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Diplomacy

« L’État civilisationnel » de Xi Jinping et l’antiaméricanisme en Europe

Rome, Italie - 22 mars 2019 : Xi Jinping, président chinois, prend la parole lors d'un forum d'affaires italo-chinois avec Sergio Mattarella, président italien, au Palais du Quirinale à Rome.

Image Source : Shutterstock

by Ihsan Yilmaz , Nicholas Morieson

First Published in: May.24,2024

Jul.22, 2024

Il n'est pas surprenant que le président chinois Xi Jinping se rende en France, la deuxième économie d'Europe et l'une des nations dominantes de l'Union européenne. Mais pourquoi se rendrait-il dans des pays moins influents et économiquement moins importants comme la Hongrie ou la Serbie ?  

 

La réponse réside non seulement dans les opportunités économiques qu'une telle visite peut apporter à toutes les parties. Elle réside aussi la politique de plus en plus anti-américaine de ces trois pays et dans la croyance en leurs gouvernements que l'avenir de la politique internationale puisse être un ordre multipolaire dominé par des "États civilisateurs”. Ces deux facteurs font de la Chine un partenaire attrayant pour la France, la Serbie et la Hongrie, promettant de libérer le monde de la domination politique, économique et culturelle américaine et d'établir un nouvel ordre multipolaire. De même, ces pays sont attirés par la Chine, qui cherche à diviser l'Europe et les États-Unis tout en tissant des liens économiques et politiques plus étroits avec les nations européennes désireuses d'une "nouvelle" Europe libérée de la domination américaine.

 

Xi présente la Chine non seulement comme un État-nation, mais aussi comme la continuation de l'ancienne culture chinoise fusionnée avec le marxisme. Il insiste sur le fait que la Chine doit s'appuyer sur son héritage civilisationnel et rejeter les valeurs de la civilisation occidentale, qu'il estime non universelles et inadaptées à la Chine.

 

La remarque de M. Xi selon laquelle la Chine "travaillera avec la France pour approfondir une bonne coopération mutuelle entre la Chine et l'Europe". Il ajoute que les deux pays sont "des forces majeures dans la construction d'un monde multipolaire, deux grands marchés qui promeuvent la mondialisation et deux grandes civilisations qui prônent la diversité culturelle", ce qui souligne cette perspective civilisationnelle de la politique mondiale.

 

Le civilisationnisme est ainsi un concept par lequel Xi Jinping envisage de libérer la Chine des valeurs et des idées non-indigènes, tout en visant à surpasser les États-Unis et à établir la Chine comme la puissance dominante en Asie.

 

Malgré leurs divergences, les dirigeants chinois et français sont rapprochés par une antipathie commune envers les États-Unis et une vision civilisationnelle partagée des affaires mondiales, centrée sur une politique anti-américaine. Bien que la Chine voie l'Amérique comme un rival, la France perçoit peut-être l'Amérique comme un allié potentiel imposant une culture "anglo-saxonne" à un peuple français réticent. 

 

Les experts notent l'importance accordée par Emmanuel Macron à revitaliser ce qu'il appelle la civilisation européenne. Alors que la populiste de droite Marine Le Pen préconise la protection de la civilisation judéo-chrétienne laïque de la France, Macron dépasse le cadre de l'État-nation pour promouvoir la centralisation du pouvoir au sein de l'Union européenne, afin de protéger une civilisation européenne qui est en déclin.

 

Emmanuel Macron exprime une grande préoccupation pour l'avenir de la civilisation européenne, qu'il considère comme représentant le meilleur de l'humanité et juge essentiel de protéger ses valeurs humanistes. Pour lui, la civilisation européenne est confrontée à plusieurs ennemis, parmi lesquels les États-Unis occupent une place centrale. Il les voit comme une puissance anti-civilisationnelle qui promeut le paradigme de l'État-nation, revendique l'universalité de ses valeurs et préfère une Europe relativement affaiblie.

 

Macron a soutenu que les Européens devraient prendre exemple sur les "projets civilisationnels" de la Russie et de la Hongrie, soulignant leur "vitalité culturelle et civilisationnelle inspirante". Il affirme que la civilisation européenne, fondée sur des principes humanistes, doit rejeter le "modèle anglo-américain" qui donne un pouvoir démesuré au secteur privé sur la vie humaine. Cette position implique également un rejet du modèle chinois, caractérisé par un contrôle gouvernemental total sur la vie humaine.

Hongrie et Serbie 

Victor Orbán partage avec Emmanuel Macron une attraction envers Xi Jinping, basée sur leur conviction commune que l'ascension des "États civilisateurs" comme la Chine est inévitable. Les deux leaders estiment que cette montée en puissance offre à leurs nations respectives (voire à leurs civilisations) l'opportunité de se libérer des normes anglo-américaines. Cependant, les visions d'Orbán pour la renaissance civilisationnelle de l'Europe diffèrent considérablement du projet "humaniste" de Macron. Orbán préconise la rechristianisation de l'Europe et renforce l'importance de l'État-nation ainsi que de ses frontières. Son discours met moins l'accent sur la civilisation européenne au sens large que sur la civilisation judéo-chrétienne. Orbán déclare que "les États-Unis devraient permettre aux États illibéraux (tels que la Hongrie) de déterminer leur propre avenir plutôt que de leur imposer des "valeurs universelles" dans le but d'éviter la guerre".  

