement une présence militaire américaine pas si symbolique que cela, si près de ses frontières ? L'accès proposé par les États-Unis aux ressources naturelles de l'Ukraine soulève également de nombreuses questions. L'Ukraine possède en effet des gisements de minéraux précieux (dont la valeur totale pourrait s'élever à 15 000 milliards de dollars), mais la plupart de ces gisements sont situés sur des territoires aujourd'hui contrôlés par la Russie.
Des sanctions
Pour inciter Moscou à faire preuve de la souplesse (d’un point de vue diplomatique) qui lui est requise, Donald Trump propose à la Russie de lever les sanctions économiques dans le cadre de l'accord de paix global. Il affirme que les sanctions occidentales ont un impact négatif profond sur l'économie russe, ralentissent la modernisation de la Russie et empêchent le pays de prendre la place qui lui revient dans le système économique international. La perspective d'une levée des sanctions devrait donc inciter le Kremlin à chercher un compromis raisonnable pour mettre fin au conflit fratricide.
Cette idée semble excellente, mais il semble que Trump offre plus que ce qu’il est réellement en mesure de faire. Tout d'abord, la Russie souffre davantage des sanctions de l'UE que de celles des États-Unis ; les échanges commerciaux entre la Russie et l'UE ont toujours été nettement plus importants que ceux entre la Russie et les États-Unis. Aucun président américain ne peut simplement « ordonner » aux alliés européens des États-Unis d'inverser complètement leur politique actuelle à l'égard de Moscou, même si le conflit russo-ukrainien s'arrête miraculeusement. Il y a fort à parier que les sanctions européennes imposées à Moscou resteront en place pendant longtemps, même si les sanctions américaines sont levées. Deuxièmement, même en ce qui concerne la levée des sanctions américaines, Donald Trump n'est pas si omnipotent que cela. Certaines de ces sanctions ont été approuvées par le Congrès américain et sont devenues des lois nationales. Pour les annuler ou même les alléger, il faudrait adopter une décision législative appropriée au Capitole, ce qui pourrait s'avérer extrêmement compliqué et long.
La reconstruction de l'Ukraine
Comme dans beaucoup d'autres cas, Trump n'a absolument pas l'intention de dépenser de grandes quantités d'argent du contribuable américain pour reconstruire un pays aussi lointain que l'Ukraine. Au lieu de cela, le président américain voudrait imposer ce lourd fardeau à l'Union européenne (exactement comme il a l'intention d'imposer le fardeau financier de la reconstruction de Gaza aux États arabes du Golfe). Le coût de la reconstruction de l'Ukraine pourrait s'élever à 500 milliards de dollars, et l'UE devrait être prête à allouer chaque année jusqu'à 50 milliards de dollars pendant dix ans. Une partie du financement peut toutefois provenir de droits spéciaux imposés sur les exportations d'énergie de la Russie en échange de la levée des sanctions occidentales sur la production d'hydrocarbures russes.
Cette partie des propositions de Trump repose sur un certain nombre d'hypothèses arbitraires, qu'il est difficile d'évaluer à ce stade. Personne ne sait vraiment combien la reconstruction de l'Ukraine coûtera en fin de compte et combien de temps elle prendra. Les capacités financières réelles de l'Union européenne pourraient s'avérer plus modestes que ce que Trump pense apparemment, d'autant plus que la liste des souhaits de l'administration américaine pour l'Europe ne se limite pas à soutenir l'Ukraine, mais comprend également des contributions plus généreuses à l'OTAN, de multiples concessions commerciales, un plus grand engagement économique au Moyen-Orient, etc. La capacité d'absorption de l'Ukraine pourrait également s'avérer limitée, compte tenu de l'état actuel des réformes économiques et administratives, de la corruption endémique et de l'exode d'une grande partie de la population du pays vers l'Europe. Enfin, il est difficile d'imaginer comment Trump pourrait convaincre Poutine de payer des droits de douane sur les exportations d'énergie de la Russie, en particulier lorsque Trump reste déterminé à faire baisser les prix mondiaux de l'énergie dans la mesure du possible.
La sécurité européenne
Jusqu'à présent, l'administration Trump ne s’est pas trop attardée quant à la manière dont le règlement du conflit russo-ukrainien devrait affecter le problème plus général de la sécurité européenne. Pourtant, cette dimension d'un accord potentiel doit être gardée à l'esprit, si l'idée est d'assurer une paix durable dans l'espace euro-atlantique. Les responsables russes ont déclaré plus d'une fois que le conflit actuel n'est pas seulement un affrontement entre la Russie et l'Ukraine, mais plutôt une impasse entre la Russie et « l’Occident collectif ». Cela implique que tout règlement devrait inclure un éventail plus large d'accords sur la future architecture de sécurité européenne, tels que des mesures de confiance multilatérales, des contacts entre militaires à différents niveaux et même certaines formes de contrôle des armes conventionnelles en Europe.
Le problème, c'est que Trump n'a jamais été particulièrement intéressé par les formes significatives de multilatéralisme, y compris le contrôle multilatéral des armements ou les mesures de confiance. En outre, il a toujours été sceptique à l'égard de tout contrôle des armements, y compris bilatéral, le considérant comme un moyen inutile et potentiellement nuisible de limiter la capacité des États-Unis à dépasser et à surpasser tous ses adversaires et rivaux. C'est pourquoi, au cours de son premier mandat, Trump a décidé d'abandonner le traité FNI américano-soviétique, n'a pas souhaité étendre le nouvel accord START et a décidé de se retirer du traité « Ciel ouvert ». On ne voit pas très bien comment, avec une telle attitude, Donald Trump compte s'assurer qu'il n'y aura pas d'autre crise dangereuse en Europe peu après le règlement du conflit russo-ukrainien.
En résumé, le fait que Donald Trump ait finalement proposé une sorte de plan de paix pour l'Ukraine est une bonne nouvelle. Il vaut mieux avoir quelque chose à considérer et à discuter que de ne rien avoir et de spéculer sur ce que la Maison Blanche peut ou ne peut pas offrir. Il n'en reste pas moins que le plan Trump, dans sa forme actuelle, n'est qu'à moitié ficelé. Il s'agit peut-être d'un premier pas dans la bonne direction, mais il ne s'agit-là que d'un premier pas. Beaucoup de choses dépendent maintenant de l'engagement, de l'endurance, de la patience et de la capacité d'attention de l'administration américaine. Les pourparlers de paix sont différents des négociations commerciales auxquelles Trump est si habitué. Lors de négociations commerciales, vous pouvez accepter un échec dans le but de conclure un bon accord et vous pouvez trouver d'autres alternatives, les opportunités sont toujours en abondance. Dans les pourparlers de paix, l'échec est inacceptable.
Cet article a été publié pour la première fois dans le journal Guacha
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Andreï Kortunov est diplômé de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO) en 1979 et a terminé ses études de troisième cycle à l'Institut d'études américaines et canadiennes de l'Académie des sciences de l'URSS en 1982. Il est titulaire d'un doctorat en histoire. Le Dr Kortunov a effectué des stages dans les ambassades soviétiques à Londres et à Washington, ainsi qu'à la délégation permanente de l'URSS auprès de l'ONU.
De 1982 à 1995, le Dr Kortunov a occupé divers postes au sein de l’Institut d’études américaines et canadiennes, dont celui de directeur adjoint. Il a enseigné dans des universités du monde entier, notamment à l’Université de Californie à Berkeley. De plus, il a dirigé plusieurs organismes publics œuvrant dans les domaines de l'enseignement supérieur, des sciences sociales et du développement social.
De 2011 à 2024, Andrey Kortunov est directeur général et directeur académique du Conseil russe des affaires internationales. Il est membre des comités d'experts et de surveillance et des conseils d'administration de plusieurs organisations russes et internationales. Ses intérêts académiques incluent les relations internationales contemporaines et la politique étrangère russe.
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