La montée en puissance de la Chine se fait aux dépens des ennemis libéraux et démocratiques d'Orbán, notamment Washington et Bruxelles, affaiblissant ainsi leur capacité à influencer la Hongrie vers des normes libérales et démocratiques. La Chine, dirigée par un populiste autoritaire avec une perspective civilisationnelle des relations internationales, légitime l'autoritarisme d'Orbán et son projet de rajeunissement civilisationnel. Le choix par Xi Jinping de se rendre en Serbie lors du 25ᵉ anniversaire des bombardements de l'ambassade de Chine à Belgrade par l'OTAN et les États-Unis n'est pas anodin. Depuis la victoire du parti populiste progressiste serbe (SNS) aux élections de 2012, la Serbie et la Chine sont devenues plus proches. Le SNS voit en la Chine une source de croissance économique et de développement technologique, ainsi qu'un partenaire moins enclin à critiquer la politique serbe de non-sanction envers la Russie et ses positions conservatrices sur le plan social.

Ainsi, lors d'une cérémonie à Belgrade, le président Aleksandar Vučić a accueilli Xi Jinping en promettant au dirigeant chinois un niveau de "respect et d'affection" sans pareil, affirmant que cela ne se trouve "nulle part ailleurs". Il s'est engagé à renforcer davantage ses liens avec Pékin, déclarant que "le ciel en sera la seule limite". Dans un article publié dans le journal serbe Politika, Xi Jinping a souligné que la Chine et la Serbie partagent de nombreuses positions communes sur des questions internationales et régionales cruciales.

 

Dans cet article, Xi Jinping a implicitement appelé la Serbie à soutenir la Chine dans sa contestation de la domination des États-Unis et de l'Occident sur la scène internationale. Des experts ont observé que "l'accueil de Xi par la Serbie s'inscrit dans des efforts plus larges, notamment de la part de Moscou et de Pékin, pour remettre en question l'influence des États-Unis et potentiellement remodeler l'ordre international".

Conclusion

La tournée de Xi Jinping en France, en Hongrie et en Serbie met en lumière l'influence croissante de la Chine en Europe. Elle révèle également comment certains dirigeants européens réagissent à l'émergence de la Chine en tant que puissance civilisationnelle autoproclamée. Cette montée en puissance pousse ces dirigeants à remettre en question la domination des États-Unis sur la politique internationale et à réaffirmer les valeurs fondamentales de la "civilisation européenne".

 

De nombreux États européens pourraient chercher à suivre l'exemple de la Chine, ou du moins à la soutenir dans son développement, afin de tirer des avantages politiques et économiques. L'essor de la Chine semble aussi montrer que le rejet des normes anglo-américaines (ou plus largement occidentales) et l'adoption des valeurs traditionnelles et de la culture de leur propre civilisation pourraient aider ces États à surmonter l'impérialisme culturel et l'hégémonie des États-Unis.

 

La question de savoir si ce rejet des normes occidentales et l'adoption de leurs propres valeurs civilisationnelles peuvent unir ces nations autour d'un objectif commun et inspirer la réindustrialisation reste à explorer.


First published in :

Australian Institute of International Affairs

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Ihsan Yilmaz

Ihsan Yilmaz est professeur-chercheur et titulaire de la chaire d'études islamiques et de dialogue interculturel à l'Institut Alfred Deakin pour la citoyenneté et la mondialisation (ADI), Université Deakin, Melbourne, Australie.

Il a mené des recherches sur l'édification de la nation ; citoyenneté; l'autoritarisme; populisme; le transnationalisme; les identités ethniques, religieuses et politiques et leur sécurisation (Moyen-Orient, Pakistan, Indonésie) ; les relations minorité-majorité (Australie, Turquie, Royaume-Uni et États-Unis) ; affaires socio-juridiques, identités, appartenance et participation politique des minorités musulmanes en Occident (Royaume-Uni, Australie et États-Unis) ; Relations Islam-État-société dans des contextes majoritaires et minoritaires ; les mouvements islamiques mondiaux ; l'Islam politique dans une perspective comparée ; la politique turque ; diasporas turques (Royaume-Uni, Australie, États-Unis) ; le transnationalisme; contact intergroupe (Australie); et les politiques de victimisation (Australie, Turquie).

Il a été professeur de sciences politiques à l'Université Fatih d'Istanbul (2008-2016), chargé de cours occasionnel en droit, sciences sociales et politiques à la SOAS, Université de Londres (2001-2008), où il a enseigné « Droit et société islamiques », « Systèmes juridiques de Asie et Afrique » et « Politique turque » aux niveaux du premier cycle et du troisième cycle. Avant SOAS, il était membre du Centre d'études islamiques de l'Université d'Oxford (1999-2001), où il a travaillé sur la participation politique des musulmans au Royaume-Uni et sur les lois musulmanes non officielles des jeunes musulmans en Occident.
 

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Nicholas Morieson

Nicholas Morieson est titulaire d'un doctorat. en politique de l'Université catholique australienne de Melbourne et d'une maîtrise en relations internationales de l'Université Monash. Il est l'auteur de Religion and the Populist Radical Right: Christian Secularism and Populism in Western Europe, et chercheur à l'Institut Alfred Deakin pour la citoyenneté et la mondialisation. 

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